Difficile de se frayer un passage le long de la rue qui abrite le marché des fruits et légumes d'El-Hamri. Les étals de ce marché qui a élu domicile dans la rue regorgent de marchandises en tous genres, à tous les prix et de diverses qualités. On vient de loin pour y faire ses courses car, de l'avis de beaucoup, ce marché, au charme mystérieux, fait vivre les riches comme les pauvres, chacun selon sa bourse. Et les besogneux, ceux qui par pudeur ne veulent pas s'afficher en tant que tels, y viennent tout aussi, noyés dans la cohue, pour essayer de glaner quoi manger. Ils viennent surtout en fin d'après-midi, quand les vendeurs ambulants veulent se «débarrasser» de leurs dernières marchandises à moindre prix. Pour comprendre cela, il faut faire le constat que le marché vit trois étapes durant la même journée. La matinée commence vers les coups de neuf heures. Les premiers venus choisiront au prix fixé les produits frais de la meilleure qualité, car avant cela les vendeurs ambulants bien matinaux auront fait le plein au niveau des grands marchés. Cette période, animée surtout par les ménagères, dure jusqu'à midi. L'après-midi, hormis quelques étalages placés sous des parasols, c'est le calme plat où la sieste est de rigueur. La troisième période commence vers les coups de 16 heures: les fonctionnaires, à la sortie du travail, font d'habitude leurs courses à ce moment. Les démunis font alors leur apparition. Ils guettent la meilleure occasion pour remplir le couffin du strict nécessaire, sinon plus si la situation le permet. La plupart du temps, ce sont de vieilles femmes ou de vieux messieurs. Les prix à partir de 19 heures commencent à baisser car chaque vendeur veut se «débarrasser» au plus vite de sa marchandise. On fait la réclame de ce qui reste. On vend en vrac sans passer par la bascule. La pomme de terre qui coûtait la matinée 40 dinars est cédée à 35, voire 30 dinars; la courgette tombe aux alentours de 25 dinars, la tomate perd 10 dinars avec la qualité en moins pour n'être cédée qu'à hauteur des 30 dinars, et ainsi de suite. Les femmes âgées, souvent au verbe facile, après avoir listé tous les défauts de ce qui est à vendre, implorent le détaillant de leur marchander ce qu'elles veulent au plus bas prix. Elles disent n'avoir que 50 dinars en poche ou même moins: le vendeur apitoyé, ou conscient du manège, peut d'un coup lui donner quelques légumes par-ci et quelques fruits par-là et le tour est joué. Même les bouchers ambulants sont presque harcelés par ces nouveaux pauvres. Tous ces bouts de viande invendables, des os mal dégarnis, quelques abats sont cédés gratuitement. Les ambulants, en fin de journée quand il ne reste plus aucun client, cèdent presque gratuitement leurs marchandises à une cohorte de personnes qui viennent spécialement pour cela. Les poissonniers sont les plus visés car le poisson est vite périssable après une longue journée passée au soleil. Les ambulants ne veulent surtout pas que la marchandise périssable soit jetée au détriment de tous ces besogneux. Restent ouverts tard dans la nuit les vendeurs de fruits. Ils proposent de la belle qualité, comme les boulangers ambulants qui vendent tous les genres de pain dans des corbeilles. Depuis toujours, le marché d'El-Hamri a fait vivre les pauvres. De mémoire de citoyens, les poissonniers jadis, dès les coups de midi, cédaient gratuitement leurs produits aux plus pauvres. Les denrées périssables comme la tomate servaient aux ménagères pour remplir des bouteilles de concentré de tomate, tout comme les petits pois et le poivron qu'on assaisonnait pour le ramadhan et autres périodes creuses. Le marché d'El-Hamri grouille d'une vie faite d'un peu de fatalisme mais de beaucoup de débrouillardise.
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 09/06/2008
Posté par : sofiane
Ecrit par : T Lakhal
Source : www.lequotidien-oran.com