Comment la peinture orientaliste des empires coloniaux devient un modèle en vogue sur le marché de l’art et aussi en Algérie où les images de la vision de l’autre sur nos ancêtres passent pour l’expression de notre authenticité.
Depuis quelques années, de nouveau, une vogue porte la peinture orientaliste. Illustrée par de nombreuses expositions, elle tient la dragée haute sur le marché de l’art, dans les galeries et les catalogues des maisons de vente les plus prestigieuses, telles Sotheby’s ou Drouot Richelieu. Dès la fin du XVIIIe siècle, dans la foulée de l’expédition d’Egypte de 1798, la passion pour l’égyptologie et les écoles d’études orientales provoque l’engouement européen pour l’Orient. Ajoutons à cela, la prise d’Alger par les Français en 1830, les trop célèbres voyages d’écrivains et peintres européens et le tableau mythique Femmes d’Alger dans leur appartement de Delacroix pour avoir tous les ingrédients de la passion des romantiques qui développent au XIXe siècle le mythe d’un Orient sublimé, voluptueux et mystérieux dont ils attendent un vaporeux dépaysement. Il n’est pas besoin ici de démontrer qu’il s’agissait d’un regard étranger sur une terre étrangère. Logique dans les conditions de domination d’un peuple par un autre, Edward Saïd a longuement analysé le phénomène et dénoncé cette vision. Mais ce qui est nouveau, c’est que cette peinture, fondamentalement marquée par le regard colonial, parvient à séduire dans les pays-mêmes qui étaient l’objet de cet orientalisme. En Algérie, nous assistons aujourd’hui à un phénomène qui remet au goût du jour ces images surannées du Sud algérien (oasis, dromadaires, points d’eau, fantasias, etc.), La Casbah et ses terrasses, le port d’Alger, les portraits de Touareg, de Chaouïas, de femmes en costume traditionnel, bref tout un arsenal d’éléments vidés de leur sens originel par une reproduction mécanique qui les banalise. Un marché pour ce type de peinture existe aussi bien en Algérie que de l’autre côté de la Méditerranée, où une certaine clientèle, amatrice d’art « local », constitue, du même coup, un argument commercial solide à son développement. Certains artistes profitent bien de cette manne et beaucoup d’étudiants en art en font une activité qui leur permet de vivre. Ici, une clientèle aisée s’est formée : entrepreneurs, industriels, hauts fonctionnaires, professions libérales, qui partagent avec le citoyen moyen le goût et l’admiration pour ce type de peinture, néanmoins plus accessible à ceux qui tiennent lieu de jet-set qu’à ce dernier qui se rabattra sur les reproductions imprimées et encadrées. Ainsi donc, la société valorise ces œuvres en les achetant, même si elle ne s’y reconnaît pas vraiment, car la prolifération de ces images figées, passées, exotiques, illustre des modes de vie et des scènes de mœurs non seulement disparues mais souvent altérées par rapport à la réalité de notre passé. L’argument commercial ne suffit pas à expliquer ce paradoxe, car si nous subissons, par ricochet, l’effet de la globalisation économique et donc du marché international de l’art, des raisons profondes sont à chercher dans la société elle-même. L’engouement pour cet orientalisme est renforcé par le fait que la maîtrise de la technique picturale classique est survalorisée par rapport à l’expression, au style et surtout au contenu, donnant la préférence à la manière réaliste, naturaliste ou, à la rigueur, impressionniste. C’est la garantie d’un vrai pouvoir de ressemblance qui fascine le public, d’où l’expression : « On croirait que c’est une photographie. » C’est un fait connu, que dans l’histoire, les crises sociales ou politiques sont suivies d’un passage à vide, d’une dépression même. La société tente d’y faire face par différents moyens. Elle se tourne vers le passé pour y chercher un refuge face à une réalité éclatée, tenter d’y trouver un peu de bonheur, car le passé est presque toujours idéalisé, noyé dans des souvenirs brumeux et les contrées lointaines du « bon vieux temps ». La peinture orientaliste exalte ainsi les visions de la cité ancienne, la transfigurant, la colorant de traditions que l’on veut croire plus humaines, plus fraternelles. Mais cela ne peut expliquer qu’en partie cet engouement, car la représentation véhicule forcément une idéologie esthétique et sert de discours nostalgique autour d’un « paradis perdu ». Pris en charge par une certaine couche sociale à travers les circuits de diffusion de l’art, ce discours, loin d’être innocent, cible une clientèle aisée friande de valeurs « sûres » aussi bien du point de vue des images proposées que de la forme d’art qui les porte, la peinture, art par excellence ! La nostalgie prend alors des allures de revendication d’un certain statut social. Ce sont la plupart du temps des œuvres de commande, des pastiches d’œuvres coloniales, souvent bâclées, parfois remarquables et bien traitées, qui font partie aussi bien du décor hétéroclite des bâtisses au luxe tapageur qui ont envahi la banlieue, que des anciennes demeures huppées des villes. C’est bien la preuve que l’attrait pour la représentation figurée est encore puissant dans notre société aux exigences encore fondamentalement traditionnelles. Le champ de l’art étant porteur des batailles esthétiques et, partant, des enjeux idéologiques de la société, il est de ce fait producteur de valeurs esthétiques propres à orienter la formation du goût, catégorie esthétique au centre de l’art et de la culture. D’où l’importance des images qui circulent, proposant à la consommation une vision ancienne et extérieure de notre monde quand elles ne sont que la légitimation de visions idéalisées prétendant exprimer l’authenticité, tout cela dans l’ignorance ou l’oubli qu’elles n’étaient que le regard faussé de l’autre sur nos ancêtres.
Posté Le : 05/10/2006
Posté par : hichem
Ecrit par : Nadira Laggoune
Source : www.elwatan.com