«Il nous fallait absolument une opération commando de ce genre, que nous voulions surtout spectaculaire et psychologique, pour démontrer à la population médéenne, autant qu'aux forces coloniales, que l'Armée de Libération nationale (ALN) était toujours présente sur le terrain. Contrairement à ce que faisait croire l'ennemi, en utilisant la propagande basée sur le mensonge».
C'est ainsi que commence le récit, très détaillé et empreint d'une grande émotion de l'attaque surprise, très spectaculaire, dont fut l'objet, le 14 août 1961, aux environs de 20h15, juste après la prière du Maghreb, le bar restaurant «La Crémaillère», situé dans une rue (l'ex rue Jean Richepin) du centre-ville de Médéa. Un bar-restaurant devenu aujourd'hui un…banal local commercial pour vaisselle après être resté tel quel jusqu'à l'année 2010, comme un café (1962-2010) avec la restauration en moins. Un café dont le comptoir portait toujours les traces des balles tirées cette nuit-là, du 14 août 1961 par les six membres de ce commando de choc. Cette ex-rue Jean Richepin qui porte aujourd'hui justement le nom d'un de ces six commandos : Ahmed Ferrah dit «Ahmed Ellouhi».
Et celui qui nous parle ainsi n'est autre que M. Mahmoud Toubal-Seghir dit «Tcheknoun» à qui Dieu a prêté longue vie, le responsable politico-militaire de l'époque, chargé de la région locale (zone 2) englobant Draâ Smar (ex-Lodi), Tamezguida (ex-Mouzaïa les Mines), Aïn D'heb (ex-Damiette), Ghezaghza et Oued Lahrèche. Cette zone 2, celle de la ville de Médéa et de tous ses environs, de la wilaya IV historique.
En effet, avec ses grandes batailles, accrochages, embuscades, opérations de sabotage, attaques contre des postes ou casernes et opérations de fidayins et autres commandos de choc, cette zone 2 de la wilaya IV historique aura écrit, en lettres d'or, sa participation à la guerre de Libération nationale. Une participation qui s'est soldées par la mort, au champ d'honneur, de plus de 9.743 martyrs, 32 cimetières où reposent désormais plus de 3.100 chahids, en plus des 30 stèles érigées, un peu partout à travers cette zone 2, à la mémoire de tous ceux dont les corps n'ont jamais été retrouvés à l'exemple de celui du colonel Si M'hamed Bougara, commandant de la wilaya IV historique, tombé au champ d'honneur, le 5 mai 1959.
Pour revenir à cette attaque du bar-restaurant «La Crémaillère» M. Mahmoud Toubal-Seghir dit «Tcheknoun» nous dira : «De grosses difficultés commençaient à se faire sentir dans les maquis avec entre autres, le nombre toujours en diminution des djounoud, le manque ou l'insuffisance de l'armement et de l'habillement, la lassitude qui commençait à gagner, quelque peu, certains djounoud… D'où la décision prise par les responsables politico-militaires de la wilaya IV de transporter la guerre des maquis vers les villes, c'est-à-dire renforcer la guérilla. Et de laisser la liberté d'action pour chaque responsable politico-militaire local. Partant de là, j'avais pris la décision d'attaquer ce fameux bar-restaurant «La Crémaillère» pour deux raisons essentielles : d'abord, il se situait à une cinquantaine de mètres du commissariat de police de l'époque, aujourd'hui transformé en centre médico-social (CMS) de la sûreté de wilaya, et donc dans une rue très fréquentée par les Français surtout. Ensuite, ce bar-restaurant était le lieu de rencontres privilégiées des gendarmes tortionnaires, des agents de renseignements du deuxième bureau, de beaucoup de soldats et surtout d'officiers de l'armée coloniale». Avec une émotion de plus en plus poignante «Mahmoud Tcheknoun» poursuivra : «deux mois de préparation avaient été nécessaires, comportant, particulièrement l'étude de terrain, les différentes possibilités de repli après l'attaque, le choix des hommes du groupe et de l'agent de liaison, le choix d'un domicile proche de ce bar-restaurant car nous nous devions d'y passer la nuit du 13 au 14 août 1961 et toute la