Algérie

Mais qui parle de censure '


Mais qui parle de censure '
Sorti enfin de son mutisme après une longue période d'hibernation pour confirmer la disparition du paysage médiatique d'une soixantaine de titres qui ne semble même pas l'avoir égratigné, le ministre de la Communication a saisi l'occasion pour s'épancher sur le problème de la censure qui, à ses yeux, n'existe que dans les esprits malveillants. Il a même cité en exemple son propre cas pour dire que, de mémoire de journaliste de la presse écrite, jamais au grand jamais une quelconque instruction n'est venue d'en haut lui dicter ce qu'il devait coucher sur une feuille blanche.Plus prosaïquement, le journaliste devenu ministre voulait nous convaincre que dans ce pays où le verrouillage médiatique fait partie intégrante des m?urs du régime, la censure comme instrument de pression et de répression reste une invention de gens mal intentionnés dirigée exclusivement pour discréditer le Pouvoir. Il en parle, aujourd'hui qu'il fréquente les bans du gouvernement comme on fréquenterait un institut supérieur, avec d'autant plus d'assurance qu'il en est arrivé à se persuader lui-même que si des journaux ou des médias lourds en sont arrivés à arrêter leurs activités, c'est parce qu'ils ont atteint tout simplement leurs limites? financières qui se sont encore dégradées avec la baisse drastique de la manne publicitaire qui leur était distribuée.
Dans l'esprit du premier responsable de la communication, l'évidence de l'échec ne fait plus aucun doute alors le problème de fond est dévié subtilement de la sphère politique ou idéologique vers la sphère économique, où ce sont bien entendu les arguments de la mauvaise gestion qui ont droit de cité. Si un journal coule, c'est qu'il s'est financièrement mal pris en charge, c'est suggéré en pointillé?
Et pour bien appuyer son point de vue, le ministre devait fatalement insister sur le volet, ô combien sensible (et polémique), de la pub pour laisser sous-entendre que de nombreux titres étaient maintenus sous perfusion en recevant leur «quota» de publicité contrôlée par l'ANEP et qu'en conséquence leur train de vie a carrément basculé avec l'installation durable de la crise économique.
Il faut ouvrir une parenthèse ici pour rappeler au ministre que, d'une part, contrairement à ce qu'il annonçait, cette manne publicitaire a profité jusqu'à son tarissement aux seuls titres étatiques et autres organes de presse ayant fait allégeance au pouvoir, et que, d'autre part, le fait de contrôler politiquement cette réserve d'argent témoigne de la pratique de l'odieux chantage exercé par les tenants du système sur les lignes éditoriales qui les dérangent et qui n'est autre qu'une forme indirecte de la censure.
Pour revenir à ce mode de castration de la vie médiatique qui ne fonctionne encore avec autant d'acharnement que dans les pays à régimes totalitaires, sujet qui lui paraît presque superficiel, le ministre a oublié, en parlant de sa propre expérience, de dire que sa carrière journalistique a été principalement façonnée dans les murs du journal gouvernemental n° 1 et que par voie de conséquence il était, selon son analyse, difficilement concevable de croire que les gouvernants iraient jusqu'à museler l'organe qui leur sert de porte-voix.
Sans vouloir déprécier ou dévaloriser le travail de nos confrères dans les médias officiels ou publics qui, lorsque l'objectivité est au rendez-vous, a sa part de noblesse dans une profession en constante mutation, tout le monde sait que dans ces organes de presse si la censure n'existe pas effectivement, elle laisse place à?
l'autocensure qui reste le meilleur garant d'une information sans failles pour le Pouvoir. Comme ses pairs, le ministre a lui aussi été sans aucun doute confronté à cet usage du journalisme disons «dépersonnalisé» qui doit s'inscrire, au-delà des convictions personnelles, dans une ligne bien formatée. C'est évidemment la liberté de ton et d'appréciation qui manque le plus à ce journalisme fonctionnarisé dans ses moindres manifestations et dont souffrent beaucoup de nos confrères qui souvent ont des choses à dire mais ne peuvent pas les dire, ou affirment des choses avec lesquelles ils ne sont pas toujours d'accord.
En tout état de cause, l'autocensure fait encore plus de mal au journaliste qui la subit que la censure qui lui est imposée pour de multiples considérations.
Ceci pour dire qu'à visage découvert ou frappant par derrière, la censure reste une arme redoutable de répression entre les mains du Pouvoir politique. Et ce qui est affligeant, c'est de voir qu'une soixantaine de journaux ont disparu de la scène sans que cela affecte le confort de nos dirigeants, celui du ministre de la Communication en premier lieu.
C'est de voir le milieu télévisuel se rétrécir comme une peau de chagrin, et qui risque de devenir encore plus insignifiant avec les nouvelles mesures pour l'agrément des chaînes privées sans que l'on s'émeuve outre mesure au plus haut niveau de la hiérarchie dirigeante. L'avenir ou le sort des médias, visiblement, ne sont pas un souci majeur pour les gouvernants comme le serait la rente. Dans les places publiques, ces derniers aiment bien chanter les vertus de la démocratie virtuelle mais ne se résignent jamais à encourager la promotion de l'élément essentiel de cette démocratie sans lequel elle n'a aucune raison de vivre.
Sans la liberté de la presse, le pays restera figé dans les arcanes de l'autoritarisme débridé qui n'écoutera que sa propre voix, sa propre raison. Si le ministre ne voit pas les traces d'une censure large et agissante à l'échelle de toute la sphère médiatique qui pourrait incommoder la vision étriquée et dangereusement fausse qu'il se fait désormais en entrant au gouvernement, il n'a qu'à s'amuser à se poser les vraies questions sur l'impossibilité d'avoir accès, depuis des semaines maintenant, au journal électronique TSA sans que la moindre explication ait été donnée à ses responsables.
Devenant le site le plus consulté grâce aux informations fiables qu'il donne, aux analyses politiques pertinentes, et surtout à sa ligne éditoriale foncièrement objective qui ne fait pas la part belle au pouvoir, TSA a réussi à s'imposer comme un média incontournable. Sa mise en quarantaine est devenue une énigme.
Difficile pour les gens de la profession de ne pas croire à une censure dont la responsabilité ne semble pas être assumée publiquement. Et ce ne sont pas les réponses du genre : «Si on vous coupe l'électricité, adressez-vous à Sonelgaz?» pour décliner justement sa responsabilité qui lèveront les suspicions sur cette mesure de représailles qui ne dit pas son nom.
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