Algérie

Mali : jeu d'échecs ou loterie '


Par Ali Akika, cinéaste
Les événements qui se déroulent au Mali relèvent du jeu d'échecs et non de la loterie. Aux échecs, le joueur professionnel sacrifie souvent des pièces pour appâter l'amateur et l'envoyer plus rapidement au tapis en criant : «Cheikh math.» (échec et mat).
Ceci pour dire que la guerre n'obéit pas au hasard de la loterie comme le pensent les «barbus» qui se sont fait piéger, semble-t-il, en fonçant vers Bamako où les attendaient les forces françaises qui se sont déployées en quelques heures dans la capitale malienne en venant des bases installées dans les pays voisins. Ici et là s'écrivent des articles et des points de vue qui se focalisent sur un seul facteur pour accoucher d'une solution unique et définitive. Or, le Mali est assis sur un volcan et son feu est alimenté par des acteurs extérieurs et une mosaïque de problèmes enfantés par l'histoire et la vacuité de l'Etat malien. Il est donc nécessaire d'introduire tous les éléments du conflit pour adopter une position qui nous met à l'abri de désagréables surprises. Les impatients qui veulent résoudre un problème du moment qui les irrite doivent penser qu'un répit momentané peut être source demain de dangers non maîtrisables. Ainsi, l'Algérie est-elle confrontée à plusieurs acteurs qui lui veulent du mal ou bien qui veulent la neutraliser dans cette région du monde' Il est donc indispensable de saisir à la fois les données actuelles et anticiper les événements de demain qui sont dépendant et de l'histoire et de la dynamique enclenchée par le présent. C'est pourquoi ceux qui préconisent d'infléchir la politique du pays dans la guerre du Mali écornent quelque peu le socle hérité de notre histoire, le seul trésor inaliénable, comme dirait Kateb Yacine. Ils nous invitent à tourner le dos à une certaine vision des choses pour tenir compte de nos intérêts au nom d'un réalisme politique. En clair, ils sont d'avis que l'on aide la France au Mali. Devant les complexités de la guerre, il faut plutôt faire appel aux capacités d'anticipation qu'au réalisme qui aveugle plus qu'il n'éclaire. Bref, l'anticipation cerne la dynamique du réel alors que le «réalisme» le fige. Au moment où des pays habitués à intervenir militairement revoient leurs copies, alors que la partie de la classe politique éclairée sans parler des peuples de ces pays reprochent à leurs gouvernants de faire la guerre avec légèreté, on assiste chez nous à des «innovations» sous le couvert de la nécessité de vivre avec son temps. Mais c'est précisément tourner le dos à son époque que de suggérer «le réalisme pour la défense des intérêts nationaux» à l'aide d'arguments éculés. L'histoire est semée d'exemples d'hommes qui enrichissent de leurs combats la noblesse du principe de résistance plutôt que de se soumettre au principe de réalité sous la pression de la peur. Une telle «philosophie» aurait empêché les Algériens d'affronter la 4e puissance mondiale un certain 1er Novembre 1954. Car aujourd'hui, la défense des «intérêts nationaux» ne trompent plus personne. Ces intérêts ne sont en vérité que le cache-sexe de la mainmise sur les richesses des peuples. Ce n'est plus un critère pour qualifier une guerre de juste. Les guerres coloniales d'hier et celles d'aujourd'hui au nom de la démocratie sont passées par là et ont discrédité les «valeurs» de ces mêmes démocraties. Le rapport de force, qui est le seul facteur qui régit les relations internationales, ne se construit plus sur le seul paramètre de la force armée brute et brutale. L'expérience, la conscience historique qui habite les peuples et l'émergence de grandes puissances issues de certains de ces peuples ont démystifié le discours idéologique de la défense des intérêts nationaux. Cette dernière notion a coûté cher aux aventuriers qui croient que la même eau coule éternellement dans un fleuve (Héraclite). Les USA en savent quelque chose, puisque les leçons du Vietnam, de l'Irak et de l'Afghanistan les ont poussés à relativiser le fameux «réalisme » de «l'intérêt national». Comme la suggestion du «réalisme» a surgi dans les discours chez nous alors que la France mène une guerre au Mali, un pays où d'autres acteurs s'agitent, il est utile de s'attarder sur la politique de ce pays et de ces acteurs qui n'ont pas les mêmes objectifs, loin s'en faut, que ceux de l'Algérie. L'ignorance ou l'oubli des politiques des protagonistes du conflit et de leurs buts de guerre risque de nous réserver des surprises et de nous entraîner dans une aventure sans issue. Commençons par la France. La relation de l'Algérie indépendante avec la France a débuté avec De Gaulle. Ce dernier nous fit la guerre totalement et durement. Il lança moult opérations qui