Algérie - COMMUNAUTES

Manitou : le maître de la tradition orale.par Raphy MARCIANO



Manitou : le maître de la tradition orale.par Raphy MARCIANO
Né en 1932 à Oran Léon Ashkénazi est le second d’une famille de six enfants. Son père David Ashkénazi sera successivement Grand Rabbin d’Oran et d’Algérie. Le jeune Léon fréquente l’école rabbinique d’Oran. A Orsay, il deviendra l’élève de Jacob Gordin et étudiera à Paris avec le Rabbin Elie MUNK, il sera le disciple du Rav Tsvi Yehouda KOOK. Exclu de l’école pendant la guerre, Léon Ashkénazi poursuivra ses études de philosophie en 1946 à la Sorbonne. A Orsay, il côtoiera à la fin de la guerre Robert Gamzon, il fera partie de la promotion II où il épousera Bambi.

En 1950, Manitou devient Directeur d’Orsay, Président de l’UEJF et l’aumônier et commissaire général des EEIF. Il participe à la fondation du DEJJ-France et du Centre Communautaire – Poissonnière.

En 1968, Manitou fait son alya à Jérusalem où il crée l’Institut Maayanot.

A la différence, des autres grandes figures de l'école de pensée juive de langue française (André Neher, Emmanuel Levinas, Elianne Amado, Jacob Gordin) Léon Ashkenazi –Manitou, ne se définit pas comme un écrivain, comme un homme de l'écriture, mais plutôt comme un homme de la tradition orale.

Différents ouvrages, portant sa signature sont parus jusqu'à présent, mais il s'agit dans tous les cas de la retranscription, par des disciples, d'un enseignement oral du maître. Car pour Manitou transmettre, enseigner, éduquer, sont des actes de parole, de communication, où s'expriment des pensées, des idéaux, des espérances ; de ce point de vue il est le continuateur d'une longue lignée, des maîtres du judaïsme classique, qui depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours ont privilégié le lien intime, intense, et profond qui lie le « moreh » et le « talmid », le transmetteur du savoir et le disciple.

Pour Manitou comme l'appelaient chaleureusement ses amis en pensant au totem des EEIF, l'éducation juive ne peut plus être de nos jours, une pure et simple répétition de la pédagogie des siècles précédents ; aujourd'hui, pensait-il, nous ne pouvons plus enseigner la Bible et le Talmud, comme nous l'avons enseigné dans le passé, car un événement majeur, révolutionnaire, radical s’est produit au XXème siècle et a changé profondément la nature de l'existence juive : la création de l'État d'Israël, qui marque la fin de ce qu'il appelle « la diaspora du Second Temple », c'est-à-dire la longue période où les juifs cherchent à survivre, dans un exil, dans la dispersion, à travers le monde, après la fin du royaume de Judée de l'an 70.

Nous avons changé de statut historique, car nous ne vivons plus dans l'époque de la « diaspora du Second Temple » mais plutôt à l'époque inédite de « la construction de la Troisième Maison d'Israël »

L'État d'Israël est la pierre fondatrice de cet édifice de l'histoire juive.

Cet enseignement constitue l'intuition la plus originale et la plus profonde.

Il suffit de lire les commentaires des cinq livres de la Torah par Manitou, pour s'apercevoir que cet événement majeur de l'histoire juive, marque profondément son interprétation des textes sacrés. Quand Manitou explique la Paracha « Lekh-Lekha » avec le premier appel divin, au patriarche Abraham, de quitter sa terre natale, pour partir vers Canaan, Manitou y voit le commencement de la longue trajectoire historique d'Israël.

Il lit le texte en se disant : « nos ancêtres sont venus s'installer sur cette terre, où nous avons séjourné durant des siècles. Aujourd’hui, la boucle est bouclée, nous sommes de retour sur notre terre ».

C'est là une lecture existentielle du texte, car pour Manitou les textes de l'écriture biblique s'adressent aux lecteurs juifs, et font appel à leur intelligence, et à leur sensibilité. Tout au long de ses conférences, sur les différentes lectures de la Torah, nous trouvons la même grille interprétative : un livre qui s'adresse à un peuple, et qui établit un lien entre des hommes et une terre, car la terre d'Israël, est pour Manitou une dimension incontournable de l'existence juive.

L'exil a duré trop longtemps et il n'est pas éternel, il ne constitue pas une fatalité à laquelle la nation d'Israël est censée se soumettre avec résignation.

La Gola est juste une épreuve historique.

L’enseignement de Manitou ne s'adresse pas à un cercle de fidèles dévots, engagés dans une stricte religiosité. Il s'adresse à tous les héritiers de la maison d'Israël, car pour Manitou l'existence juive n'est pas une adhésion à une doctrine, à un dogme, ou un rite, elle est l'inscription dans une Histoire, dans un passé, dans un avenir. De façon telle que tous les juifs du monde, quel que soit leur degré d'engagement religieux, sont les héritiers et les continuateurs de ce patrimoine spirituel.

Enseigner pour Manitou c’est s’adresser à tous, dans un langage audible pour tous, il n’enseigne pas dans un langage « yechivatique », dans un langage de culpabilisation, ou de moralisation, mais dans un « langage d'engagement », parfois derrière un humour décapant et avec un don pour la narration.

Formant des générations de disciples, Léon Ashkenazi a marqué le judaïsme et la vie juive de son époque du sceau de son enseignement, de sa personnalité et de son vaste esprit de synthèse.


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