Algérie

Maïssa Bey: "l'homme devrait se mettre dans la peau d'une femme au moins une journée"



La romancière algérienne, Maïssa Bey, a suggéré que l'homme se mette "dans la peau d'une femme au moins une fois l'an" pour comprendre la condition qu'elle subie et mesurer le chemin qu'il lui reste à parcourir pour la conquête de ses droits.Evoquant le vers d'Aragon, "La femme est l'avenir de l'homme" sorti rituellement chaque année à l'occasion du 8 mars, l'écrivaine s'insurge presque contre le détournement de cet hymne du célèbre poète à la femme, devenu une formule creuse de circonstance, résume-t-elle.
Concernant ce 8 mars 2012, l'écrivaine souligne que si "aujourd'hui la femme occupe de manière irréversible l'espace public, il n'en demeure pas moins qu'elle est l'objet des mêmes a priori et contraintes", confie-t-elle à l'APS, en marge d'une rencontre organisée à la veille de la célébration de la Journée de la femme sur les difficultés et d'écrire dans la société algérienne quand on est femme. "Le regard posé sur les femmes n'a pas changé", assène la romancière qui déplore le fait
que les femmes soient encore obligées de "feinter" et de "composer" pour "se faire accepter" par un entourage, "encore et toujours soupçonneux à leur égard". "Pour une femme, écrire c'est faire irruption dans le domaine de la parole publique, c'est à la fois difficile et douloureux", explique l'auteure de "Entendez-Vous dans nos montagnes" qui se rappelle avoir grandi dans une maison sans homme, (son père étant décédé). Sa maison familiale est alors devenue le refuge des voisines qui se confiaient leur vie sur un mode douloureux ou d'auto dérision. "
Ce sont les confidences de ces femmes qui ont fait de moi cette raconteuse d'histoires que je suis devenue", se souvient-elle avec émotion. Maissa Bey regrette qu'une femme qui écrit soit immédiatement perçue comme quelqu'un qui cherche à "outrepasser les frontières permises". "Lorsque l'écrivaine est algérienne, la tentation est grande de considérer que "la fiction n'est qu'un alibi", et que l'écrit est forcément autobiographique, dit-elle de son expérience de romancière. " Nous sommes souvent assignées à ressemblance ", ironise-t-elle.
Un autre problème soulevé par Maïssa Bey est que souvent l'écriture des femmes est catégorisée en termes de confrontation "comme se mesurant à l'écriture masculine." La femme qui écrit le fait "forcément " contre quelque chose ou pour dénoncer une situation. " Or, je ne représente que moi-même et j'écris dans la solitude la plus totale", a-t-elle souligné.
Concernant son expérience d'écrivaine l'auteure confie avoir eu, au départ, la sensation d'être assaillie par ceux qui allaient la lire et avoir voulu "plaire et séduire dans l'écriture pendant longtemps", avant de comprendre que cette démarche ne correspondait pas à ce qu'elle voulait écrire, dit-elle. "Je me suis donc arrêtée durant 6 mois jusqu'à ce qu'une phrase surgisse (...) et je me suis dit que jamais je n'accepterai de reproduire dans l'écriture, les contraintes que je subis dans la vie". a-t-elle ajouté. Débarrassée du "lecteur censeur", la romancière se retrouve "face à soi même", dans "sa vérité" et "son authenticité" :
depuis "Je ne m'imagine plus que quelqu'un est penché sur mon épaule en train de me lire. Et je m'interdis de m'interdire quoi que ce soit en écriture ", a-t-elle insisté. "Ce qui me préoccupe aujourd'hui, c'est comment les hommes envisagent leurs rapports à la femme, dont le corps reste un enjeu." s'indigne-t-elle. L'écrivaine souhaite
que les hommes puissent se mettre à la place des femmes au moins une journée comme Gunther Wallraff, célèbre reporter allemand qui en 1985/1985 s'est créé une identité fictive de travailleur immigré turc, pour pouvoir écrire son célèbre témoignage "Tête de Turc" et alerter l'opinion publique sur le racisme en Allemagne. Cette expérience, elle la préconise pour les hommes "afin qu'ils mesurent à quel point il est difficile pour une femme, de prendre un café dans un endroit public,
d'être naturelle ou de se promener simplement", rappelle-t-elle. Selon Maïssa Bey, il y a une régression des mentalités. "Aujourd'hui on fait l'amalgame entre liberté et vice. Hier les femmes étaient heureuses et fières de voir leur filles à l'école ou bachelières. Aujourd'hui tout le monde s'autoproclame prédicateur et prédicatrice. La tolérance a disparu de notre société "s'est attristée l'auteure. Maïssa Bey a également fait part des problèmes spécifiques rencontrés par les femmes concernant la discipline d'écriture. Du fait des innombrables tâches et responsabilités qui sont les leurs, "les femmes sont contraintes à la concision.", a conclu l'écrivaine.


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