avaient pour nom «Jumelles», «Pierres précieuses» dans le but de négocier en position de force. Car la guerre d'Algérie jetait de l'ombre sur le prestige de la France et l'isolait sur la scène internationale. Car De Gaulle avait un dessein, rendre le lustre à son pays qui a été humilié en 39/45 et ignoré à Yalta quand les deux grands (Etats-Unis - URSS) s'étaient partagés le monde. De Gaulle voulait se débarrasser du fardeau Algérie pour renouer avec le monde arabe. On inventa alors la notion de diplomatie arabe de la France qui occupe encore une bonne partie des activités du Quai d'Orsay. Il persévéra dans son dessein en condamnant la guerre américaine au Vietnam et au Cambodge ainsi que l'agression israélienne de juin 1967 contre les pays arabes et pria les forces de l'Otan de déménager du sol français. Sa stature historique et la puissance de son verbe étaient des armes plus redoutables pour faire entendre la voix de la France que les bottes des armées françaises. Quant aux intérêts de la França-frique, il les défendait à l'aide de réseaux aussi discrets qu'efficaces dirigés par Foccart et exécutés par ses services spéciaux. Quand De Gaulle disparaît de la scène politique, ses successeurs n'ayant ni sa stature ni sa vision politique qui plonge ses racines dans l'histoire de la grande bourgeoisie française vont dilapider son héritage. Le premier à intervenir tous azimuts en Afrique fut Giscard d'Estaing qui envoya ses parachutistes sauter sur Kolwezi (Congo), ses Jaguar bombarder le Polisario. Le second président qui fit guerroyer son armée à l'extérieur en Irak et au Tchad fut Mitterrand. Vint ensuite Sarkozy qui s'agitait aux quatre coins de l'Afrique en insultant les Africains et en envoyant ses armées en Côte d'Ivoire et en Libye. Et le dernier de la liste, le président «normal» lança ses troupes aujourd'hui dans une aventure ‘‘anormale'' au Mali. Manque dans cette liste Jacques Chirac qui refusa d'impliquer son pays en Irak, dans une guerre qui dégageait l'odeur nauséabonde du mensonge. On remarque donc que sous le règne du seul gaulliste, Jacques Chirac, la France s'est abstenue de jouer aux cow-boys à l'extérieur tout en magouillant pour maintenir et défendre ses intérêts dans la França-frique. Ce bref survol historique nous montre que la France a perdu son statut de grande puissance, que ses dirigeants ont tourné le dos au dessein et à l'ambition d'un De Gaulle et ne résistent pas aux pressions politiques et idéologiques et même médiatiques. Ces pressions proviennent parfois d'un simple «philosophe» qui réussira tout de même à pousser un Sarkozy à écraser un pays comme la Libye. De Gaulle doit se retourner dans sa tombe quand on voit la diplomatie de son cher et vieux pays abandonner les leçons de l'histoire au profit du vacarme des armes et aux élucubrations d'un mégalo des salons parisiens. Tout ça pour dire que l'Algérie, qui est physiquement et historiquement liée à la région du Mali, n'a pas à faire preuve de «réalisme de circonstance» pour suivre aveuglement la conduite d'une autre puissance qui obéit à d'autres mobiles. Il est clair que les deux pays ne poursuivent pas les mêmes buts de guerre même si tactiquement ils concourent à neutraliser le même ennemi.
L'attitude face aux autres acteurs du Mali
Bien avant le déclenchement de la guerre, bien des analyses rapportées par les médias algériens ont décrit les ingrédients qui risquent d'entraîner le Mali vers l'abîme. Parmi ces ingrédients, notons la légèreté de la France qui, en 1961, rassembla dans un même territoire des populations dont les contradictions allaient s'aiguiser avec un Etat malien inscrit aux abonnés absents. Cet humus historique et le vide étatique attirèrent des contrebandiers et autres illuminés qui se rêvent en soldats d'une mission divine. Que faire face à cette situation ' Le Mali, qui a eu comme premier président Modibo Keïta, un progressiste qui voulait s'affranchir de la pesante présence française, n'est pas démuni d'hommes capables de prendre en charge leur destin, de reconstruire un véritable Etat pour se faire respecter. Cet Etat a en outre le devoir de revoir ses relations avec les Touareg marginalisés et en butte à la répression et à l'injustice. Voilà les alliés de l'Algérie, une amitié née pendant notre lutte de Libération. Telle doit être la politique du pays pour garantir l'intégrité territoriale du Mali et les droits des Touareg. Ainsi, le théâtre de l'affrontement au Mali comporte des acteurs (pièces) comme dans le jeu d'échecs. Il faut savoir placer ses pièces au bon endroit et au bon moment, en sacrifiant certaines pour mieux protéger le roi. Et le roi dans le pays porte un nom inaliénable : ALGERIE.
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