Algérie - Medersa Khaldouniya, El Eubbad (Tlemcen)


MEDERSA DE SIDI BOUMEDIENE

La Madrasa, école de droit, d'exégèse coranique et de théologie semble bien, en Orient, une création propre delà dynastie ayyoubide. L'évolution politique de cette institution et révolution archéologique, connexe, du genre d'édifice qu'elle a fait apparaître, ont été clairement esquissées par Van Berchem(1). C'est sensiblement à la même époque que se montre, dans l'Afrique du Nord, la Médersa, qui porte le même nom (déformé par l'accentuation particulière îles dialectes maghrébins) et répond au même but. La fin de la période almohade, le début des dynasties mérinides et abd-el-wâdites voient se multiplier les fondations de ces sortes de collèges(2).Ce n'est pas à dire qu'il faille décidément considérer la Médersa maghrébine comme une imitation de la Madrasa égyptienne.
Le collège maghrébin de droit et de théologie peut avoir son prototype dans l'école annexée à la zawiya. Une histoire un peu exacte de L'évolution de ce dernier mot reste à faire. La zawiya, dans le Maghreb, apparaît comme une institution sui generis, tenant à la fois, comme on l'a dit, de l'université et du monastère(3), mais qu'il ne faudrait pas assimiler au Khângâh, à la Tekkié, au couvent de derviches de l'Orient, produit du mysticisme persan. Les textes la placent fréquemment sur le même rang que le ribat, qui lui, nous reporte, quant à son origine, jusqu'aux premiers siècles de l'islam(4). Zâwiya et ribat sont, dans le Maghreb, devenus à peu près synonymes, et le premier terme a fini par supplanter entièrement le second, au point de subsister seul aujourd'hui(5). La zawiya est un lieu de réunion de dévots qui veulent vivre à l'écart du monde, parfois un endroit de pèlerinage; on y prie, on y récite le Coran, on y fait des cours ; des étrangers de passage et des étudiants qui y font séjour trouvent également à s'y loger. Ce sont là autant de manifestations parallèles de la vie religieuse de l'islam. La mèdersa qui fleurit sous les monarques de Fàs et de Tlemcen, successeurs des Almohades tombés, n'est peut-être qu'une « officialisation » de cette école de zawiya; dans les nouveaux collèges, dont la vanité ou la piété des sultans maghrébins accroîtra d'année en année le nombre, les étudiants, soumis à une règle, vivant en commun comme les gens de zawiya, ne seront plus entretenus par la charité privée, mais toucheront sur les revenus royaux, sur ceux des biens que la munificence royale à immobilisés au profit de l'établissement, leur provision de farine, d'huile, de charbon, etc. C'est le chef de l'Etat qui accordera l'admission dans le collège fondé par lui (6) et à une époque où les rouages administratifs des empires maghrébins se compliquent, c'est parmi les anciens étudiants des médersas, les faqîh nourris de fortes études musulmanes, que les princes choisiront leurs cadis, leurs vizirs, leurs conseillers écoutés(7).
Au point de vue architectural, c'est encore à la zawiya et au ribat que fait songer la disposition de l'édifice de la médersa. Le plan cruciforme qui caractérise essentiellement la madrasa égyptienne parait ici tout à fait inconnu(8): une cour carrée, une grande salle au fond, à la fois pour les cours et la prière, sur les côtés des cellules pour les pèlerins et les étudiants, telle est la disposition classique des zawiyas, telle est déjà celle de l'antique ribat de Sousse(9) : telle est enfin celle de la Médersa mérinide de Sidi Bou-Médiène, qui reste, jusqu'au jour où une étude exacte aura été faite des grandes médersas marocaines, un spécimen unique et par suite fort important des collèges maghrébins du moyen âge(10).

