Algérie

Me pardonneriez-vous, un jour, Docteur…



Pour vous avoir bastonné ? Hideuse, cette image de la masse compacte de blouses blanches, compressée par une grille de ferraille. C'était, il y a quelques jours à l'entrée principale de l'hôpital Mustapha. Par le choix du lieu de la protesta, la symbolique était forte. Le message en filigrane, déclinait plus la sacralité spatiale que l'insurrection retranchée. Pour la première fois, praticiens généralistes et spécialistes de santé publique se serrent les coudes, pour exprimer leur perdition. Malheureusement, l'autisme ambiant s'exprimera violemment pour donner la charge à une expression, somme toute légitime, mais interdite par le contexte. Sans trop revenir sur les motifs de cette déferlante, il est maintenant connu, par tous, que le salaire d'un omnipraticien, ne dépassera guère la barre de 49000 DA après 25 ans de service. Une dame, médecin de longue date, à qui une journaliste demandait les raisons qui l'obligent encore à opter pour le service public, asséna cette réponse qui ne souffre d'aucune équivoque : « Je trouve que la relation d'argent avec le patient est immorale !». Tout est dit dans cette sentencieuse assertion. Un autre médecin affirme que son seul souci, il dit ne pas aspirer au luxe, est simplement de pourvoir aux besoins élémentaires de sa petite famille : charges domestiques et loyer. Oui ! Il loue son espace habitable, il n'a plus droit au bénéfice du logement social ; il ferait partie des nantis. Le sentiment que l'on se forge après de telles déclarations, c'est que le service public n'a pas perdu tout son crédit, en dépit des aléas de parcours des un et des autres. Il est fort probable que ce même service public, offrirait paradoxalement plus de sécurité de l'emploi et un zeste de dignité. Vision idyllique, peut être, mais la militance ringarde est patente. Il faut en tenir compte. Piteuse, cette image de dames d'un certain âge, foulard au vent, bousculées par les agents de maintien de l'ordre, qui ne font d'ailleurs, que le travail pour lequel ils sont mandatés. Pourquoi en arriver jusqu'à la dissuasion musclée, les espaces de dialogue et d'arbitrage n'ont, certainement pas, tous été épuisés. Interrogés par la Commission des Affaires sociales de l'Assemblée populaire nationale, deux hauts fonctionnaires du département sectoriel, déclaraient que la plateforme de revendications négociée et validée par les deux parties, Administration centrale et syndicats, n'a pas reçu l'aval de la commission arbitrale de la Fonction publique, au motif que le secteur est non productif ?! Depuis quand, la Fonction publique gérerait elle le secteur productif, pour prononcer de tels arrêts ? Si tant était le cas, est ce que la grogne du secteur industriel du mois dernier, est définitivement apaisée par la satisfaction de ces désirata ?

 La qualification du secteur de la santé de non productif, est une contre vérité que beaucoup de pays, moins dotés financièrement que le nôtre, ont démentie depuis fort longtemps. La productivité n'est nullement l'apanage exclusif du matériel, elle est aussi le fait de l'esprit. Quand des compétences nationales évitent en intra muros des transferts de malades vers l'extérieur, ne font elles pas fructifier les réserves de change de la nation ? La lointaine Cuba et la proche Jordanie, pour ne citer que ces deux pays, ont rendu leur service de santé plus que productif, exportant leur technologie médicale vers d'autres pays dont le nôtre. Sans intention délibérée de remettre en cause les attributions de cette respectable institution, le mieux pour les députés aurait été, d'interviewer directement les personnes qui ont émis le rejet et d'en analyser les motifs. S'il est vrai que les équilibres financiers doivent guider toute décision rétributive, il n'en demeure pas moins que le capital humain, peut ne pas avoir de prix, même s'il a un coût, expression consacrée du purisme économique de pure forme. Il aurait été judicieux que les membres de la Commission d'arbitrage délibèrent à proximité d'un service des urgences médico chirurgicales, de maternité ou d'enfants malades, pour mesurer toute l'angoisse, d'un personnel médical et paramédical mis face à la détresse humaine. Il n'est jamais agréable d'aller à l'hôpital, même pour une fugace visite de malades, que dire de personnels à majorité féminine plus est, qui passent la moitié de leur vie à l'intérieur. Evoluant professionnellement dans un milieu que nul ne peut qualifier de sain, ils sont sujets à toutes sortes de contamination : infectieuse, chimique et ionisante par effets nocifs du rayonnement des équipements d'imagerie médicale, cette élite nationale crie son désarroi. Les états dépressifs ne sont pas rares. Les risques de survenue de pathologies liées au milieu sont réels, invalidants et parfois mortels. Il est des profils de poste en chirurgie générale ou spécialisée et réanimation soins intensifs qui usent jusqu'à la corde leurs détenteurs. La prestation de psychiatrie est assurée, la peur au ventre ; ces retombées sont démoniaques le plus souvent. La durée de la vacation de garde est démentielle, elle peut aller jusqu'à 24 heures. La législation du travail, ne peut rien contre l'abus, les effectifs en place font que tout le monde s'engouffre dans la même galère, gestionnaire compris. En astreinte, le sommeil n'est jamais continu ; entrecoupé, il constitue à lui seul, une nuisance préjudiciable que nulle indemnité matérielle ne pourra réparer.

 Pour revenir à la bruyante protestation, et si on devait lâcher la bride à l'esprit pour gambader, on pourrait planter un décor autant virtuel que plausible. C'est que tout juste au moment du déroulement des joutes et par un satanique sort, les lieux (Place du 1 er Mai) soient ébranlés, à Dieu ne plaise, par une calamité naturelle ou un attentat terroriste, qu'elle attitude auraient pris aussi bien, les médecins que les forces chargées de les contenir ? Il est évident qu'ils se seraient tous précipités, les premiers pour enfiler leur camisole stérile, scalpel en main, les seconds pour les protéger et offrir éventuellement un peu de leur sang. La situation antinomique à laquelle les deux corps ont, momentanément, été confrontés relève beaucoup plus de l'irrationnel que du généralement admis. Le citoyen lambda qui d'habitude, qualifie le médecin de « Hakim» (sage), n'en revient pas de voir ce « sanctuaire» profané. C'est tout simplement de l'hérésie ! Ce même citoyen a eu à rencontrer son « T'bib» à Al Asnam et à Boumerdès juste après les séismes, il l'a vu travailler sans rechigner presque dans le noir et parfois sans protection. Il l'a encore revu dans les grandes épidémies de choléra et de typhoïde du siècle dernier. Ne faisant pourtant pas partie du corps diplomatique, ce même corps médical qu'on fustige pour avoir demandé à vivre dignement, a représenté son pays avec honneur et constance à Beyrouth lors du siège, à Baghdad, à Gaza et tout récemment à Sanâa lors des inondations. Leurs chemins se sont croisés à In M'Guel (Tamanrasset) et à Oum Lassel, (Tindouf) le médecin y accomplissait son service national comme tout le monde. Quant au spécialiste qui fut exempté du service civil en 1990, il a vite déchanté, on l'a rappelé à cette obligation en 1998 ; il y est depuis lors. Il est d'ailleurs, le seul universitaire à y être astreint, n'est ce pas encore un autre déni ? Cette obligation a crée, tout au début de sa réintroduction, des déchirements sociaux dans les couples de même profil spécialisé. Ce même citoyen, agressé par la horde terroriste n'a, pratiquement, eu pour seul recours, que les structures sanitaires « hantées» par des corps de santé. Craignant certes pour leur intégrité physique, dans des villes rendues fantômes par la terreur, ils étaient néanmoins présents.








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