Algérie

Manuel du flou



Manuel du flou
L'autoroute est - ouest commence à l'ouest et finira à l'est. Pour le reste c'est flou. Etrange sujet pour une enquête anthropologique en Algérie : pourquoi le pays, ses routes, villes et croisements, manquent tellement d'indications et de panneaux ' Manuel du flou : en Algérie on a cette impression que le pays n'est pas destiné aux autres, le reste de l'humanité, mais seulement à lui-même. Et même dans ce cas, il y a l'exception : chaque ville est destinée aux siens, ses habitants, «ses fils de la ville». Chaque quartier. Chaque coin. Rien ou presque n'est fait pour accueillir l'étranger, le voyageur visiteur, le guider, lui faciliter l'adresse et le seuil de la porte. A cela s'ajoutent deux autres malheurs : celui des noms en photocopie, selon les gloires staliniennes et les hommages aux libérateurs. Partout une place Premier Novembre, une rue Larbi Ben M'hidi, une parallèle au nom de Khemisti. Un café «Marhaba», un resto quatre saisons. La commission des noms, au sein des APC, est celle la moins connue du public, du peuple. Les villes algériennes ont des cartographies et des noms d'espace selon l'espace dirigiste centraliste jacobin du régime. On connaît cet amour qu'ont les dictatures pour les noms des places publiques.
Diagnostic clos ' Nom. L'espace, sa cartographie se complique avec les strates des langues et des histoires : chaque rue a en effet le nom que lui donne la mairie et celui que lui donnent ses chômeurs ou vieux habitants et le dernier nom que lui ont donné les colons français. Cela va de l'ex-Rue X, à l'actuel rue Y avec ce terrible index de «Cité de 2345 logements». Affreux anonymats du recasement et encasernement de l'espace dans l'étiquette des literies et des cantonnements. Du coup, on peut imaginer tout un film, une remontée des temps, un roman sur l'angoisse d'un facteur algérien, chargé de remettre une lettre retrouvée dix ans après la mort de Boumediene, à une adresse qui a été effacé et déplacée par les relogements, les colonisations, les décolonisations et les choix des seigneurs du moment. C'est qu'en effet les guerres ne sont pas finies : entre l'histoire et nos géographies, ancêtres et colons, clans et espaces, piétons et passants, habitants «d'origine», Ould El Bled et enfants d'une autre tribu, régions et régionalistes. L'espace est comme l'histoire, encore en suspens, fermé aux étrangers, lié par le sang des siens et pas par l'épopée collective. Espace soumis à la violence, villes closes, interdit aux autres et à l'humanité qui féconde. C'est donc le labyrinthe où l'on ne circule que si l'on a un proche, un ami, un protecteur ou des indications orales. Sinon, c'est l'errance ou le voyage en rond.


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