Algérie

Mansour Daw, le bras droit de Kadhafi et Huneish Nasr son chauffeur témoignent



Mansour Daw, le bras droit de Kadhafi et Huneish Nasr son chauffeur témoignent
C’est seulement lorsque les balles de tirs directs se sont mises à frapper les murs de sa maison que ¬Kadhafi a décidé de fuir raconte l’envoyé spécial de Paris Match. Jusqu’au bout, il voulait résister. Terré dans le " District 2 ", au cœur de sa ville natale de Syrte dévastée par les bombardements, presque sans nourriture, avec très peu d’eau, le Guide déchu a cru pendant des semaines pouvoir encore organiser la contre-attaque. Mais les tirs sont à présent trop proches. Les kadhafistes ne tiennent plus que trois pâtés de maisons et vivent dans la crainte d’une frappe aérienne de l’Otan.
Dirigés par Moatassem, le fils le plus radical de Kadhafi, ils ne sont guère plus d’une centaine à former un dernier carré de fidèles. Eparpillés dans les ruines et sur le toit des immeubles restés debout, ils constituent l’ultime chaîne de protection contre la fureur vengeresse des ¬rebelles. Mercredi soir, Moatassem fait charger les pick-up d’armes et de carburant pour tenter une percée. Chaque voiture est rangée dans une cour ou cachée parmi des débris. Au petit matin, le jeudi 20 octobre, la colonne d’une quarantaine de véhicules prend la fuite. Armés jusqu’aux dents, les combattants espèrent se glisser entre les lignes pendant que les rebelles dorment encore.
" La voiture où je suis monté avec El Kadhafi était vers l’arrière du convoi. Le Toyota Land Cruiser n’avait rien de ¬particulier, à part un léger blindage ", ¬explique Mansour Daw, (photo: gardé par des rebelles à Misrata) bras droit du dictateur et l’un des seuls survivants de l’expédition. Sans presque ouvrir le feu, la colonne parvient à sortir du centre-ville. Mais si les premières lignes rebelles, épuisées par des semaines de combat, ne voient rien passer, un drone américain repère la troupe qui tente de filer. Ils espéraient atteindre la bourgade -natale de Kadhafi, là où, selon la légende, il est né sous une tente de Bédouins, en lisière du désert, il y a soixante-neuf ans. Mais, dans la banlieue de Syrte, le drone Predator tire un missile en travers de la route, frappant trois des voitures (photo: des squelettes carbonisés dans des carcasses de voitures calcinées). L’Otan ne sait pas qu’il s’agit du convoi de ¬Kadhafi et le missile rate sa voiture. Mais le souffle enclenche les airbags, et Mansour Daw est touché par du shrapnell.
Ce ne sont pas tant les morts qui ¬arrêtent les fuyards – ils laissent derrière eux un sillage de cadavres – que la propagation de l’alerte. Il est 9 heures du matin et les rebelles sont debout. Pour son malheur, la colonne de Kadhafi a choisi le chemin de l’ouest, espérant ¬regagner le désert pour foncer vers le sud, chez les Touareg. Mais l’ouest de la ville est tenu par les insurgés venus de Misrata, la cité côtière que l’armée du dictateur a assaillie pendant des mois. Les survivants sont devenus les plus ¬farouches guerriers de la rébellion. Ce sont eux qui ont fait basculer la bataille de Tripoli et ont chassé Kadhafi de sa capitale, en août dernier. A l’appellation de " ville martyre ", ils préfèrent maintenant " Misrata : l’usine à fabriquer des hommes ". C’est dans Misrata que le haut commandement rebelle tient ¬aujourd’hui Mansour Daw au secret, sous bonne garde, pour éviter qu’il soit exécuté par la foule comme Moatassem, capturé vivant jeudi, et dont le corps gît à présent, défiguré, à côté de celui de son père. Un des commandants, avec qui nous étions en avril dernier pendant le siège de Misrata, accepte de nous le faire rencontrer. Longtemps chef des redoutables gardes populaires, considéré comme le numéro trois du pouvoir ¬occulte qui régna sur Tripoli, Mansour Daw était une des terreurs du régime Kadhafi. Les commandants rebelles lui parlent encore avec un peu de crainte, et avec le respect dû à l’ennemi qui n’a pas flanché. Après l’avoir tant haï, ils ont fait soigner le vieil homme et assurent qu’il aura un procès équitable.
