A l'ouverture de la 26e édition de la Foire de la production nationale (FPN) le 21 décembre 2017, le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, a laissé entendre que l'Etat n'avait plus les moyens de voler au secours des entreprises publiques (EP) «boiteuses» comme c'était le cas pendant les années fastes.Une période durant laquelle d'importantes enveloppes financières ont été consenties pour restructurer le secteur public, mais sans résultats. Le Premier ministre a donc appelé les responsables des entités économiques publiques à rechercher d'autres moyens de financement pour réaliser leurs projets ou carrément à continuer à résister face à la crise.
Un message on ne peut plus clair à la veille de la Tripartite Gouvernement-UGTA-Patronat, puisque deux jours après l'inauguration officielle de la FPN, la voie a été grandement ouverte aux privatisations via la charte sur le partenariat public-privé (PPP) adoptée à cette occasion et fortement applaudie par les partenaires du gouvernement.
Après la signature de cette charte, le ministre de l'Industrie et des Mines, Youcef Yousfi, est revenu à la charge le 25 décembre et a tenu, à son tour, le même discours que son chef, invitant les EP à se débrouiller financièrement «en dehors des aides de l'Etat».
Le ministre a ainsi encouragé ces entreprises à nouer des partenariats avec des entreprises «privées algériennes et étrangères» sur des bases économiques saines et solides, tel que précisé dans le communiqué rendu public à cet effet. Mais, faudrait-il d'abord asseoir ces bases, de l'avis des experts et des entrepreneurs interrogés sur cette question de l'heure.
Une question qui a, pour rappel, été soumise au débat depuis plusieurs années avec la multiplication des appels, particulièrement depuis 2013 pour la conclusion de PPP, sans pour autant que des projets soient lancés dans ce cadre, surtout entre les nationaux. Et voilà qu'aujourd'hui, avec la crise financière que traverse le pays, on remet le dossier sur le tapis, sans faire en parallèle le bilan des opérations de sauvetage du secteur public, ni celui des privatisations lancées en grande pompe vers la fin des années 90 et stoppées en 2007 avec le niet affiché pour la privatisation du Crédit populaire d'Algérie (CPA).
Le cap est de nouveau mis sur l'ouverture du capital des entreprises étatiques. Ce qui était prévisible bien avant le retour d'Ahmed Ouyahia à la tête de l' Exécutif. Le dossier a, en effet, été relancé par Ouyahia sous sa casquette de secrétaire général du Rassemblement national démocratique (RND) en juin 2017.
«Il faut aller vers la privatisation d'un certain nombre d'entreprises publiques dont la situation financière se détériore en raison des problèmes liés au plan de charge et à la gestion», avait-il suggéré. Cela pour dire que le processus a été enclenché en catimini pour être au final encadré par la charte en question. Une charte dont la signature revêt, de l'avis du Premier ministre, un «saut qualitatif important», redouté par les travailleurs et les syndicalistes.
Et ce ne sont pas les déclarations qui ont manqué à ce sujet en ce début d'année. Même le Front de libération nationale (FLN) s'est mêlé au débat, organisant une Tripartite bis informelle en présence, aux côtés de l'UGTA, de certaines organisations patronales, principalement le FCE. Une occasion pour le Forum d'applaudir de nouveau la démarche entreprise et de s'engager à formuler des propositions en vue de promouvoir l'entreprise économique nationale.
Pour le FCE, c'est «la seule voie de salut pour l'économie nationale». Une voie à baliser et à tracer en apportant des éclaircissements et en consolidant la charte. Les avis convergent à ce sujet, surtout qu'il y a lieu d'éviter les erreurs commises dans le processus de privatisation. Un terme que tentent de contourner les représentants du gouvernement.
Tout récemment, le ministre des Finances, Abderrahmane Raouia, a joué la carte de l'assurance, précisant que la charte sur les PPP ne signifie par la privatisation des EP et a écarté par la même occasion le spectre de la compression des effectifs, qui inquiète d'ores et déjà les syndicalistes. Le Snateg (Syndicat national autonome des travailleurs de l'électricité et du gaz) prépare la contestation et prévoient un rassemblement le 20 janvier à Alger. Le dossier suscite également des interrogations et des appréhensions du côté des experts.
Faire barrage aux prédateurs
«L'assainissement financier n'est plus possible. Pour cela, la charte pourrait être une issue de sortie, à condition qu'il y ait des investisseurs sérieux et non des prédateurs du secteur public», estime à ce sujet l'expert en développement Mohamed Chérif Belmihoub Il faudrait donc, de l'avis de notre interlocuteur, assurer les capacités financières à mobiliser et avoir un projet industriel pour entrer dans le capital des entreprises publiques en sus des capacités managériales. «Il y a des réticences de part et d'autre, le privé ne s'accommode pas avec le secteur public.
Ce sont les questions qui bloquent». Comment y remédier ' Mohamed Chérif Belmihoub propose de travailler sur deux volets. D'abord, travailler sur le pacte d'actionnariat. «Il faut signer de très bons pactes d'actionnaires, se mettre d'accord sur tous les points. Les deux parties peuvent même déroger à la loi et mettre en place des règles qui vont servir après.
Des concessions sont nécessaires de part et d'autre», résumera M. Belmihoub. Sur un autre plan, il y a lieu de faire barrage aux prédations. Là, notre expert propose d'assurer une évaluation exacte et objective du patrimoine de l'entreprise publique avant de trouver un moyen pour négocier la différence.
« Trouver un juste prix du capital. Pour cela, il faut une transparence totale, sinon on risque de tomber dans le piège», avertit notre expert en développement, pour qui la charte n'est pas facile à mettre en ?uvre. Pourquoi ' «On n'a pas l'expertise nécessaire, notamment pour l'évaluation, rédiger les actes d'actionnaires et élaborer des business plans engageants», fera-t-il remarquer.
