Pour trouver ces femmes, qui s'adonnent au négoce de vieux vêtements depuis des temps immémoriaux, il faut emprunter la rue Abdelhamid Benbadis, plus connue par Arbaîne Chérif, face à la Medersa, la longer jusqu'au bout, bifurquer parmi les dédales de petites venelles, entre les ruines de maisons mauresques, jadis occupées par les familles les plus prestigieuses de Constantine, et se rendre à la rue des Frères Makhlouf, ou Sidi Djeliss.
Elles sont une cinquantaine à côtoyer les artisans bijoutiers, et surtout les fameuses confiseries traditionnelles, dont les pralinés surprennent agréablement l'odorat, au-delà des relents de moisi et d'humidité qui caractérisent d'ordinaire la vieille ville. Elles sont assises en tailleur au milieu de leurs chiffons, devisant à qui mieux mieux, s'interpellant d'un étal (à même les pavés), à l'autre. Elles refusent de mendier. Elles arrivent, pour les plus anciennes, vers 8h 30 (leurs places respectives sont tacitement préservées), et installent la marchandise sur de grandes nappes de plastique, le plus souvent faites à partir de sachets accolés. Celle-ci se résume en vêtements hétéroclites, usagés, et quelques accessoires, comme de vieux sacs à main, ceintures et autres chaussures. Avant, nous dit l'une d'elles, « on vendait même des bijoux, en or et en argent, à présent c'est trop risqué, c'est la loi du plus fort, c'est devenu un créneau pour les hommes ». Elles font le tri, et les hardes les plus potables sont suspendues au moyen de crochets de fortune aux murs de pierre des maisons, encore habitées en dépit du fait qu'elles menacent ruine et que leurs premiers occupants aient été relogés.D'autres donc sont venus remplacer les premiers, et aident un peu à leur manière ces femmes en acceptant de leur entreposer la marchandise dans les nombreux réduits de ces vieilles habitations. Ces femmes relève toutes du cas social, entre divorcées et veuves avec beaucoup d'enfants à charge. Fadéla, la soixantaine, mère de trois enfants, divorcée il y a 25 ans, vend, depuis ce temps-là tout ce qu'on lui donne, pour, ne serait-ce, dit-elle « acheter du pain et du lait, et payer le loyer ». Elles peuvent gagner parfois jusqu'à 1000 DA/jour, confient certaines, d'autres fois, pas plus de 30 DA. Leurs clients sont encore plus pauvres ! Quant à El Hadja Zohra, septuagénaire, c'est le boute-en-train de la compagnie. Aucun de ses huit enfants n'a un travail. L'aîné est hémodialysé, et elle lui rend visite à l'hôpital au quotidien, et le deuxième a eu le doigt broyé par une machine à fabriquer des merguez lorsqu'il travaillait au noir chez un boucher (bien connu sur la place constantinoise), qui refuse de l'indemniser. Elle évoque sa situation et celle de ses congénères. « Nous sommes des victimes à cause de notre extrême pauvreté ; nous endurons des brimades de la part de la plupart des hommes qui nous entourent ; nous ne faisons pourtant rien de mal, nous les respectons tous, et nous nous faisons toutes petites », avoue-t-elle. La doyenne de ce marché aux puces, pas comme les autres, est El Hadja Meriem, âgée de plus de 90 ans. Elle est à la même place depuis' 1939, avec sa m'leya, qu'elle refuse, mordicus, à l'instar de quatre autres, de troquer contre un hidjab.
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Posté Le : 20/06/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Farida Hamadou
Source : www.elwatan.com