Le fidèle lieutenant lâche par bribes la vérité sur les dernières semaines du tyran. " On a dit que j’étais parti au Niger après la chute de Tripoli, mais c’est faux. Je suis toujours resté avec El Kadhafi ", raconte Mansour. Contrairement à ce que beaucoup suspectaient, le groupe n’avait plus de cash ni de lingots d’or. " On a quitté Tripoli si vite qu’on a pris seulement ce qu’on pouvait porter ", ¬affirme Mansour. Replié à Beni Oulid, à 170 kilomètres au sud de la capitale, Kadhafi a fait ses adieux à sa famille vers la fin du mois d’août. Un convoi avec sa femme, sa fille et deux de ses fils, inutiles au combat, s’est glissé vers le sud pour atteindre la frontière algérienne. Saïf al-Islam, le fils le plus important, est resté sur place pour tenter d’organiser une résistance. Kadhafi, lui, est parti -directement pour Syrte, escorté par Moatassem et sa garde prétorienne. " Ça faisait des mois qu’on lui disait d’abdiquer puis de quitter la Libye. Mais pas une seconde il n’a envisagé de partir. " Caché dans des maisons banales de Syrte " parce qu’il n’y avait plus de bunker ", le groupe n’a plus aucune nouvelle de l’extérieur. Les hommes de Moatassem organisent la résistance tout autour, mais ne s’approchent jamais de Kadhafi. " Nous avions bien un téléphone satellite, mais on ne l’allumait pas, pour ne pas se faire repérer par les Américains. "
Dans la dernière maison, ils ne sont plus que douze autour de leur Guide. Quand le cuisinier est blessé par une ¬roquette, ils se mettent à la popote à tour de rôle : rations de riz, macaronis. Rapidement, la nourriture vient à manquer. " El Kadhafi restait le maître, mais dans la maison nous étions tous égaux ", ¬explique Mansour, racontant comment le groupe finit par ne se partager que du pain coupé d’eau sucrée. " Le Guide ¬lisait le Coran et ne parlait presque plus. " Pendant des semaines, Kadhafi reste convaincu qu’il peut rallier les hommes de sa tribu, les Kadhafa, et reprendre le pouvoir. Dans Syrte, ils sont encore environ 400 à contrôler le centre-ville. Mais, chaque jour, il en meurt une poignée. Chaque nuit, deux ou trois prennent la fuite. " Les Kadhafa nous ont lâchés. Ils partaient en voiture avec des femmes, en faisant semblant d’être des civils ", se souvient Mansour.
Ce n’est que début octobre, lorsque les rebelles parvinrent enfin dans le ¬centre de Syrte, que Kadhafi prit conscience de sa perte imminente. " A partir de là, ce fut fini, il attendait la mort. " Moatassem refuse pourtant de mourir dos au mur. C’est lui qui convainc son père, jeudi matin, de monter dans le dernier convoi. Tiraillant sous le feu qui s’intensifie, la colonne parvient à faire quelques centaines de mètres après la frappe du drone. Ils coupent vers la grand-route à travers une prairie ensablée. Presque hors de Syrte, dans la banlieue de Mazrat Zafaran, à 5 kilomètres du centre-ville, ils tombent sur la position de la Khatibat Nimr, la " brigade du tigre ". C’est une des unités les plus aguerries de Misrata, et les hommes clouent la caravane sous un déluge de feu. Le convoi forme alors le cercle pour protéger son chef. La bataille, d’une ¬férocité extrême, dure jusqu’au milieu de la matinée. Tout autour, les rangées d’eucalyptus sont sectionnées à mi-hauteur. A court de munitions, les rebelles appellent en renfort une autre brigade, la Khatibat al-Khirane, dont les recrues viennent d’un faubourg pauvre de Misrata. Mal équipée, presque sans uniformes, cette seconde unité doit ¬encercler puis ratisser la zone.
