Algérie

Marché de Bab El Oued



Marché de Bab El Oued
Saleté, odeurs nauséabondes, état de délabrement avancé. Privés d'entretien et étouffés par la prolifération de l'informel, les marchés de proximité sont devenus de véritables dépotoirs. El Watan Week-end a fait une virée à Bab El Oued, où le marché des Trois Horloges est loin d'être une exception.«On est enterrés dans ce trou, et les autorités ne vont pas réagir avant l'arrivée d'une catastrophe.» C'est ainsi que Kamel*, marchand de légumes, décrit l'état du marché des Trois-Horloges à Bab El Oued, où il travaille depuis plus de vingt ans. «Saleté, mauvaises odeurs et zéro entretien? On travaille dans des conditions que personne ne peut accepter», continue-t-il. Connu pour sa vétusté et ses prix abordables, le marché des Trois-Horloges est une destination incontournable pour plusieurs clients qui viennent des différentes communes d'Alger.«J'habite à Beni Messous, mais je viens presque tous les week-ends faire mes courses à Bab El Oued. Cet endroit a un côté historique et nostalgique qui le distingue des autres marchés», raconte Rachid, 55 ans, un visiteur fidèle à Bab El Oued. «Malheureusement, ce marché n'est plus comme on l'a connu autrefois. Il est laissé à l'abandon, aucun entretien et aucune prise en charge ne sont constatés», se désole-t-il. Rachid n'est pas le seul à faire ce constat.Nacira, qui a grandi à Bab El Oued, dont le père est un ancien marchand de fruits et légumes, abonde dans le même sens : «Ce n'est plus un marché mais une décharge publique ! Je trouve scandaleux que les gens achètent leurs provisions au milieu de cette grande poubelle. C'est vraiment désolant, car il y a quelques années, faire ses courses au marché de Bab El Oued avait un charme exceptionnel qu'on ne retrouve plus aujourd'hui.»Pour elle, «il ne faut pas toujours remettre en cause les autorités ; les marchands partagent une part de responsabilité. Mon père occupait une table à l'intérieur et à l'époque, les marchands étaient bien organisés et nettoyaient quotidiennement. Il n'y avait pas autant d'ambulants», se souvient-elle. En effet, il est à peine 9h et l'entrée du marché est déjà encombrée. Des tables informelles squattent les quatre ruelles qui entourent le marché et ses six entrées bloquées par des tonnes d'ordures et des mauvaises odeurs se dégagent à vous couper le souffle.Selon Karim, vendeur de légumes, cette situation a d'importantes conséquences sur l'activité des commerçants à l'intérieur du marché. «Les gens n'ont pas accès facilement au marché à cause des montagnes d'ordures qui bloquent l'entrée et des odeurs insupportables. Ils font leurs courses chez les ambulants à l'extérieur», dit-il. Smaïl partage cet avis : «Nous avons passé toute notre vie ici et aujourd'hui nous sommes oubliés.Le vrai marché est dehors, nous, nous sommes là juste pour vendre quelques kilos de légumes et rentrer chez nous, car la grande majorité des clients n'arrivent pas jusqu'ici.» Et d'ajouter : «Avant, nous ramenions plusieurs casiers de différents fruits et légumes. Aujourd'hui un seul casier de certains légumes que j'ai du mal à vendre.» Face à ce problème, Smaïl dit qu'il est obligé de ne vendre que des légumes et ne pense pas aux fruits.«J'aurais aimé pouvoir vendre des fruits, mais le commerce est mort à l'intérieur, je me contente des légumes de saison qui ne tiennent pas en matière de conservation», explique-t-il. Abderrahmane Boukhemia, membre de la Commission des commerçants du marché des Trois-Horloges, affirme : «Nous faisons l'objet d'une grande injustice. Les commerçants payent le loyer, les impôts et doivent arrêter à 13h, alors que les informels travaillent jusqu'à la tombée de la nuit, et nous bloquent les entrées du marché la journée.On a essayé plusieurs fois de discuter avec les responsables locaux et de régler le souci, en vain.» Smaïl le soutient : «Nous aurions pu utiliser la force, mais nous ne sommes pas habitués à cette méthode et nous ne voulons pas plonger dans les problèmes.» En décembre 2013, un avis stipulant la fermeture du marché formel et informel tous les jours à 13h a été émis par le président de l'APC de Bab El Oued. Sauf que la décision n'a jamais été appliquée. Si les conditions des alentours du marché des Trois-Horloges se résument aux poubelles et aux nombreuses dizaines de vendeurs informels, la situation n'est pas non plus reluisante au niveau supérieur du marché couvert.Dès l'entrée, les dégâts causés par l'incendie de 2011, la cabine du chef du marché, désertée et couverte de toiles d'araignées, et de vieux néons éteints, sautent aux yeux. Le sol, perforé et qui porte plusieurs traces de bricolage, est couvert d'une épaisse couche de matière crasseuse noire. Sur les côtés, des avaloirs, qui servaient autrefois à l'évacuation des eaux usées, ont aujourd'hui disparu après de longues années sans entretien.Fuite de responsabilitéLa situation au sous-sol n'est pas meilleure. Dès l'entrée, une grande benne verte de l'entreprise de nettoyage NetCom déborde sur un quart du trottoir, des égouts bouchés et des tables de marchands de poisson, juste à côté, vous accueillent. A l'intérieur, un faux-plafond de toiles d'araignée saute aux yeux. Des fils électriques qui pendouillent un peu partout alimentant les quelques lampes installées par les commerçants.Au niveau supérieur comme au sous-sol, les commerçants déplorent le manque d'entretien, la propreté, l'absence des autorités locales et «une anarchie totale». Riad, un vendeur de volaille au marché couvert, confie : «Ce vieux bâtiment est un danger public et peut s'effondrer d'un moment à l'autre. Depuis le début de mon activité ici, il n'a jamais bénéficié de rénovation, même pas de nettoyage. C'est vrai que les agents de NetCom viennent ramasser les poubelles et les déchets, mais ils ne nettoient jamais comme il le faut. On paye le loyer et les impôts mais au retour, on est livrés à nous-mêmes quand il y a un problème.»