Pour le «compte-rendu», il s'agissait d'une rencontre entre la génération des lycéens en grève contre la France coloniale, un 19 mai 56, et ceux des générations actuelles, sous l'égide de la Délégation régionale ouest du MALG. Pour le «fond», il s'agissait du spectacle d'une filiation interrompue : entre l'histoire du MALG et l'histoire des «Services» algériens, entre les lycéens du sacrifice et ceux du brouhaha. Organisée dans le musée du Moudjahid à Oran, la matinée du jeudi, la rencontre, voulue comme «historique» et surtout pédagogique, avait tenté de casser les cadres vides des commémorations creuses. Pour le délégué régional, M. Mahi Bahi, ancien ministre de la Justice, mais surtout ancien du MALG, la bonne formule a été d'inviter, en masse, des lycéens d'Oran, à prendre la parole et à interroger les survivants de cette fameuse grève des lycéens qui a donné ses lettres de noblesse au FLN, porté jusque-là par l'image d'une révolte paysanne sans encadrement et isolé par la propagande coloniale sous le sceptre d'un mouvement terroriste sans incidence sur les classes moyennes et lettrées indigènes. Réduite à une seule demi-journée pour éviter la dispersion de l'attention d'un public difficile, la rencontre sera animée par cinq conférenciers, anciens du MALG entre autres, sur des thèmes de vulgarisation de l'action des lycéens algériens à cette époque : «nature de la participation estudiantine dans le succès de la Révolution», par Salih Benkoubi, «Rôle des étudiants en médecine après l'appel à la grève : cas des étudiants de Montpellier», par Med Feradi, «Le Dr Med Seghir Nekkache et moi», par Abdelalim Medjaoui, «La formation des cadres de l' ALN dans les Hautes Ecoles : la naissance de l'Armée de l'Air», par Hocine Senouci et, enfin, « Autour de la grève du 19 mai 1956», par Daho Ould Kabila, venu sous la casquette du conférencier et pas sous celle du ministre. Pourtant, et malgré sa pédagogie, la rencontre offrira surtout le spectacle étonnant d'une véritable filiation interrompue. D'abord, entre la génération de 56 dont les survivants présent à la salle, peinaient à accrocher la génération de Benbouzid, sauf lorsque, signe d'une sociologie urgente à méditer, le conférencier recourait à l'algérien courant pour exprimer une histoire qui devenait soudain vivante pour le jeune public. Scène d'une transmission mais aussi d'une narration impossible, l'observateur retenait surtout le spectacle d'une grave rupture dans la transmission de l'histoire algérienne, devenue impossible de part et d'autre. On avait même de la peine à lier la jeunesse grave et enthousiaste, parée à jamais par l'immobilité du portrait funéraire, d'un Cherfaoui Ali ou d'un Belahcène Houari, morts avant leur véritable vingtaine à l'époque de la guerre et les visages des lycéens invités de ce jeudi, enfants des générations «Benbouzid», sortant eux-mêmes d'une grève inédite contre le ministère de tutelle, pour dénoncer les cafouillages devenus séculaires de l'Education algérienne après l'Indépendance. Face à des conférenciers dont on peinait à entrevoir la jeunesse interrompue par l'engagement à l'époque et le sacrifice absolu que cela supposait et dont on mesure à peine la facture aujourd'hui, les lycéens d'aujourd'hui, brisés dans leur spontanéité par un système d'apprentissage pavlovien incapable d'ouvrir la voie à la liberté de ton, rateront même l'occasion d'un véritable débat avec le ministre, par une série de questions conditionnées par les programmes et les réflexes de la conformité et de conformisme. Etrange bouleversement des situations, si pour les anciens grévistes de 56, l'engagement de cette époque s'expliquait par l'histoire comme pour les convictions, celui impossible du jeudi restera peut-être pour toujours un mystère. «C'est seulement en 56, que la Révolution a reçu ses grandes lettres de noblesse : l'engagement de l'association des ulémas, le ralliement des modérés, la création de l'UGTA et de l'UGCA. L'ALN commençait à être encadrée par des gens instruits», nous résumera l'une des figures de l'UGEMA (Union générale des étudiants musulmans algériens). Pour la petite histoire, «c'est la section d'Alger qui décida seule d'une grève illimitée», nous racontera l'un des participants : le bureau de l'UGEMA autant que le FLN ne feront qu'accompagner puis récupérer un mouvement parti sur un prétexte, ne visant que les universitaires en principe, mais aboutissant à l'expression d'un véritable engagement en faveur de la Révolution. «Il ne faut pas oublier ce que signifiait le sacrifice d'une carrière pour les étudiants algériens et les lycéens algériens à l'époque de l'apartheid colonial», nous dira l'une des figures de l'UGEMA. «Beaucoup d'entre nous ne reprendrons que difficilement leurs études après l'Indépendance, et la grève illimitée avait été décidée à 01 mois des examens». Pour les chiffres, ceux-ci sont étonnants lorsqu'on les mesure à partir des quatre décennies de l'Indépendance algérienne : sur les 5.700 étudiants de l'unique université de l'époque, 684 seulement étaient algériens dont 67 femmes. Et sur les 7.132 lycéens algériens, un millier rejoindront le maquis dès les lendemains du mouvement. «C'est de cette grève que l'on peut dater le début d'une véritable politique d'encadrement du FLN». Pour le tableau, il faut aussi rappeler que «la France n'a formé, de 1860 à 1915 que 02 médecins, 01 pharmacien, et 02 sages-femmes», selon certaines sources. «Les seules filières «ouvertes» aux indigènes restaient encore le droit et la médecine par exemple». Les lendemains de cette grève seront eux aussi terribles, selon les témoins de cette époque : en 57, il «ne restait que 3.886 lycéens dans le cursus». Pour l'explication, il s'agissait de la conséquence du départ de certains, plus d'un millier, vers le maquis mais aussi du départ de beaucoup d'autres en exil, pour poursuivre les études avec un soutien français, l'idée étant d'éviter que le FLN ne profite de ces promotions. «Le FLN en fera de même en finançant les bourses d'études de beaucoup d'Algériens envoyés pour formation et études dans les pays du bloc de l'Est par exemple». Pour les universitaires, «en 1957, sur le chiffre initial, seul 265 reprendront les cours». «C'est dire que l'histoire de cet engament reste à approfondir». L'histoire mais aussi la psychologie collective qui en sera la terrible conséquence.
Du MALG, des «Services», de Khalifa et du reste...
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Posté Le : 17/05/2008
Posté par : sofiane
Ecrit par : Kamel Daoud
Source : www.lequotidien-oran.com