Algérie

Malmené et pris pour le dindon de la farce dans toutes les situations Le client est-il roi?


Malmené et pris pour le dindon de la farce dans toutes les situations Le client est-il roi?
Publié le 26.07.2023 dans le Quotidien l’Expression
Par Kamel Boudjadi

Le client est roi, dites-vous? Le terrain dit exactement le contraire. La balade d'une journée à différents endroits et dans tous les contextes, il apparaît clairement que le client est vraiment malmené. Pis encore, il est le dindon de la farce dans une situation où les services du commerce et les commerçants se regardent en chiens de faïence. Les premiers établissent des codes de conduite qui s'apparentent à des diktats que le client, tout seul, ne peut remettre en cause. Les services du commerce restent impassibles devant ces pratiques invraisemblables mais qui sont hélas ignorées par le législateur qui a rédigé les lois régissant le secteur en général et celles régissant les relations entre les commerçants et les clients, en particulier
Sur les marchés de fruits et légumes, dans les commerces et autres boutiques, dans les restaurants et dans les cafés, le client n'a pas du tout l'air d'être le roi. Pour lui, c'est juste un mot creux qui n'a aucun sens. Il est trompé, agressé, voire même maltraité dans certains cas. Pour s'en apercevoir, il suffit de se mettre dans la peau du client dans différents contextes. Il suffit d'entrer au marché pour se sentir floué et pris pour un abruti. Et c'est justement cette tournée que nous avons choisi d'effectuer pour discuter avec les clients et les commerçants. Nous découvrirons des pratiques ancrées et que les services du commerce n'ont jamais contrôlées. Des habitudes tellement ancrées que le client se sent obligé de dire merci aux commerçants alors que c'est exactement le contraire qui doit se faire. Ce qui est également regrettable, c'est que les associations de protection des consommateurs ne prennent pas au sérieux ces petites pratiques mais qui, à la longue, ont fini par inverser la tendance.
Il semblerait que la relation entre le commerçant et le client est, à la base, dictée par des conditions et des réflexes traditionnels qui ont conforté la suprématie du premier. «J'ai 70 ans et j'ai toujours fait mes achats chez le même commerçant. Il me sert quand j'ai de l'argent et quand je n'en ai pas. Alors, moi, de mon côté, je ne voudrais pas le changer pour la concurrence» explique Aâmi Ravah. Par contre, son fils, tenant un commerce dans la ville de Tizi Ouzou, pense exactement le contraire. «C'est une relation de dépendance. Même si la qualité de ces produits est médiocre, mon père les achète quand même». Un avis que ne partage pas le vieil homme qui pense qu'il est normal de faire cela, car lorsqu'il n'a pas d'argent, il prend ce qu'il veut et paye quand il peut.
«Avaler le crapaud» pour se faire servir
Cette règle en vigueur dans l'ancien système se trouve battue en brèche à l'arrivée aux grandes surfaces et au commerce électronique, mais, cette relation de dépendance n'a pour autant pas disparu, pour une autre raison. La fréquence des pénuries de certains produits a fini par créer des relations spécifiques entre commerçant et clients. «Lorsque surviennent les pénuries, il m'a toujours réservé mon quota. Je trouve toujours mon bidon d'huile, comme mes sachets de lait. Alors moi aussi, je ne peux pas le changer pour cinq dinars de moins, par un autre commerçant. Mais, en fait, ces rapports empêchent la libération du client qui vit toujours dans cette spirale inversée qui fait que c'est le commerçant qui devient roi alors que son rôle est de servir le client.
Une virée sur les marchés des fruits et légumes laisse apparaître au grand jour les pratiques pernicieuses et invraisemblablement autoritaires des commerçants. «Je suis obligé d'acheter les tiges?», questionne un homme qui demande à acheter des artichauts. «Oui», répond sèchement le commerçant. En fait, les marchands vendent des artichauts avec des tiges de 50 cm. Une fois pesés et inclus dans l'addition, le commerçant demande ensuite si le client souhaite les découper. Une aberration sur laquelle les services du commerce ferment les yeux, laissant le consommateur subir ce diktat. «Pourquoi ne coupes-tu pas la tige avant de peser? C'est injuste. Tu me fais payer quelque chose que je ne mangerai pas et tu me demandes par la suite si je veux la faire découper», réagit un homme, la soixantaine, au marché de Draâ Ben Khedda. «Tu prends comme ça ou tu me laisses servir un autre», répond sèchement et méchamment le commerçant.
