Algérie

Massacres du 8 Mai 45 - Polémique en France autour du film Hors-la-loi de Rachid Bouchareb : Hors-la-loi face aux «dehors» de la loi



Massacres du 8 Mai 45 - Polémique en France autour du film Hors-la-loi de Rachid Bouchareb : Hors-la-loi face aux «dehors» de la loi
Jamais la France ne fêtera son 8 mai 45 dans la sérénité, tant qu'elle s'obstine à ne pas reconnaître la barbarie des massacres qu'elle a perpétrés contre des milliers d'Algériens-45000 victimes- au moment même où le monde célébrait la victoire des Alliés sur Hitler. Soixante cinq ans après, et revoilà, de nouveau, le paysage politico-artistico-médiatique emporté par le Maelstrom du génocide-nous insistons sur le concept, n'en déplaise aux apôtres de terminologie académicienne et juridique occidentale dont on a toujours soupçonné les desseins-que l'armée coloniale a commis à  Sétif, Guelma et Kherrata.  A l'origine :  le dernier film du réalisateur algérien Rachid Bouchareb, Hors-la-loi, qui sera projeté en avant-première mondiale, en compétition, lors du 63e Festival de Cannes, prévu du 12 au 23 mai prochain. Une production qui représentera l'Algérie et qui se veut comme une suite de «Â Indigènes ».Hors-la-loi, qui s'attache au destin de trois frères chassés de leurs terres, revient en outre sur la sanglante répression du 8 mai 1945 à  l'heure même où la France en liesse célèbre l'armistice. Le tout avec pour toile de fond la fin de la guerre d'Indochine avec la défaite française de Diên Bên Phu, la guerre d'indépendance des Algériens et la «Â Bataille de Paris » qui finit sur un autre massacre, celui du 17 octobre 1961, moins de six mois avant le cessez-le-feu en Algérie. De quoi réveiller-à vrai dire, ils n'ont jamais disparu-les vieux démons d'une France, aujourd'hui, plus qu'hier, tiraillée par son passé colonial.CROISADE SUR LA CROISETTEAlors que les cinéphiles du monde entier, les yeux rivés sur la Croisette, se lèchent les babines à  l'idée de suivre de près un événement mondial, avec des films de qualité et de stars planétaires, les ''Nostalgériens français, embusqués depuis 1962, dans les arcanes des institutions politiques, prêts à  exécuter tout ce qui est algérien, sonnent le tocsin contre le film de Bouchareb, en l'accusant, ni plus ni moins, de «Â révisionniste » et d'«Â anti-français ». Drôle de charge contre une œuvre cinématographique,  financée, en partie, par le Centre cinématographique français (CNC), par France 2, France 3, et faisant l'objet d'un préachat par Canal Plus. Le comble ' La charge est officiellement portée par Lionel Luca, député UMP (parti au pouvoir) des Alpes-Martimes, qui après avoir déversé son venin dans la presse hexagonale, décide de mobiliser ses troupes pour s'attaquer à  un film qu'il reconnaît-sans scrupule aucun-ne pas avoir visionné ! Sans arguments sérieux, le député saisit le secrétaire d'Etat à  la Défense pour avoir un avis du service historique du ministère de la Défense, explique sur le site du quotidien français lefigaro.fr. Les conclusions, comme il fallait quelque peu s' y attendre, sachant la fibre extrême-droite de la droite au pouvoir, sont sans ambages sa : «Â en septembre dernier, après étude du scénario, le chef du SHD assure exclusif hors-la-loi-de-bouchareb-est-truffe-dans une note interne à  l'attention d'Hubert Falco que les erreurs et les anachronismes sont si nombreux et si grossiers qu'ils peuvent àªtre relevés par tout historien. Les nombreuses invraisemblances présentes dans le scénario montrent que la rédaction de ce dernier n'a pas été précédée d'une étude historique sérieuse», poursuit le SHD.Très vite, le rapport fait son effet boule de neige. Soutenu, comme toujours, par le très puissant lobby de l'Algérie française, Lionnel Luca reçoit le soutien actif des nostalgiques de l'Algérie de Papa. Mais aussi et surtout, celui de l'extrême-droite dont un comité baptisé «Pour la vérité historique - Cannes 2010», a menacé sur  un site Internet proche du Front national de