Algérie

Manichéisme



Manichéisme
«Il n'y a aucun mal dont il ne naisse un bien.» Marquis de Sade«Il n'y a vraiment pas de quoi se mettre martel en tête!» s'exclama sentencieusement Sid-Ahmed. «Tu sais, ces petites injustices existent depuis que l'école existe et elles ne sont pas mortelles. Je ne comprends pas que toi, qui t'es nourri aux théories marxistes, n'ait pas assimilé le fait que l'école est, sous tous les régimes, faite pour reproduire l'ordre social existant et que les professeurs ne sont que des citoyens comme tous les autres: ils sont sensibles aux avantages matériels, peuvent être tentés de plaire à quiconque peut les aider à résoudre un problème qui les tracasse. Alors, le fils ou la fille du caïd, du préfet, d'un patron d'usine ou d'un haut fonctionnaire, bénéficieront de toutes les attentions des professeurs malhonnêtes. Le diplôme a une valeur commerciale comme tout produit. Tu as bien entendu que des ministres ont bénéficié de diplôme de complaisance.» Je hochai la tête et lui répondis: «Entièrement d'accord avec toi! Mais n'oublie pas qu'à l'époque, j'avais 15 ans et que personne ne m'avait parlé encore de Marx et de ses apôtres. Je sentais les choses mais d'une manière confuse: mon petit cerveau n'avait pas encore réussi à intégrer ces petites choses dans le schéma général de l'ordre social existant. Pour moi, un bon élève, est un bon élève quelle que soit son origine sociale ou ethnique et un cancre restera un cancre, même s'il roule sur des millions. Et, le plus grave est qu'on avait trop idéalisé le statut d'enseignant et qu'on restait prisonnier de l'image d'Epinal d'un Charlemagne louant les réussites des élèves modestes et vitupérant le laxisme des fils de la noblesse. Toujours est-il que je n'oublierai jamais la colère de Madame B...: s'en voulant d'être prise la main dans le sac, elle fit éclater sa colère. Ses yeux lançaient des foudres et elle m'affubla de tous les adjectifs péjoratifs qu'un élève pouvait ramasser. Elle me traita de petit orgueilleux, critiqua ma tenue négligée et l'horrible présentation de mes devoirs. Elle expliqua même qu'elle m'avait enlevé deux points pour la mauvaise qualité de mon écriture. Et pour finir, elle me menaça, si je persistais dans mon insolence, elle m'enverrait chez le surveillant général pour indiscipline. C'était l'arme suprême de dissuasion pour tout élève timoré. Or, le surveillant général, un ancien sergent de l'armée était la terreur de tous les élèves et ses gifles passaient pour un modèle de violence. Ce bref, mais mémorable incident aurait pu être classé et rangé dans les oubliettes de ma mémoire, si je n'avais pas été pris en charge à la même époque par une professeure de sciences qui avait dû en entendre parler, pour la bonne raison qu'elle avait une fille comme élève au collège. Cette adorable femme d'un certain âge, était originaire des Pyrénées et nous prodiguait son cours de sciences naturelles avec une douceur incroyable. Elle repéra vite ma vivacité d'esprit et mon intérêt pour son cours. Elle commença par me prêter des livres: romans et livres à contenu politique qui contribuèrent à construire plus vite ma personnalité. Un dimanche, elle m'invita même à déjeuner chez elle: elle me présenta à son mari et à ses deux enfants, et je savourai le plat de sardines avec l'appétit du potache sous-alimenté que j'étais. L'époux de la dame, un ancien résistant et inspecteur d'académie, m'exprima son scepticisme sur les années qui suivront l'indépendance en raison des difficultés économiques que le pays allait connaître. Quant à la dame, elle me confia que le dernier conseil des professeurs avait été orageux, en raison de l'opposition farouche de madame B... à toutes les propositions des autres professeurs qui étaient satisfaits de mes résultats. Cette confidence, pour ne pas nuire à la réputation de cette professeure, je la gardai en silence comme un butin de guerre: il y avait bien deux France. Celle de la justice et celle du déni. Celle du bien et celle du mal.»




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