Algérie

«Mais que veut ce peuple à la fin ?»


Des «hommes debout» à des «hommes heureux».De Zeroual à Bouteflika. Homme d'une époque où le peuple était un enfant,une masse compacte ou un civil docile et obéissant, Bouteflikadoit, aujourd'hui, s'interroger sur un changement qu'il n'arrive pas àcomprendre. «Que veut finalement ce peuple», se dit-il assis face à sonportrait géant. La Paix? «Il l'a eue». Des augmentations de salaires ? «Je viens de les signer». Lemultipartisme ? «J'ai trois partis, il en a une dizaine». « La chaariâ ? «Je construis la plus grande mosquée du Maghrebet El Kardaoui est mon ami». La liberté d'expression ?«On a déjà trois chaînes de télévision alors que nous n'avions qu'une seule àl'époque de Boumediène». Des têtes à faire tomber enpublic ? « J'ai osé ce que aucun président avant moi n'avait osé». Et donc ? Doncle Président n'arrive pas à comprendre. Ils sont trente millions d'Algériens àle réclamer pour 2009 et trente millions d'Algériens à être mécontents, à casser,faire grève, brûler, immigrer et à geindre sous ses oreillers. Le brusquetélescopage de ces deux chiffres presque exacts, expliquerait, selon certains, lesilence bouddhiste du président de la RADP, se échanges épistolaires avec le réel, ses lettres luesen son nom un peu partout et ses hésitations entre prendre ce peuple par le cou,lui donner deux gifles et retourner dans les pays du Golfe pour vendre du know-how; ou changer la Constitution au lieu de changer de peuple et de pays pourrejoindre, à la fin, Boumediène et les martyrs avecun bon bilan et un meilleur compte rendu. Car au fond, l'image que le peuple sefait de l'Etat qui le possède est connue : les colons ont été chassés pour êtreremplacés, dénoncer un casseur de bancs à la police n'est pas du civisme maisde la délation, être content de l'Etat n'est pas un avis mais de la larbinerie.Il y a, cependant, une anthropologie à faire sur l'image que le système se faitde son peuple : il a été libéré et n'a pas à demander plus, il est nourri etlogé et n'a pas à vouloir gouverner, il se porte mieux qu'au Rwanda et «doitnous remercier». D'où le hiatus entre un régime qui ne peut pas se concevoir autrement que comme un tuteur et un peuple qui nepeut pas se voir et se vivre autrement que comme un éternel colonisé qui doitbiaiser ou s'emporter pour gagner. D'où ce regard calme, parfois étonné, souventagacé et d'un paternalisme méfiant, lisible dans les yeux de Bouteflika : «ce peuple est-il finalement bon oufoncièrement mauvais ? ». «Que veut-il de plus ?». «Pourquoi il ne comprend pasnos sacrifices ?». L'idée que le peuple a vraiment plus de dix-huit ans depuistrès longtemps, qu'il veut se gouverner lui-même, être indépendant ou qu'il ena marre de remercier tout le temps la génération de novembre, qui croit êtredescendue du ciel et ne veut pas y revenir, n'effleure pas des gens comme Bouteflika ou seulement comme une méditation philosophiquevieillissante. Ravagés par la psychologie du Héros et du Devoir, ces «Héros» nepeuvent plus descendre sur terre, imaginer une autre utopie collective que laleur, arrêter de surveiller le pays comme un butin, expliquer le monde nationalcomme un éternel sacrifice et interpréter tout idée ou courants de changementcomme une infiltration subversive. L'idée que ce peuple veut avoir un pays àlui tout seul, comme le système depuis l'Indépendance, manger autant et secroire tout aussi innocent, est psychologiquement et économiquement intolérable.Le système se tient par l'idée qu'il a fait la guette et qu'il peut la fairecontre la misère, les opposants, les autres et le sous-développement. Le peupleen est incapable, d'où la solution de le privatiser pour mieux le servir. D'oùl'idée structurelle que si on laisse à ce peuple le choix, il redeviendrasauvage. D'où le troisième mandat pour Bouteflika. D'oùl'hystérie alimentaire de ses comités d'appel à sa candidature.


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)