«Il faut le reconnaître, nous manquons d'expertise. Pour cela, il faut accepter de travailler avec des étrangers.» L'autre condition à assurer, toujours de l'avis de M. Belmihoub, c'est de mettre en place un dispositif de surveillance pour mettre en marche «les partenariats capitalistiques» tel que précisé par M. Belmihoub, qui rappellera encore que les PPP prévus n'ont rien à voire avec ce qui se fait ailleurs.
Ce que fera remarquer également Lotfi Halfaoui, directeur d'un cabinet d'expertise industrielle. Pourquoi persister à soutenir à bout de bras un secteur marchand étatique qui ne répond pas aux objectifs de performances attendus, et proposer des «remèdes» qui ne correspondent pas aux maux que vivent ces entreprises étatiques '
«Nous avons l'impression que le retour d'expérience en matière de privatisation d'entreprises du secteur public n'a pas été pris en compte, puisque nous retrouvons quasiment les mêmes dispositions dans cette charte. Je dirai que ça ressemble à une privatisation partielle qui ne dit pas explicitement son nom», résumera M. Halfaoui, affichant le v?u que le texte soit évolutif, simplifié, clarifié et enrichi, pour qu'il puisse devenir un apport positif à notre économie.
Car, tel qu'il est consacré par le droit et l'usage, le ppp concerne les partenariats dans le domaine des infrastructures et des services publics en matière d'investissement et/ou d'exploitation, et met en relation des organismes de droit public avec des entreprises économiques publiques ou privées, y compris la concession et la délégation de services publics.
«Les dispositifs de forme l'emportent sur les objectifs de fond»
Dans ce cadre, l'Algérie a déjà mené des expériences. L'exemple le plus commun est la gestion déléguée de l'eau dans les grands pôles urbains.
Les premiers contrats de PPP ont touché jusque-là le management des services publics d'eau et d'assainissement (Seaal-Suez Environnement, SEOR Oran, Seaco Constantine Seata Annaba-El Tarf), l'aéroport d'Alger (ADP), la gestion du Métro d'Alger (avec la RATP) et la gestion hôtelière (Groupe Accord-ONAT). Le privé algérien a été exclu de cette formule, alors que le savoir-faire est bien là, selon M. Halfaoui. «Nous avons un savoir-faire que les entreprises publiques n'ont pas. Avant d'entrer dans le capital de ces entreprises, il y a des choses beaucoup plus faciles à faire pour travailler en complémentarité.
D'ailleurs, le cabinet d'expertise industrielle que je dirige ambitionne de lier des partenariats de complémentarité de compétences avec des entreprises publiques, dans le cadre de la réalisation de projets spécifiques. Ce partenariat public?privé sera limité dans le temps et ne sera pas éligible dans le contexte de la charte dans un premier temps.
Ceci permettra de mener des expériences pédagogiques, aux parties impliquées, pour aller plus loin vers d'autres natures de co-entreprises sans grand bouleversement du capital social de l'entreprise publique, si l'expérience serait concluante. Notre approche favorise l'objectif du partenariat public-privé dans sa quintessence, c'est-à-dire une opportunité pour développer nos capacités et nos compétitivités afin de satisfaire la demande du marché national et d'aller à la conquête d'autres marchés à travers le monde», expliquera M. Halfaoui, dont le cabinet est en discussion avec une grande EP pour une première expérience, même si pour l'heure, il estime que dans la charte en question, «les dispositions de forme l'emportent sur les objectifs de fonds». M. Halfaoui reste, en effet, réservé qu'un tel outil puisse répondre aux objectifs ambitieux assignés.
«Il me semble décalé par rapport aux critères d'exigences économiques mondiales actuelles. Nous ne retrouvons pas les valeurs entrepreneuriales basées sur la confiance, le partage des risques, l'ambition, la créativité, l'autonomie, le sens des responsabilités, le leadership, la solidarité dans ce texte», remarquera-t-il.
L'autre élément qui rend sceptiques les opérateurs économiques privés est la situation du secteur public.
«Les entreprises publiques ne sont pas à jour en termes de compétitivité, d'innovation et le management n'est pas mis à niveau. Certes, le secteur public a un meilleur pouvoir à l'investissement, mais est-ce que ces entreprises sont aptes à travailler à notre rythme», s'interrogera un représentant de la laiterie Soummam. Du côté du public, les appréhensions ne manquent pas également.
Rappelant que le groupe des industries locales (Divindus) travaille déjà dans un cadre partenarial depuis 2007 avec une entreprise privée de fabrication de céramique (Ceramis) à Mostaganem (55% pour Divindus et 45% pour Ceramis, un haut cadre du groupe estime, certes, que la charte va libérer les synergies et apporter des financements, mais pour lui, le privé doit comprendre les règles du jeu. «Il faudrait qu'on comprenne une chose. Il y a un réservoir humain à sauvegarder», précisera le représentant du groupe, qui compte 15000 travailleurs à travers toutes les filiales, dont certaines ont des difficultés techniques et financières.
Divindus, qui est également en négociations pour d'autres partenariats avec des entreprises étrangères (espagnoles, polonaises et turques) mise sur l'apport du privé en matière d'expertise et de Conseil, notamment pour la pénétration du marché de l'exportation. «Le privé peut nous aider à mieux vendre. Se faire accompagner à l'exportation avec une assise privée», nous dira-t-il.
En somme, face aux décisions du gouvernement, il y a des craintes chez certains, des attentes chez d'autres sur fond de lenteurs administratives, ainsi que des lacunes d'expertise. Ce qui risque de retarder la conclusion des PPP.
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 08/01/2018
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Samira Imadalou
Source : www.elwatan.com