Algérie

Maghreb - Ouverture du Forum social mondial aujourd’hui à Tunis: Le long combat pour un nouveau monde



Maghreb - Ouverture du Forum social mondial aujourd’hui à Tunis:  Le long combat pour un nouveau monde




Signe d’une démocratie naissante, Tunis se transforme, à partir d’aujourd’hui, en capitale internationale du mouvement altermondialiste.

Tunis.
De notre envoyé spécial

Deux ans après la chute de la dictature de Ben Ali, la Tunisie accueille le 12e Forum social mondial (FSM), baptisé «Forum de la dignité», qui s’ouvrira aujourd’hui par un rassemblement des femmes du FSM qui se tient au campus El Manar.

C’est la première fois que le FSM se tient dans un pays arabe. Les rues de la capitale vivent depuis quelques jours déjà au rythme incessant des militants altermondialistes qui posent leurs bagages à l’antique Carthage. Le pays de Mohamed El Bouazizi – étincelle du Printemps arabe – se met aux couleurs (rouge) des mouvements sociaux internationaux. Le parfum du jasmin se mélange à l’odeur de la lutte anticapitaliste pour rendre possible un autre monde. «Un autre monde est possible» est le leitmotiv du mouvement altermondialiste. Les Tunisiens donnent la réplique: «Une autre Tunisie est possible».

Plus de 50.000 personnes sont attendues représentant 4500 mouvements sociaux de 127 pays. A chaque coin de rue, des pancartes sont accrochées annonçant, en arabe, en berbère, en français, en anglais, en espagnol et en russe, l’événement. Des centaines de jeunes volontaires, dont la plupart ont pris part à l’insurrection de janvier 2011, font campagne d’explication sur le sens et l’objectif de cette grande manifestation mondiale. Une grande tente est érigée au cœur de l’avenue Bourguiba à cet effet. «Ça nous rappelle l’ambiance de la révolution. C’est une belle opportunité que de rencontrer la jeunesse mondiale pour échanger les expériences», glisse un volontaire. L’effervescence est totale et tout le monde y trouve son compte. Les cafés, les restaurants, les hôtels affichent complet. Subitement, Tunis se réconcilie avec le monde extérieur après les mois de doute et… «d’insécurité». «Le pays est déserté par les étrangers depuis quelques mois en raison de l’instabilité politique et sécuritaire.

Mais depuis une semaine, nos cafés et restaurants sont pleins de monde. J’espère que ce forum rehausse l’image de la Tunisie», confie un gérant de restaurant. Trente mille participants au forum sont attendus, de quoi donner un coup de pouce à une économie en berne. Les organisateurs tunisiens, aidés par d’autres volontaires maghrébins et européens, s’affairent à apporter les dernières retouches avant le démarrage du forum. «Un défi à relever», selon Mohieddine Cherbib du Forum social tunisien. «C’est la continuité de la révolution du 14 janvier. Malgré la situation délicate que traverse le pays au plan politique, social et sécuritaire, nous sommes déterminés à réussir ce regroupement mondial et montrer que la Tunisie révolutionnaire résiste vaillamment. C’est un hommage aux martyrs de la révolution et surtout à la mémoire de Chokri Belaïd, assassiné et qui était une voix de la démocratie et progressiste. Sa voix ne sera jamais éteinte», assure résolument Cherbib, courant dans tous les sens. Il y a passé toute l’après-midi d’hier à résoudre le problème de la délégation algérienne bloquée aux frontières. «Les Algériens seront bel et bien à Tunis, parce que ce forum est dédié aussi au Maghreb des peuples», lâche-t-il.