mener des actions spectaculaires contre le film durant le Festival de Cannes. «Avec nos affiches, nos banderoles, nos slogans, nous pouvons 'pourrir' ce Festival pour dénoncer cette machination politique qui va se dérouler sous couvert d'un évènement culturel de renommée mondiale», martèlent ses animateurs sur un ton dur. «Nous allons bien faire comprendre aux politiques que la repentance exigée par une clique de maffieux djihaddistes ne peut avoir aucune signification à  nos yeux.» La devise de ce comité : «Croisade sur la Croisette» (sic).Côté Gouvernement-dont l'ancien ambassadeur à  Alger Hubert Colin de Verdière avait qualifié les massacres d'une «tragédie inexcusable », reconnaissance répétée en avril 2008 par son successeur Bernard Bajolet, qui a évoqué à  Guelma ces  «Â épouvantables massacres » et la «Â très lourde responsabilité des autorités françaises de l'époque dans ce déchaînement de folie meurtrière », soulignant que ces événements «Â ont fait insulte aux principes fondateurs de la République française et marqué son histoire d'une tache indélébile », on joue la prudence. Le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, pour se faire sa petite idée, demande à  voir le film. Interpellé à  l'Assemblée nationale par le député PS de la Seine-Saint-Denis, Daniel Goldberg,M. Mitterrand dit attendre que « les débats sur le drame de la guerre d'Algérie sont sains ».HARO SUR LA CENSURESe gardant loin de la polémique, le réalisateur algérien a soutenu qu'à travers Hors-la-loi, il entend «faire la lumière sur ce pan de l'histoire commune aux deux pays» et de «rétablir une vérité historique confinée dans les coffres».Interrogé, de son côté, par L'Expression, l'un des producteurs du film, Mustapha Orif, a rejeté en bloc les accusations de Lionnel Luca. «C'est un film qui (…) est fait de la manière la plus correcte, avec beaucoup de retenue et en même temps beaucoup de dignité et de respect par rapport à  l'histoire. Rachid Bouchareb a interrogé beaucoup de gens, de témoins et d'historiens. De ce point de vue, je ne pense pas du tout qu'il se soit écarté de la réalité historique. » Le délégué général du Festival de Cannes, Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes, réagit à  la polémique en estimant que celle-ci ne concerne que le scénario et non l'œuvre achevée. «Â Si la polémique reste à  hauteur du débat d'idées, indique-t-il dans une déclaration à  l'AFP, nul ne doit s'en plaindre, ni ceux qui ont produit le film, ni ceux qui s'en font les adversaires. Dans les deux cas, que la liberté d'expression s'exerce pleinement, c'est tant mieux ». Mais «Â pour s'affronter et s'invectiver, non », conclut Thierry Frémaux qui ajoute que l'art «Â contribue aussi à  visiter la grande et les petites histoires ». Pour lui, «Â Cannes est là pour servir le cinéma et accueillir les débats qui vont avec ». Habile manière de dénoncer les velléités de censure soutenues mezza-voce par le député Luca.  Une censure camouflée que redoutent quelques historiens, dont une grande partie, hélas, se tient en marge du débat. L'historien Pascal Blanchard qui a été convié à  visionner le film, s'interroge sur les colonnes du quotidien français, Le Journal du Dimanche : «Â Que doit-on penser en effet quand quelqu'un dénonce une œuvre sans l'avoir vue, l'accuse de tous les maux, veut la faire interdire en la rendant illégitime ' On est dans la censure ! » L'historien rappelle au passage que l'histoire personnelle du député Lionnel Luca est liée à  plus d'un titre à  l'Algérie et qu'il est en outre engagé dans la création d'une Fondation pour la mémoire de la guerre d'Algérie, prévue pour juin. En tout état de cause, Pascal Blanchard ajoute : «Â On verra à  Cannes que Hors-la-loi est un film important. Il va étonner les jeunes générations. Il dérange certains ...»C'est pourquoi, les historiens sont convoqués à  un débat qui n'est pas abordé à  l'écran. Affaire à  suivre.


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