Algérie

Marché informel : Beaucoup d'Algériennes ont trouvé leur voie dans le «bizness» Economie : les autres articles



Marché informel : Beaucoup d'Algériennes ont trouvé leur voie dans le «bizness»                                    Economie : les autres articles
Depuis une vingtaine d'années, les femmes sont de plus en plus nombreuses à s'adonner au commerce informel (trabendo ou bizness, selon la terminologie locale) qui irrigue l'économie algérienne.
Selon les sociologues Véronique Manry et Camille Schmoll, qui ont effectué une très intéressante enquête sur le «bizness» des femmes en Algérie et en Tunisie, publiée dans la revue NAQD (n° 28 fin 2010), ces «commerçantes à la valise» activent surtout dans les villes du pourtour méditerranéen comme Marseille, Naples, Barcelone, Istanbul et Damas, mais leur cavale peut les amener encore plus loin dans des contrées du Moyen et de l'Extrême-Orient.Ces pratiques marchandes informelles désignées sous le vocable local de «bizness» pour les distinguer de celles plus nobles du business légal pratiquées par des entreprises ayant pignon sur rue ont engendré de profondes transformations dans la vie des femmes qui s'y adonnent. L'exercice du «bizness» a dans de nombreux cas poussé à la redéfinition des positions sociales des unes et des autres dans les espaces public et privé avec, à la clé, une promotion sociale arrachée de haute lutte et un affranchissement certes relatif de certains archaïsmes patriarcaux.
Des milliers d'Algériennes trouveront ainsi la voie de l'émancipation dans les pratiques lucratives du bizness informel qui leur permettent de relever le niveau de vie de leurs familles, de s'affranchir de certains dogmes et, dans certains cas, de se constituer des patrimoines. Moins exposées aux pesanteurs sociales, les émigrées algériennes (notamment en France) réaliseront davantage de prouesses en matière de négoce informel en entretenant un courant permanent d'affaires entre le pays d'accueil et leur pays d'origine. Les émigrées disposant en Algérie d'une boutique qu'elles approvisionnent à partir du pays où elles résident sont en effet légion et la tendance semble s'inscrire dans la durée.
De plus en plus de femmes dans des espaces marchands
La pratique du bizness n'est en réalité pas nouvelle, puisque depuis longtemps déjà (fin des années 1960), les Algériennes émigrées ou, seulement en voyage dans les pays de la rive nord de la Méditerranée, ont profité de leur retour au pays pour rapporter et vendre des marchandises objets de pénurie et certaines en avaient même fait une activité lucrative régulière. Ces pratiques marchandes informelles prendront une tout autre tournure au début des années 1990 à la faveur de la démonopolisation du commerce extérieur et la crise économique qui avait mis au chômage plus de 500 000 travailleurs.
Ces deux facteurs contribueront d'une part à amplifier la pratique du commerce informel et, d'autre part, à pousser les femmes à aider financièrement leur mari, si ce n'est à se substituer à lui en matière de revenus que leur époux au chômage ne pouvait plus assurer.
L'argent gagné à la faveur des pratiques commerciales informelles sert, en effet, avant tout à faire vivre la famille, à assurer le quotidien ou à maintenir un niveau de vie perdu dans les années 1990 avec la crise politique et économique qui avait touché de plein fouet les classes moyennes, jusqu'alors privilégiées par le pouvoir. C'est dire l'importance du rôle de stabilisateur de budgets familiaux qu'ont joué ces femmes durant la récession des années 1990. Elles ont dans certains cas empêché leurs familles de sombrer dans la détresse sociale, voire même la famine.
De plus en plus nombreuses à se lancer dans le «bizness», les Algériennes conquièrent progressivement des espaces marchands qui étaient, quelques années auparavant, l'apanage des hommes. Si elle est fortement affirmée en termes de circulation commerciale (femmes en déplacement à l'étranger pour effectuer des achats destinés à la vente), la dynamique de conquête de conquête de l'espace public témoigne d'une entrée de plus en plus massive des Algériennes dans des activités commerciales aussi bien formelles qu'informelles. La mixité dans les espaces commerciaux urbains a, de ce fait, pris beaucoup d'ampleur au cours de ces dix dernières années. Elle a toutes les chances de gagner à terme les espaces ruraux desquels les femmes sont aujourd'hui encore exclues.
Pesanteurs idéologiques tenaces
