Les associations de lutte contre le sida du monde s'inquiètent de
l'évolution des négociations entre l'Union européenne et l'Inde à l'issue du
sommet tenu le 10 février à Delhi pour finaliser les accords de libre-échange.
Pourquoi ces appréhensions ? Ces organisations sont sceptiques quant aux
conséquences du renforcement des droits de propriété intellectuelle (exclusivité
des données, définition de l'investissement, notion de propriété intellectuelle
dans le chapitre investissement) sur l'accès aux médicaments indiens à bas prix
pour des millions de malades. Comptant parmi les plus gros producteurs de
génériques du monde, l'Inde est devenue la principale «pharmacie» des pays en
voie développement. Les génériques représentent 80% des traitements achetés par
les bailleurs internationaux dans 115 pays à bas et moyen revenu.
Les associations africaines de lutte contre le sida sont indignées par la
tournure possible de l'avenir pour des millions de malades. Ces inquiétudes, les
associations du monde, 34 au total dont l'association de protection contre le
sida (APCS) d'Oran, les ont exprimées dans une lettre adressée au président du
Conseil européen, Herman Van Rompuy,
au président de la
Commission européenne, José Manuel Barroso,
au commissaire européen de la
DG Trade, Karel De Gucht, et au Premier ministre indien, Manmohan
Singh. Elles «lancent un ultime appel à l'Union
européenne et à l'Inde pour que les mesures visant à renforcer les droits de
propriété intellectuelle soient enlevées de ces accords. L'enjeu est de taille
car aujourd'hui, seulement un tiers des personnes vivant avec le VIH en
indication de traitement sont effectivement traitées». Dans cette lettre, les
associations expliquent qu'au mois de «juin 2011, les Nations unies ont promis
de doubler l'accès au traitement anti-VIH afin de
passer de 7 à 15 millions de personnes sous traitement d'ici 2015. Si les
accords de libre-échange entraveront davantage la production de traitements à
moindre coût, cette promesse ne sera pas tenue».
Pour ces associations, «une des dispositions actuelles de l'accord va à
l'encontre de la production et de la commercialisation de médicaments
génériques en introduisant la notion d'exclusivité des données qui va au-delà
des standards internationaux des accords ADPIC (Aspects des Droits de Propriété
Intellectuelle qui touchent au Commerce)». Selon les signataires de cette
lettre, «ces derniers ne protègent que les données non divulguées pour empêcher
un injuste usage commercial. Contrairement aux accords bilatéraux défendus par la Commission européenne, les
ADPIC ne confèrent ni droits exclusifs ni période de monopole de
commercialisation». Depuis 10 ans, les médicaments génériques produits en Inde
ont permis de faire baisser le prix des combinaisons thérapeutiques utilisées
contre le VIH de 15 000 dollars par personne et par an à 165 dollars.
Contacté hier, le président de l'APCS, Abdelaziz
Tedjeddine, a souligné qu'il serait «un désastre pour
les pays africains, dont l'Algérie, si l'Inde arrête la production de ces
médicaments génériques. Les prix vont considérablement augmenter et l'accès à
ces produits sera impossible pour les 23 millions de malades africains atteints
du sida et les 500.000 des pays arabes». Ce que craignent ces associations est
l'exclusivité des données qui crée «un nouveau système de monopole, distinct du
système de brevets». En pratique, avec cette exclusivité, les données des
essais cliniques développés par le laboratoire initial ne peuvent pas être
réutilisées pour approuver la commercialisation d'un médicament générique. Il
devient obligatoire que chaque fabricant réalise ses propres essais cliniques
d'innocuité et d'efficacité du générique qui a pourtant déjà démontré son
équivalence à la formulation d'origine. Concrètement, si l'accord entre l'Inde
et l'Union européenne était conclu en l'état, il deviendrait impossible par
exemple de produire ou de commercialiser du sirop de névirapine
pour soigner un enfant vivant avec le VIH alors même qu'il n'est pas breveté en
Inde. «Ce que demandent ces organisations à la Commission européenne
et à l'Inde c'est d'enlever cette notion d'exclusivité des données des accords
et de remettre la protection de la santé publique à l'honneur dans ces accords».
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 12/02/2012
Posté par : sofiane
Ecrit par : Mokhtaria Bensaâd
Source : www.lequotidien-oran.com