Comme au temps de la révolution

Les réseaux de jeunes constitués lors du soulèvement qui a renversé le dictateur Ben Ali se sont reconstitués à la faveur de ce regroupement internationaliste. Issus des différents courants qui animent la vie politique tunisienne, des militants essentiellement de gauche, mais aussi des ONG, des féministes, des artistes, des syndicalistes et des révoltés de l’intérieur du pays reprennent le flambeau de la lutte dans une Tunisie en proie à des tiraillements politiques mettant à rude épreuve la transition démocratique. L’organisation du forum a besoin d’une main-d’œuvre importante pour pouvoir organiser plus de 1.000 débats, une centaine d’expositions et projections de films. Marwa Selama est l’une des centaines de volontaires, fière et heureuse de participer à une action collective mondiale. «C’est un moment historique pour moi et mon pays. Je suis mobilisée depuis plus de six mois. Nous devons réussir cette grande manifestation mondiale. C’est un honneur pour moi d’y participer et de montrer au monde entier que la Tunisie a bien changé. Nous avons besoin des expériences des autres peuples qui ont lutté pour la liberté.

Ce forum nous permet d’échanger les expériences et de débattre, mais surtout d’essayer de trouver des réponses adaptées à notre situation. Une situation un peu difficile. Ce n’est pas évident de passer de 23 ans de dictature policière à la démocratie. Ça demande du temps, de la patience, mais surtout l’implication de tout le monde. Nous sommes conscients que cela va être un processus long. Nous sommes en train de réapprendre l’exercice démocratique», nous confie-t-elle non sans afficher son optimisme pour un monde tunisien meilleur. Tout comme elle, Abdelsetar, syndicalistes du bassin minier de Gafsa, est venu exposer l’expérience syndicale des miniers de la région. «La tenue du forum à Tunis donne un sens à notre révolution. Nous nous sommes soulevés pour la dignité et la liberté et pour une Tunisie ouverte sur le monde. Ce sont des valeurs que nous partageons avec les Européens, les Américains, les Latino-Américains, les Africains et les Asiatiques. Nous sommes tous des indignés», tonne-t-il.

Gilberto Gil en guest star

Non loin de l’avenue Bourguiba, au 2e étage du 47, rue Farhat Hached – nom du leader syndicaliste et un des chefs de file du Mouvement national tunisien – dans les locaux du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux, quartier général de l’organisation du FSM, d’autres bénévoles travaillent sans interruption. La logistique, les questions techniques, l’organisation des ateliers, l’acheminement des participants vers le campus El Manar (nord de Tunis) qui abrite les activités du forum, autant de tâches à accomplir. Téléphone collé à l’oreille, les doigts tapant sur l’ordinateur pour la rédaction d’un communiqué, Abdeslam, syndicaliste de l’UGTT, est un peu déçu. L’ex-président brésilien Lulla ne pourra pas faire le déplacement à Tunis pour le forum. Empêchement de dernière minute. Le syndicaliste Abdeslam se console de la présence d’une autre figure brésilienne et pas des moindres: le célèbre chanteur Gilberto Gil, qui était également ministre de la Culture sous le gouvernement de Lulla avant de démissionner.

C’est lui qui animera le concert de ce soir au stade El Menzah où 70.000 personnes sont attendues. C’est dans son pays, à Porto Alegre (Rio Grande do Sul) exactement, en 2001, où est né le Forum social mondial dont l’objectif était d’apporter la contradiction au Forum économique mondial de Davos (Suisse), marquant ainsi une autre étape dans l’affrontement de deux visions du monde. Celui impitoyable, soumis à la dictature de la finance et des marchés face à un autre monde fondé sur la justice sociale, l’émancipation des peuples et la dignité humaine. Un forum qui regroupe des militants de gauche, des syndicalistes, des défenseurs de l’environnement, des militants des droits de l’homme, des paysans et tous celles et ceux partout dans le monde sont révoltés contre un monde fait de domination. Son but est de fédérer entre toutes les luttes au niveau mondial pour mieux résister à une économie capitaliste mondialisée. Depuis son lancement en 2001, le FSM a soulevé tant d’espoir pour tant de peuples.