Il est près de 11 heures du matin quand les jets français de l’Otan interviennent. " Ils ont largué deux bombes au milieu de notre troupe. Ça a fait un carnage ", se souvient Mansour Daw. Maintenant couché sur un matelas souillé, dans une maison de Misrata transformée en prison, le fidèle parmi les fidèles a le visage tuméfié de shrapnell, et plusieurs éclats dans le dos et le bras. " Comme nos voitures étaient chargées d’essence et de munitions, tout a brûlé ", explique le rescapé. A Mazrat Zafaran, on peut voir le large cratère laissé dans le sable par un des missiles français. Les carcasses retournées et ¬calcinées d’une vingtaine de voitures s’entassent alentour. Des corps gisent encore dans certains véhicules, carbonisés dans des positions atroces alors qu’ils tentaient de fuir. Un homme aux jambes arrachées a laissé une longue coulée de sang en rampant loin du brasier et des caisses de munitions en train d’exploser. Il a fini quelques mètres plus loin, les yeux écarquillés de douleur.
Au centre, près de l’impact, les ¬rebelles ont déjà mis 40 corps dans des gros sacs de toile blanche.
Blessé à la tête lors de l’explosion, Kadhafi saigne abondamment. Il tient debout mais ne peut plus courir. Son fils Moatassem et les derniers hommes valides l’abandonnent pour fuir à pied, talonnés par les ¬rebelles de la " brigade du tigre ". Mansour Daw reste avec son maître. " Je le soutenais par l’épaule et on s’est mis à marcher à travers les arbres. " Il n’y a plus avec le Guide que Abou Bakr Younis Jabr, le chef de sa sécurité personnelle, et une poignée de gardes du corps. En marchant 140 pas en direction du nord depuis le site de la frappe française, ils arrivent à découvert près d’une large route surélevée. " On voyait d’autres ¬rebelles qui s’avançaient vers nous en ¬tirant, alors j’ai fait entrer El Kadhafi dans le tunnel pour le mettre à l’abri. " Il s’agit en fait de deux grosses buses de drainage qui passent sous la route. Bakr Younis Jabr pénètre dans celle de gauche, Mansour entre avec -Kadhafi dans celle de droite.
" Mais c’était trop étroit pour nous deux, alors j’ai fait demi-tour pendant qu’il avançait à quatre pattes vers la sortie, de l’autre côté. "Mansour Daw, dit que Kadhafi n’avait encore qu’une seule blessure ¬sérieuse, à la tempe gauche, causée par des éclats. "
Le chauffeur de Kadhafi témoigne
Après le témoignage de Danie Odendaal, un mercenaire sud-africain chargé de la sécurité de Mouammar Kadhafi, c’est au tour de Huneish Nasr, son chauffeur personnel pendant trente ans, de raconter les dernières heures de l’ex-dirigeant libyen, capturé et assassiné le 20 octobre.
" Il est le dernier à avoir vu le chef debout sur les ruines de Syrte, regardant l’enfer se déchaîner autour de lui, " raconte le Guardian, lyrique.
Les cinq derniers jours avant la capture du " Guide ", M. Nasr les a passés aux côtés de Kadhafi. Ensemble, ils ont échappé à la traque des rebelles en passant de maison en maison. Jusqu’à la capture.
" Les révolutionnaires venaient pour nous. Lui n’avait pas peur, mais il ne semblait pas vraiment savoir quoi faire. Je ne l’avais jamais vu comme ça ", raconte l’homme au visage fin et émacié, qui parle de sa cellule de fortune de Misrata. Puis, les rebelles sont arrivés et avec eux une pluie de coups. L’ex-dirigeant fut ensuite embarqué dans une voiture. La suite est connue.
Qu’est-il advenu des derniers collaborateurs de Mouammar Kadhafi encore vivants ? " Je ne sais pas où ils sont. Ils peuvent être n’importe où. Avec les révolutionnaires ou bien morts, " répond M. Nasr au journaliste, qui décrit sa tenue : " Une chemise à carreaux violette encore maculée de sang. " La même qu’il portait ce jour-là.Mardi 25 octobre, il fut jeté à l’arrière d’une camionnette par des membres du CNT. Ils ont roulé longtemps. Ils sont arrivés au milieu du désert. Là, il a vu son ancien chef dans une simple tombe puis l’a regardé se faire couvrir de sable.

La télévision qatari Al Alaan TV a diffusé une vidéo amateur montrant Mouammar Kadhafi avant son inhumation. A côté du corps de l’ex- "Guide ", se trouvent également celui de son fils, Moatassim, et de l’ancien ministre de la Défense libyen, Abu Bakr Younes.



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