Algérie

Main basse sur Alger, enquête sur un pillage, juillet 1830 de Pierre Péan, Essai - Éditions Plon/Chihab, Alger/ Paris 2004


Main basse sur Alger, enquête sur un pillage, juillet 1830 de Pierre Péan, Essai - Éditions Plon/Chihab, Alger/ Paris 2004
Commentaire

Pour venger le coup d'éventail donné par le dey d'Alger au consul de France, la France occupa Alger, le 5 juillet 1830, et en chassa le dey. Cette vérité s'inscrit toujours dans les livres scolaires. Et si le but principal de cette conquête avait été de faire main basse sur les immenses trésors de la Régence, pour reconstituer les fonds secrets de Charles X afin de corrompre et de retourner le corps électoral ? Après une longue enquête, Pierre Péan a retrouvé les traces embrouillées de l'or pillé dans les trésors de la Régence. Louis-Philippe, la duchesse de Berry, des militaires, des banquiers et des industriels, comme les Seillière et les Schneider, ont profité de cette manne. Le développement de la sidérurgie française doit ainsi beaucoup à l'or d'Alger.

Extrait

Deux bricks chargés d’or mouillent à Villefranche
Un temps à ne pas mettre le nez dehors! Si la colline du sémaphore protège la rade du méchant vent d’est, il fait quand même un vilain temps pour un 25 août, dans le vieux port de Villefranche. La mer est démontée et les vents qui soufflent de Ligurie découragent les navires qui arrivent de Toulon, Marseille, Mahon, Gibraltar ou des côtes barbaresques, de mouiller ici. Et pourtant, dans la matinée, du haut de la Citadelle, on signale deux bricks, manifestement à la peine pour se rapprocher de l’entrée de la baie. Malgré les dificultés, ils progressent... Voilà, ils sont maintenant à l’abri des vents et des vagues, ils avancent lentement vers la darse du joli port du royaume de Sardaigne. Les marins attroupés cherchent à identifier les deux bâtiments et leur provenance. Les yeux experts déchiffrent un à un leurs signes identitaires sur les mâts et la coque. Hourra! Ce sont des bateaux grecs battant pavillon russe et arborant une oriflamme rouge, et qui portent les numéros 36 et 60!
Le Poséidon et la Pénélope effectuent les dernières manœuvres pour accoster. Il est 17 heures. Les fonctionnaires sardes du service de santé vont bientôt monter à bord et interroger les capitaines des deux bâtiments. Ils dirigeront ensuite les équipages et les passagers éventuels vers le lazaret pour effectuer, si nécessaire, leur quarantaine.
Les deux bateaux font partie de l’armada des 357 bâtiments affrétés à Marseille par la maison Seillière qui a été chargée par le général de Bourmont, ministre de la Guerre de Charles X, d’acheter et d’acheminer vers les côtes algériennes nourriture, boisson, fourrage et matériel pour satisfaire les besoins, deux mois durant, des 34 000 militaires du corps expéditionnaire français et de quelque 4 000 chevaux. Le général de Bourmont, chef de cette expédition, a pris Alger le 5 juillet dernier.

La Pénélope et le Poséidon ont quitté Alger le 16 août. Le premier transporte vingt-deux personnes dont le capitaine grec Giorgio Andoni et un passager français habitant Vintimille, Adolphe Chappon, qui, associé au banquier niçois Stefano Carlone, approvisionne Monaco en céréales. Le commissaire de santé interroge Andoni qui lui affirme que la cargaison principale de la Pénélope est du plomb. Mais il s’étonne que le brick, parti d’Alger sous pavillon français, arrive sous pavillon russe à Villefranche.
— En dehors du plomb y a-t-il d'autres marchandises? demande l’officier sanitaire quelque peu suspicieux.
— Il y a de l’argent ancien ouvré...
— Pourquoi ce changement de pavillon?
— En réalité le bateau navigue sous pavillon russe, mais les agents de santé d'Alger m'ont conseillé de naviguer français pour des raisons de sécurité...

Un autre agent de la sécurité sanitaire interroge Giovanni Mikari, le capitaine du Poséidon, qui apporte les mêmes réponses aux mêmes questions. En dehors des seize membres d’équipage se trouve à bord du bâtiment Aimé-Benoît Seillière, négociant de Paris, domicilié 91, rue de Paradis à Marseille, accompagné d’un domestique. Le Poséidon transporte lui aussi du plomb, plus 68 colis dont 32 paniers de bouteilles de vin et 25 caisses de tabac, qui, selon Mikari, sont des marchandises embarquées à MarseiIle, non consommées.
— A part le plomb, vous ne transportez rien d'autre?
— Je n'ai rien d'autre, répond, laconique, Mikari...
Il ne compte pas les huit tapis et les quatre caisses d’argent ouvré dans les malles des passagers...
La nouvelle de l’arrivée des deux bricks s'est vite répandue jusqu’à Nice. Avigdor et Carlone, les deux grands banquiers de la place, sont montés aussitôt dans leur calèche pour prendre langue avec Adolphe Chappon et Aimé-Benoît Seillière... De cette effervescence naît en quelques heures une rumeur qui alimente les conversations dans les milieux d’affaires niçois: les deux bricks ne transportent pas de plomb, mais des grandes quantités d’or soustraites au Trésor de la Régence d’Alger. La rumeur va bon train et se propage jusqu’au pont du Var ou pont des Français où se trouve la douane française. De là elle poursuit sa course jusqu’à Antibes où les autorités françaises surveillent de près ce qui se passe à Nice.

Alerté, le maire d’Antibes rédige aussitôt une lettre qu’il envoie par estafette à l’amiral Duperré en quarantaine dans la rade de Toulon depuis son retour d’Alger.
L’amiral, comme tous les responsables de la Marine, de l’Armée, des Douanes et de la Police, a été sensibilisé aux possibles détournements effectués à Alger sur le Trésor de la Régence. Des courriers en provenance d’Alger, notamment ceux du général Loverdo, font état de pillages effectués par des hauts gradés de l’armée. Paris envoie des consignes draconiennes à tous les ports de France pour faire montre d’une extrême vigilance concernant les cargaisons de tous les bâtiments en provenance d’Alger.
Louis-Philippe et le nouveau ministère issu de la révolution de Juillet soupçonnent Charles X et le ministre de la Gerre du gouvernement déchu, le maréchal de Bourmont, d'avoir détourné une partie du Trésor de la Régence d'Alger.
Immédiatement après avoir pris connaissance de la lettre du maire d'Antibes, l'amiral Duperré envoie une note par le télégraphe au ministre de la Marine qui prévient à son tour tous les ministres concernés par cette affaire et notamment ceux des Finances et des Affaires étrangères.
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)