L'enquête en question constate que du point de vue des espaces d'achat, les commerçantes algériennes fréquentent désormais de nombreuses places marchandes en Europe et en Méditerranée, certaines poussant même leurs déambulations commerciales jusqu'en Asie.Toujours selon cette enquête, les espaces de vente auraient également connu un élargissement significatif, marqué par un glissement du privé (domicile) vers le public (ventes en boutiques en sur les marchés). En effet, constatent les auteurs de l'enquête, de nombreuses Algériennes ne se cantonnent plus à la vente à domicile, aidant leurs maris sur les souks ou dans leurs boutiques, revendant la marchandise que ce dernier a apportée de l'étranger, tenant le commerce quand l'époux est absent, se spécialiser généralement dans le commerce des vêtements pour femmes et enfants.
Mais l'implication croissante des femmes dans le commerce, notamment informel, implique de plus en plus de disponibilité et de mobilité dans l'espace urbain. Leur indisponibilité dans leurs foyers auxquels elles se consacraient quasi exclusivement avant que leurs activités marchandes n'accaparent pas l'essentiel de leur temps, va brutalement remodeler leurs rapports avec leurs familles et la société en général. Si de nombreux maris s'accommodent avec l'activité de leurs épouses qui contribuent à améliorer sensiblement l'ordinaire de la famille, d'autres ont du mal à s'adapter à la nouvelle situation qui requiert de laisser leurs femmes séjourner longtemps à l'étranger pour effectuer des achats. Même si les cadeaux ramenés de l'étranger ont pu amadouer certains maris, de nombreux divorces en auraient résulté, relèvent les auteurs de l'enquête.
Le métier est effectivement très prenant, car en matière de commerce, les femmes comme les hommes doivent développer des compétences relationnelles particulières, élargir leurs contacts bien au-delà des sphères domestiques, familiales ou de voisinage. Pour faire prospérer leurs affaires, elles doivent souvent entretenir et cultiver des réseaux de connaissance qui dépassent le cadre géographique dans lequel elles furent longtemps cantonnées. Connaissant la mentalité machiste ambiante qui prévaut dans notre pays, il faut assurément une très forte dose de courage et de détermination à réussir pour s'affranchir des archaïsmes et autres pesanteurs sociales qui rendent leur émancipation mal aisée.
En effet, si la circulation commerciale est à l'évidence plus aisée pour les femmes célibataires qui peuvent justifier leurs activités «peu féminines» au regard d'un entourage conservateur, par la nécessité de subvenir aux besoins de leurs familles, elle l'est beaucoup moins pour les femmes mariées qui doivent faire face aux suspicions et aux diktats de leurs époux. «Bon nombre de femmes mariées ont dû se résigner à arrêter leurs activités pour préserver leur mariage et le statut social qu'il leur confère», affirment à juste raison les sociologues Véronique Manry et Camille Schmoll qui ont fait l'amer constat sur le terrain.
Commerce de la valise
Mais avec ou sans le soutien de leurs familles ou de leurs époux, beaucoup d'Algériennes ont réussi à monter des affaires qui tournent si bien qu'elles ont changé positivement le cours de leur vie et celle de leurs familles. Les bénéfices engrangés leur ont permis d'acheter un logement de qualité, parfois même de construire une villa, d'acquérir une voiture et d'accéder au standing de vie longtemps convoité. Certaines femmes bafouées par leurs époux, leurs familles et la société en général ont pu ainsi trouver dans le business l'occasion de prendre leur revanche sur une vie qui ne leur a jamais fait de cadeaux.
Admirées pour leur réussite, bon nombre d'Algériennes n'hésitent plus à tenter leur chance dans le commerce de la valise perçu comme point de départ d'une «succès story» commerciale ouvrant la voie à un mieux-être social. On a pu le constater à l'occasion de nos déplacements en Turquie, en France et en Syrie (avant les révoltes), les Algériennes en «voyage d'affaires» constituent une part non négligeable des passagers. Même si, précisent nos sociologues, certaines ne jouent que le rôle de simples «mulets» assurant seulement le transport pour le compte de commerçants installés ou de gros importateurs informels, toutes ces «trabendistes» y tirent des profits qui, au gré de leur importance, serviront, selon le cas, à améliorer l'ordinaire des familles ou être investis dans la création de nouvelles affaires (ouverture d'une boutique, association avec un gros importateur informel, etc.).
Et même si le modèle patriarcal a encore de beaux jours dans notre pays et que le contrôle social sur les Algériennes reste très coercitif, tout porte à croire que l'espoir suscité par le «bizness» constituera à attirer de plus en plus de femmes d'un mieux-être social dans un pays où les portes de l'émancipation leur sont, aujourd'hui encore, fermées


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