Algérie

Mascara s’en souvient toujours Le martyre des 24 jeunes de Hassine



Publié le 21.10.2024 dans le Quotidien l’Expression
Si Meftah détenait deux commerces et une traction Six D au moment où des Français roulaient à vélo.
La petite commune de Hassine, ex-Dublineau, jadis une petite bourgade isolée, située à équidistance entre Mohammadia (ex-Perrégaux) et Sig, dans la wilaya de Mascara, symbolise encore de nos jours la résistance et la bravoure. Plus de 57 années se sont écoulées, depuis un horrible événement qui marquera à jamais les habitants de cette bourgade enclavée et meurtrie. 24 jeunes moudjahidine tombèrent au champ d'honneur, à la fleur de l'âge, engloutis dans une caverne du mont Fergoug, suite à un bombardement intense de l'aviation et des canons de l'armée coloniale. Seul un survivant a pu s'échapper de cet enfer pour devenir un être complètement absent, en proie à des souvenirs atroces et horribles. Dans ses rares moments de lucidité, cet ancien camarade des 24 martyrs relate avec passion ses bons moments passés avec ses défunts amis et les projets qu'ils envisageaient ensemble. L'histoire de ces 24 martyrs commence avec celle du jeune «Si Meftah», son nom de guerre, qui façonnera à jamais l'histoire de sa petite bourgade et celle de toute la région de Mascara. Contrairement aux autres histoires de la Révolution, celle de Si Meftah, de son vrai nom Mohammed Boumaâza, est assez anodine et particulièrement instructive.
L'histoire passionnante de ces jeunes Algériens d'antan est assez différente et empreinte de messages et de symboliques pour nos jeunes d'aujourd'hui. Si Meftah avait toute la vie devant lui pour réussir et poursuivre ses affaires fleurissantes dans son village, à Perrégaux, mais aussi à Saint Leu, actuellement Béthioua et même à Oran. Conduisant une belle Traction Six D, à une période où même les colons roulaient à vélo ou se déplaçaient par bus, Boumaâza était détenteur de deux fonds de commerce, un magasin de transistors et d'appareils électriques à Mohammadia et une boutique de tissus et haute couture à Hassine, ex-Dublineau. «Mon frère n'était pas comme tous les autres jeunes dans la commune. Il était spécial. Il avait une allure particulière. Il aimait s'entretenir et bien s'habiller. Je peux même vous dire qu'il ressemblait beaucoup, dans son style, à Steve McQueen. Il était vraiment singulier», nous confie son frère Naguib, non sans grande fierté. Le chahid Si Meftah était jaloux de sa patrie et du sort de ses compatriotes. Ses soeurs étaient choyées et ne se rendaient à l'école qu'après s'être garnies de leurs plus belles robes et sandales ramenées d'Oran, par leur grand frère Mohamed, selon son frère Naguib. «Il aimait les voir propres et bien habillées et se faisait un honneur de rendre jalouses leurs camarades de classes à l'école européenne... Il me disait souvent qu'il voulait qu'elles soient meilleures en tout et ne voulait pas qu'on se moque d'elles en classe», nous confiera-t-il encore. Lors de notre passage dans les deux villes où il a vécu, nous avons approché quelques familles, des amis et anciens voisins qui nous ont rapportés les faits de Si Meftah avec honneur et grande fierté. Selon les témoignages de son frère Naguib, Si Meftah était comme entré dans un état second, pendant plusieurs jours. «Il était évasif, retiré et très anxieux pendant plusieurs jours. Une scène l'avait fortement bouleversé, quand il avait appris que les militaires français avaient dévasté notre maison parentale et brutalisé nos soeurs et des membres de notre famille», nous confiera-t-il. «Je pense qu'à ce moment quelque chose avait changé en lui. Il n'était plus le même, il ne riait pas, ne parlait pas beaucoup», renchérit son frère. En fait, c'est cela avoir le sang des Algériens. En secret, il décida de prendre langue avec les moudjahidine. Quand il sera contacté, il n'hésitera pas une seule seconde à rejoindre le maquis. «Ils lui ont demandé d'abattre un Algérien harki qui avait sévi dans notre région, comme gage de confiance. Mais il a refusé de le faire. Il a dit à ses amis qu'il ne rejoindra pas la Révolution en abattant un Algérien», nous confie sa tante de Mohammadia, qui le considérait comme son propre fils, tant il était aimable et très éduqué. Il décida d'éliminer un milicien français qui avait sévi dans le village. Dans sa fuite, il emporta une mitrailleuse et un pistolet avec chargeurs. Peu de temps après, il réussira à enrôler ses copains de village, tous lettrés et fils de familles aisées dont des commerçants et des agriculteurs assez riches. Tous donneront du fil à retordre à l'armée française qui avait renforcé ses troupes pour faire face aux attaques et attentats répétés des moudjahidine de Si Meftah. À 22 ans, il tombera sur le champs d'honneur en compagnie de ses 23 amis, trahis par des harkis. Après des heures de négociations, les jeunes moudjahidine refuseront de se rendre. Retranchés dans les monts de Fergoug dans une caverne, en contrebas de la montagne, ils seront bombardés, une journée durant, par l'aviation et les tirs de canon de l'armée coloniale. «Nous avons été réveillés par les bruits incessants des bombardements intenses. Il y avait aussi le bruit des avions qui survolaient la région. On savait que c'était Si Meftah et ses compagnons. On était si fiers d'eux. Ils avaient endeuillé l'armée française et les miliciens qui avaient peurs de sortir la nuit», nous confie un vieux du village de Hassine.
Mohamed OUANEZAR



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