La Palestine à l’honneur

Les organisateurs du 13e Forum social mondial de Tunis n’ont pas oublié le peuple palestinien. Sa lutte sera au cœur des débats et des manifestations qui se tiendront durant toute la semaine. Les représentants des différents courants politiques de la Palestine y prendront part. Les dirigeants du Fatah, du FPLP, du FDLP sont déjà sur place. Les organisateurs du FSM ont prévu de clôturer ce regroupement international par une grande marche populaire dédiée à la Palestine. Les journées du FSM offrent une tribune aussi à un autre peuple lui aussi sous occupation, celui du Sahara occidental. Les activistes sahraouis, des habitués du FSM, entendent saisir les différentes tribunes du forum pour faire connaître leur cause. «C’est une opportunité pour faire connaître la question sahraouie, pour échanger avec les délégations venues notamment du Monde arabe, dont de nombreux participants ne sont pas très informés de notre cause. C’est un espace idéal pour nous de dire aux participants qu’en Afrique, il existe toujours un pays colonisé : le Sahara occidental. Ses populations sont privées de liberté et ses richesses sont exploitées par l’occupant marocain», nous indique Malainine Lakhel, un activiste sahraoui. Pas moins de 200 participants sahraouis, venus des camps des réfugiés, des territoires occupés et de la diaspora sont attendus à Tunis.

Les organisateurs du forum craignent des heurts entre Sahraouis et Marocains. «Il faut s’attendre à la provocation des Marocains qui verront d’un mauvais œil la présence des Sahraouis», craint une militante communiste espagnole proche de la cause sahraouie, d’autant des ateliers seront consacrés à la situation des droits de l’homme au Sahara occidental et même une table ronde sur le printemps du Sahara en hommage aux récents événements de Agdim Ezik. Contexte régional oblige, de nombreux ateliers seront consacrés aux processus des révolutions en cours dans le Monde arabe.En somme, le rendez-vous planétaire des altermondialistes est accueilli dans un pays en plein tournant révolutionnaire, où toutes les questions qui agitent la planète seront débattues. C’est une sorte de Nations unies des peuples où aucun veto ne sera brandi et aucune guerre ne sera déclarée. Mais plutôt défendre une résolution : un autre monde est possible. Les altermondialistes le veulent maintenant.

Des militants algériens empêchés de quitter le territoire national:

Deux délégations algériennes, devant participer au Forum social mondial de Tunis (FSM), ont été empêchées de quitter le territoire national par la police des frontières postée à l’est du pays. Aucun motif valable n’a été présenté aux membres des deux délégations, qui chacune d’elles comprenait au moins 100 militants issus de plusieurs organisations.

Une fois arrivés aux postes-frontières, le premier Oum Tboul, le deuxième Laâyoune, les policiers ont signifié aux chauffeurs de bus transportant les deux délégations de faire demi-tour, et ce, après de longues heures d’attente. Selon M. Dakou, syndicaliste activant à Skikda, qui voulait rejoindre la Tunisie à partir de Laâyoune (Tébessa), «nous sommes arrivés à la frontière vers 3h du matin. Nous avons donné nos passeports et tous nos papiers étaient en règle. Nous avons attendu jusqu’à 9h pour que les policiers nous disent qu’il est impossible de quitter le territoire, sans explication». Les militants ont insisté pour connaître les raisons de cet empêchement.

«La décision vient d’en haut, nous ont affirmé les policiers», rapporte notre interlocuteur. Plus tard dans la journée, des membres d’associations ont cru comprendre que le refus est dû à l’absence d’une autorisation de sortie des bus. Selon Hacène Ferhati, membre de SOS Disparus, «les militants ont vivement protesté contre ce dépassement qui représente une atteinte à la liberté de circulation».

De son côté, le Front des forces socialistes (FFS) a dénoncé, dans un communiqué rendu public, l’interdiction formulée aux militants. «Empêcher les Algériens de participer au FSM est un acte grave qui porte atteinte à la dignité et à la liberté de nos concitoyens», souligne le parti. Le FFS ajoute que «cet acte démontre, encore une fois, que le pouvoir algérien éprouve une peur panique devant tout acte pouvant entraîner une contagion démocratique à la suite des derniers développements dans la région».

La DGSN a été contactée par nos soins pour connaître sa version. En vain. Par Mehdi Bsikri



Hacen Ouali



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