journée du 14 pour espérer pouvoir réussir l'opération. Le groupe se composait notamment de Abdelkader «Chaâbouna», Ahmed «Ellouhi», Moha-Seghir de Hannacha, un certain Fodhil (le premier est décédé après l'indépendance et les trois autres avant), Ahmed «Hamam Mélouane» (encore en vie) et moi-même. Le domicile qui avait été choisi et retenu étant celui de M. Mohamed El-Mohri (aujourd'hui décédé) situé en contrebas du bar-restaurant en question, du côté de la rue de Aïn El-Mordj. Avec un plan d'attaque mûrement réfléchi, nous fîmes irruption dans le bar en laissant «Chaâbouna» et Moha-Sghir au guet dehors. Et le bilan rapporté, une journée après cette attaque, par le journal colonial «L'Echo d'Alger» avait fait état de huit morts et quatorze blessés parmi les consommateurs de ce bar-restaurant. Alors que nous n'avions déploré qu'un seul blessé léger. Fodhil, qui avait été touché à l'épaule, à partir d'une fenêtre au moment où nous nous retirions et qu'il tirait des rafales en l'air en signe de joie. Nous avions su par la suite que le nombre des morts et des blessés était beaucoup plus élevé que celui reconnu par les forces d'occupation. Et ce, conséquemment au grand nombre de chargeurs de nos mitraillettes Mat 49 que nous possédions et que nous avions presque vidés sur tout ce qui bougeait. Pour l'histoire et par devoir de vérité, je me dois de dire que nous avions été obligés d'éliminer physiquement un compatriote natif de Médéa et y demeurant, qui se trouvait à l'intérieur du bar au moment de l'attaque et, malheureusement pour lui, il avait beaucoup d'accointances avec les officiers et autres gendarmes tortionnaires». Et Mahmoud Tcheknoun d'ajouter : «A la fin de l'attaque, et au moment de quitter les lieux, nous avions lancé une grenade à l'intérieur du bar, qui avait effectivement explosé, après avoir auparavant laissé une lettre sur les cadavres et où l'on pouvait lire notamment, en français : à l'intention de la soldatesque française, la révolution est toujours là, debout, grâce à tous ses enfants. Nous sommes capables de vous frapper n'importe où, quand nous voulons et avec plus d'aisance qu'aujourd'hui. Et nous reviendrons». Et Mahmoud Tcheknoun de continuer pour préciser» : c'est une lettre que nous avions préparée bien à l'avance en priant Dieu de faire réussir notre opération. Et elle avait réussi grâce à Dieu. Le plus grand coup psychologique réussi aura été assurément ce grand impact très positif sur la population de Médéa qui reprit confiance tout comme les moudjjahidine dans les maquis. Comme elle avait surtout porté un sérieux coup au moral de l'occupant aussi bien les autorités militaires et administratives que les simples colons. Cette attaque du bar-restaurant «La Crémaillère» avait fait, également, un grand bruit en France même».
A LA FIN DU RECIT, L'EMOTION AYANT ATTEINT SON PAROXYSME, M. MAHMOUD TOUBAL SEGHIR DIT «TCHEKNOUN», PROFITANT AUJOURD'HUI D'UNE PAISIBLE RETRAITE, DE CONCLURE : «NOUS AVIONS REUSSI LA GAGEURE DE PARCOURIR, A PLUSIEURS REPRISES, EN ALLER-RETOUR, CETTE FAMEUSE RUE JEAN RICHEPIN, SANS AVOIR EVEILLE LE MOINDRE SOUPÇON AUSSI BIEN DES PASSANTS QUE DES POLICIERS DE FACTION DEVANT LE COMMISSARIAT. ET A ENVIRON DEUX HEURES DE L'HORAIRE PREVU POUR L'ATTAQUE DE CE BAR-RESTAURANT «LA CREMAILLERE». NOUS AVIONS, TOUS LES SIX, L'AIR DE VERITABLES SOLDATS FRANÇAIS, HABILLES DE TENUES TOUTES NEUVES ET PORTANT DES MITRAILLETTES MAT 49 TOUTES NEUVES», 14 AOUT 1961 14 AOUT 2012 : LES SOUVENIRS DE M. MAHMOUD TOUBAL SEGHIR DIT «TCHEKNOUN» RESTENT TOUJOURS VIVACES : «LA REUSSITE DE CETTE OPERATION COMMANDO A ETE LE RESULTAT DE NOTRE FOI EN LA JUSTESSE DE NOTRE COMBAT, CETTE REVOLUTION SACREE DU 1ER NOVEMBRE 1954, POUR LA LIBERTE ET L'INDEPENDANCE DE NOTRE PAYS».
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Posté Le : 26/08/2012
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Rabah Benaouda
Source : www.lequotidien-oran.com