Cette médersa de Sidi Bou-Médiène est postérieure de huit années à la mosquée ; elle fut, comme ce dernier monument, l'œuvre d'Abou El Hasen le Mérinide, et participa aux mêmes libéralités, dont la liste est soigneusement dressée sur la table de habous mentionnée précédemment(11). Elle eut des professeurs célèbres, le Khatîb ibn Merzouq, le cheikh Senousi ; elle abrita enfin pendant quelque temps dans ses murs le grand Abd-er- Rahmàn Ibn-Khaldoun(12).
Située sur une éminence, à l'Ouest de la salle de prière de la mosquée, et séparée de cette salle par le passage étroit du cloitre extérieur, elle est le dernier étage de cette superposition de monuments qui, commençant au petit palais, s'échelonne sur le flanc de la colline. Un grand escalier de quinze marches y donne accès. Sur la terrasse à laquelle on parvient, s'ouvre une porte monumentale garnie d'un décor en faïence élégant et robuste (fig. 64). Le grand cadre qui l'entoure est composé par une répétition de losanges festonnés analogues à ceux des minarets. Des plaques vernissées brun et vert s'y incrustent dans un réseau de briques. Deux écoinçons à décor géométrique en mosaïque sont limités par ce cadre et par un double feston enveloppant le fer à cheval de l'entrée(13).
L'atrium dans lequel on pénètre est bordé sur ses quatre faces par une galerie couverte établissant une circulation au premier étage. Seize cellules s'ouvrent sur ce portique et sur une arrière-cour qui flanque à l'Est le bâtiment du fond. Douze autres s'ouvrent sur la galerie du premier étage, auquel on accède par un escalier placé à gauche de la porte d'entrée. Ces cellules, demeures des tolbas étudiant à la Médersa, sont disposées sur un plan presque invariable. Elles ont 2 m ,85 de largeur et 2 mètres de profondeur. La porte cintrée en fer à cheval brisé a 0m, 77 d'ouverture ; une petite fenêtre percée au-dessus de cette porte éclaire l'intérieur. Une niche cintrée, large de 0m, 37, est creusée à hauteur d'appui pour la lampe et les livres de l’étudiant.
Un couloir couvert par de petites voûtes barlongues se trouve à droite de l'entrée. Il fait communiquer la cour principale avec la petite cour des latrines. Ces latrines sont d'une proportion élégante et d'une distribution logique. Une arcade centrale abrite un bassin ; huit logettes s'ouvrent autour, séparées entre elles par des murs de refend, ne montant pas jusqu'au haut. Un canal d'adduction non couvert creusé dans le mur du fond les alimente d'eau vive. Le plafond est formé par des voûtes d'arête.
Au fond de la cour principale, ornée de vasques rectangulaires s'élève le bâtiment essentiel de la médersa, à la fois salle de cours et de prière. Il est carré et couvert d'une grande coupole de bois s'indiquant à l'extérieur par l'habituel toit de tuiles vertes. Un mihrâb s'ouvre dans le mur du fond. Six fenêtres liantes éclairent cette salle. Elle était entièrement revêtue d'une somptueuse décoration de plâtre dont seul un demi-pan de mur a subsisté.
Elle se compose d'une frise de plâtre à décor polygonal encadré par des bandes d'inscriptions cursives, d'arcades et de panneaux garnis d'arabesques. Cette ornementation offre naturellement beaucoup d'analogie avec celle de la mosquée, qui lui est antérieure de huit années. Les motifs géométriques d'angles reproduisent assez exactement les rosaces des portes de bronze [fig. 58) ; mais il semble que l'influence des monuments andalous s'y fasse plus directement sentir par l'accentuation donnée aux reliefs, la tournure de certains ornements conventionnels et par les éléments de la flore. Le losange festonné que nous reproduisons ici (fig. 65) remplace la super- position de palme des décors tlemceniens (fig. 9, H) par un profil de moulures qui rappelle le décor des tympans ajourés de l'Alhambra et de l'Alcazar. Le décor floral se sert de la palme à œillets et à nervures, encore munie de sa tige. On y rencontre aussi la palme à garniture de rinceaux de Sîdi Bel-Hassen et des palais espagnols.
Une frise de bois court au-dessous de la coupole; elle porte sculpté en caractères andalous, un poème en l'honneur du fondateur:
« Louange à Dieu maître de l'univers ! ».
« Celui qui m'a fondée, afin de perpétuer dans mon sein la religion de l'islam, est le prince des musulmans, Abou El Hasen, dont les éminentes qualités sont au-dessus des louanges les plus pompeuses que le souffle poétique peut inspirer— Imâm dont les mérites ne sauraient se décrire si l'on songe ii tous les actes qu'il a accomplis en vue de la religion; — fils d'Abou- Saïd, possesseur des dignités les plus hautes. Il a réjoui par ma construction les yeux des hommes; — son créateur l'a nommé Ali, il l'a élevé, en effet, au rang suprême, et lui a donné la science certaine de la foi; — il s'est servi de lui pour manifester par des œuvres pieuses la grandeur de la religion, et la religion sera son soutien. — Mois de Rabi second de l'année sept cent quarante-sept. Puisse son bonheur durer toujours ! Sou but a été d'ouvrir un asile aux sciences— Que Dieu exauce les désirs qu'il forme pour lui complaire et qu'il lui soit à jamais en aide(14). »
La coupole circulaire, dont le sommet est formé de plusieurs défoncements successifs, rayonne autour d'une étoile à quarante-huit pointes. Les baguettes cintrées qui la composent, après avoir donné lien à plusieurs combinaisons géométriques, viennent reposer sur quatre portions horizontales également garnies par des emmanchements de bois formant treillis. Elle parait dater de l'époque turque.
Les gens de Bou-Médine déclarèrent à Barges que la Médersa toute entière était l'œuvre du bey Mohammed el-Kebir ; ce chef y fit peut-être exécuter quelques restaurations, en même temps qu'il confiait à Carmachiq la réfection de la qoubba. Mais, au moment où les troupes françaises entrèrent à Tlemcen, la Médersa était dans un état d'extrême délabrement, et elle ne fut restaurée par le service des Monuments historiques qu'à une date assez récente(15).