Un peu plus loin, une dame s'accroche avec un commerçant qui lui sert des oignons avec des feuilles moisies. «Pourquoi pesez-vous les feuilles? Je n'en veux pas», dit-elle. «Si vous n'en voulez pas, je vous les coupe», répond gentiment le commerçant. Mais en fait, la rixe a éclaté parce que le commerçant a d'abord pesé les oignons avec les feuilles, avant de les couper. «Y a-t-il une loi sur ce marché?», s'écrie la dame, choquée par la méchanceté du commerçant. En fait, les «coutumes» en question sont généralisées. Le client ne peut pas bousculer l'ordre établi. «Voyez-vous, nous sommes obligés d'accepter ces pratiques injustes parce que ni les associations de protection du consommateur ni les services du commerce n'y attachent la moindre importance.
Servez-vous et partez très vite
Ce n'est pas uniquement sur les marchés que nous avons constaté l'inversion de la tendance entre les clients et les commerçants. Dans les restaurants et dans les cafés, le client ne jouit d'aucun respect ni considération. Bien au contraire. Ces dernières années, les cafés n'embauchent même plus de serveurs. Le client joue ce rôle malgré lui. Alors, pour illustrer ce fait, nous nous sommes attablés à une terrasse de café. Un quart d'heure est passé, puis une demi-heure, mais personne n'est venu vers nous. Nous nous sommes alors rapprochés du comptoir pour demander pourquoi personne ne venait nous servir. «Nous sommes restés à la terrasse plus d'une demi-heure mais personne n'est venu nous servir», avons-nous interrogé avec la plus grande courtoisie. «Il fallait venir au comptoir pour prendre vos boissons», répond l'homme derrière le comptoir.
La même scène s'est déroulée sur la majorité des cafés. Pis encore, le serveur n'a pas répondu à la question de savoir pourquoi les gens payent 40 dinars pour un café, sur ces lieux. «Savez-vous pourquoi on paye 40 DA ce café, mon fils?», interroge Ali, un homme, la soixantaine. «Non, parce que c'est le prix», répond gentiment et respectueusement le jeune serveur, qui ignore carrément la réponse. «Eh bien, mon fils, ce n'est pas la tasse de café qui coûte 40 dinars mais c'est le service que tu nous offre. Nous vous payons, le fait de s'asseoir à la terrasse, que tu nous ramènes un bon café avec du sucre et un verre d'eau et surtout, si possible, des mots gentils et un sourire», explique Ali, doctement et patiemment.
En fait, la notion de service n'existe pas dans la tête de la majorité des serveurs qui ignorent que c'est ce que paie le client. Jusqu'à présent, dans la majeure partie des cafés, c'est le client qui doit aller chercher sa boisson ou son café. Un café servi sans eau et dans des verres au lieu de la traditionnelle tasse et sous-tasse. Pire, dans toutes ces «transactions» commerciales, nous avons remarqué que c'est le client qui dit merci alors que logiquement, c'est le commerçant qui doit remercier son client de l'avoir choisi, lui, pas un autre.
Pour finir, il nous a été agréable de constater que les choses sont à leur place dans certains véhicules de transport. Dans les bus de la ville de Tizi Ouzou, tout le monde aura constaté, en effet, que les receveurs de l'Etusto, contrairement à ceux des bus privés, sont bien habillés et disent merci à chaque voyageur. Les employés, très respectueux, accompagnent toujours et immanquablement le ticket d'un merci au voyageur.
Le même comportement est constaté du côté des taxieurs, qui ont une attitude de vrais transporteurs bien conscients qu'ils sont au service de leurs clients. Alors, il nous a été possible de comprendre que la formation joue un rôle primordial dans certains domaines. La notion de service s'apprend grâce à des formations qui devraient être obligatoires pour le personnel des cafés, des restaurants et autres transports de voyageurs. Par contre, sur les marchés des fruits et légumes, la dissuasion s'avère indispensable pour rétablir le consommateur dans son droit au respect.