«Ce marché est complètement abandonné par les autorités locales. Avant la nomination du P/APC actuel, il venait nous rendre visite pour se procurer des voix, depuis, personne ne l'a jamais revu. Concernant le chef du marché, sa cabine est là, mais lui on ne l'a jamais croisé.» Farid, un porteur, rejoint son avis : «Les responsables ne font rien pour ce marché, pour les commerçants ni même pour les consommateurs.Il n'y a pas longtemps, il y a eu un accident et le sol s'est troué, c'est en cotisant que les marchands et les porteurs ont couvert le trou de béton.» Quant à Fadis, le plus ancien vendeur de légumes au marché des Trois-Horloges depuis des décennies, nettoie son coin lui- même et met les épluchures des légumes dans la benne à poubelle. Il déplore : «Les responsables d'une commune sont le chef de daïra, le maire et le commissaire. On n'a jamais vu l'un d'eux... ni le chef du marché d'ailleurs.On a entendu parler de fermeture et de rénovation du marché et d'une enveloppe importante, mais pour l'instant on n'a rien vu et on ne nous a informés de rien !» Abderrahmane Boukhemia confirme cet avis : «Avec mes camarades de la commission, on s'est plusieurs fois présentés au siège de l'APC pour partager nos problèmes avec le maire, mais il ne nous reçoit jamais. Mon grand-père, mon père, mes grands frères et maintenant moi, nous sommes tous passés par ce marché. Cet endroit est le c?ur le Bab El Oued. Quand les gens parlent de cette daïra, la première image qui vous vient à l'esprit est le marché ou les trois horloges. Malheureusement, il est délaissé et se trouve dans un état très critique.»Appel au privéLe cas du marché couvert des Trois-Horloges de Bab El Oued n'est évidemment pas isolé. D'après El Hadj Tahar Boulenouar, président de l'Association nationale des commerçants et artisans (Anca), ce phénomène s'étale sur tout le territoire national. «D'après nos informations, il y a plus de cent marchés de proximité qui souffrent d'un manque énorme en conditions nécessaires (commodités, hygiène, gardiens?).On connaît des marchés dont le sol n'est pas carrelé, à peine quelques gouttes de pluie et les clients ne peuvent pas y accéder. D'autres qui se sont retrouvés dans une grande décharge à cause du manque de nettoyage, ou encore des marchés qui n'ont pas d'électricité et chaque commerçant se débrouille pour avoir du courant auprès des voisins. Cette solution engendre des dégâts, en particulier durant ces dernières années où on a enregistré plusieurs incendies dans différents marchés», explique-t-il.Une situation qui dépend du gérant. «On trouve ces problèmes particulièrement dans les marchés qui sont gérés par les APC. On a beaucoup de problèmes avec eux, les commerçants ne sont pas contents, ni les consommateurs d'ailleurs. Contrairement aux marchés de gros gérés par des SPA ou des Epic qui sont tous bien organisés, sécurisés et dans un état qui répond aux normes», souligne le président de l'association Anca. Pour l'expert financier Ferhat Aït Ali, «il n'y a aucune politique sérieuse d'installation de vrais marchés depuis l'indépendance.Pire, nous avons démantelé les marchés hebdomadaires qui existent encore dans tous les pays du monde, y compris aux Etats-Unis». Il explique que ces marchés hebdomadaires avaient pour vocation de capter les ambulants astreints à une taxe forfaitaire sur des places réservées à cet effet un jour par semaine, et en même temps d'instaurer une concurrence active aux marchands établis sur les prix et la qualité des produits vendus, qui les rendait plus attentionnés vis-à-vis des clients.«Cela a toujours fonctionné, jusqu'à l'intrusion des bureaucrates dans la gestion de la cité», affirme-t-il. Pour ce qui est des solutions, El Hadj Tahar Boulenouar estime qu'il y en a beaucoup et donne deux exemples. «Il faut d'abord que les APC jouent leur rôle et assument leurs responsabilités. Celui qui n'est pas capable de gérer un marché, qu'il le donne à un privé apte à le faire, ou tout simplement le remettre à la wilaya qui a les prérogatives pour créer des sociétés publiques, avec des actionnaires privés, chargés de leur gestion.Par ailleurs, les organisations de patronat feraient mieux d'investir dans la création de marchés de proximité vu qu'on constate un manque important et que l'Etat a pris beaucoup de retard pour le faire et ne peut pas créer le nombre de marchés dont le secteur du commerce algérien a besoin.» Pour sa part, Ferhat Aït Ali pense : «Confier les marchés de proximité à un organisme commercial indépendant des APC et des wilayas, avec des prérogatives réglementaires, serait déjà une bonne initiative. Ensuite, la réhabilitation des marchés hebdomadaires vers lesquels seront orientés les ambulants en périphérie proche des centres urbains, sur des aires aménagées sommairement.»


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