NOTES :
1- Cf. Van Berchem. Matériaux pour un corpus, p. 253 et suiv; ce ne sont que des emprunts à un travail général sur l'évolution de la madrasa que l'auteur annonce pour l'avenir.
2- Cf., sur les collèges abd-el-wàdites, le chapitre XIV de Tlemcen, capitale etc; — sur lus médersas mérinides, Kitàb El-Istiqça, 11, p. 21, 30, 54; — aussi l'édition Schefer de Léon l'Africain. II. p. 72,73, 438 et 439;— sur la médersa de Grenade, Almagro Cardenas, Inscripciones de Granada, p. 203 et suiv.
3- Cf. Daumas, in Kabylie, p. 60; — aussi Devoulx. Édifices religieux de l'ancien Alger, p. 10 et suiv.
4- Sur l'évolution du mot ribat dans le Maghreb, cf. Doutté, les Marabouts, p. 29 et suiv.
5- Comp. l'évolution des termes désignant des édifices religieux en Egypte, ap. Van Berchem, Matériaux pour un Corpus, 1, 124, note 1.
6- C'est ce qui ressort de l'histoire de l'admission de Ben-Zekri à la médersa de Sidi Bou-Médine, rapportée ap. Complément de l’histoire des Beni-Zeiyân, p. 361.
7- D'autre part, cette création ne paraît pas avoir été envisagée avec bienveillance par tous : un auteur du VIII siècle de l'hégire se plaint que la construction des médersas ait fait disparaître la science (Bostan, notre manuscrit, p. 324).
8- Cf. sur l'évolution architecturale de l'édifice de la madrasa égyptienne, Van Berchem, Matériaux pour un Corpus, p. 533 et suiv: — l'emploi du plan cruciforme, inspiré, en Egypte, parle désir de permettre dans un même édifice l'enseignement de la jurisprudence suivant les quatre écoles orthodoxes, n'a pas sa raison d'être dans le Maghreb, où l'école mâlikite a seule des adeptes au moyen Age.
9- Cf., sur le ribat de Sousse, Houdas et basset, Epigraphie tunisienne, p. 12 et suiv; — dans l'intérêt de l'archéologie maghrébine, il serait à souhaiter qu'une étude exacte de cet important monument fût vite entreprise.
10- Le plan de la médersa de Bou-Médiène doit aussi être rapproché de celui de la mosquée : la salle du fond correspond à la salle de prière, la cour carrée au çahn, les rangées de cellules des deux cotés aux cloîtres latéraux intérieurs; la salle du fond est au reste pourvue d'un mihrab, comme une salle de prière; en Egypte, la madrasa, très différente dans son principe de la mosquée, l'influence peu à peu et arrive à se confondre avec elle ; dans le Maghreb, il se peut que la mosquée ait. dès l'origine, fait sentir son influence sur le plan de la Médersa.
11- Cf. Revue africaine, août 1859, p. 410 et suiv; — Léon l'Africain, III. p. 32. — Histoire des berbères, 1, p. 48.
12- Cf. Prolégomènes, I, LVI.
13- Elle parait analogue à une porte de Mequinez, dont une reproduction figure dans la Grande Encyclopédie, à l'article Maroc.
14- Cf. Revue africaine, août 1859, p. 408. 409.
15- Cf. Barges, Tlemcen, ancienne capitale, p. 310; — de Lorral, Tlemcen p. 328.




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