Algérie

Maghreb - Avec les anti-gaz de schiste au forum social mondial: Quand le souffle d’In Salah enflamme Tunis



Maghreb - Avec les anti-gaz de schiste au forum social mondial: Quand le souffle d’In Salah enflamme Tunis




Il faut être un peu kamikaze ou masochiste pour venir chanter les vertus de l’exploitation du gaz de schiste en plein Forum social mondial dont on sait l’attachement viscéral aux questions environnementales et aux énergies non-polluantes.

Et pourtant, la délégation «officielle» algérienne l’a fait! La coalition UGTA-Associations a, en effet, organisé ce jeudi une thématique sur les «bienfaits» du gaz de schiste.

La petite salle de TD de la faculté des sciences de Tunis qui a accueilli cet atelier a été vite débordée, le sujet ayant drainé du monde, et pas que «tawaâna», en raison, précisément, de son total décalage en regard de la «ligne éditoriale» du Forum.

«Quelle drôle d’idée de venir au Forum social pour défendre le gaz de schiste!» lâche un activiste «gaouri».

L’expert en énergies renouvelables, Mahmah Bouziane, chargé de prêcher la bonne parole et faire la promotion de l’hydrocarbure non-conventionnel le plus décrié au Forum, a dû vivre un grand moment de solitude. En tout cas, la salle ne lui était guère acquise, tant s’en faut. Tout débuta dans le calme en cette matinée grise et pluvieuse, l’expert s’appliquant à expliquer doctement, laptop en main, que le gaz de schiste n’était pas si méchant que cela, et qu’en gros c’était la seule alternative «pour assurer une transition énergétique durable et aller vers une énergie à zéro carbone».

M. Mahmah, chercheur au Centre de développement des énergies renouvelables et conseiller auprès du ministère de la Jeunesse, s’est employé à démonter «les informations erronées véhiculées sur le Net» comme il dit, à propos du gaz de schiste. L’expert estime que le sens profond du développement durable «c’est toute démarche de renforcement des capacités» d’une nation.

«Même dans notre culture musulmane, l’islam préconise la zakat et non pas la thésaurisation et incite à l’exploitation de l’existant. Tout ce qui est sous le sol doit être exploité.»

Le gaz de schiste serait ainsi une gigantesque nappe d’argent endormie dans ces coffres-forts naturels que sont les roches fossiles et qu’il faut faire «capitalistiquement» travailler au nom de la croissance.

Un potentiel de quelque 19.800 milliards de m3 selon l’orateur, faisant de l’Algérie la troisième réserve mondiale de gaz de schiste.

«Mais il faut une évaluation critique des puits», fait-il remarquer.

Chiffres à l’appui, l’expert minimise l’impact de la fracturation hydraulique sur les réserves hydriques.

«Entre 2000 et 2014, la quantité d’eau utilisée à travers le monde pour la fracturation varie entre 3.700 et 20.000 m3 par puits. C’est ça la réalité», insiste-t-il.

«Cela n’a rien à voir avec les 15 millions de m3 avancés par certains».

Il ajoute que les réserves d’eau de la nappe albienne en Algérie sont de l’ordre de 60.000 milliards de m3.

«Si nous voulons forer 100.000 puits sur 50 ans, à raison de 20.000 m3 par puits, on consommera à peine 0,04% à 0,86% de cette nappe», soutient-il, sûr de ses chiffres.

«Je suis moi-même un militant de l’environnement», rassure le spécialiste en soulignant qu’il y a «un manque d’informations fiables sur l’exploitation du gaz de schiste».

Citant les expériences américaines et canadiennes comme des «références mondiales», il reconnaît cependant que «l’expérience américaine comporte des défaillances liées à la culture du libéralisme».

«Elle n’est pas transportable, car elle est intimement liée à une atmosphère économique et culturelle proprement américaine».

Bouziane Mahmah se dit nettement plus favorable à l’expérience russe.

«Les Russes utilisent la fracturation à l’hélium», a-t-il avancé en concédant que «la fracturation hydraulique n’est pas la bonne solution. Il est plus indiqué de recourir à l’hélium».

«C’est un gaz rare et cher!» objecte notre activiste français.

«Cher par rapport à quoi? Moi je parle du cas algérien!» rétorque M. Mahmah.

«Pour nous, il n’est pas cher. L’Algérie est le 3e pays producteur d’hélium avec 40 millions de m3/an qui lui rapportent 39 milliards de dollars d’exportation.»

Et de marteler: «Pourquoi tout est permis pour les Européens et pas pour les pays de la région MENA, pour les pays arabes, maghrébins, africains?» s’énerve-t-il.

L’orateur termine son exposé en plaidant pour la fracturation à l’hélium «afin d’exploiter cette richesse dans l’intérêt de ma région, mais aussi dans l’intérêt de l’humanité».

Certains pouffent en entendant cela. Et l’expert de s’expliquer: «Oui, dans l’intérêt de l’humanité! Je vous défie de me proposer une autre approche que le gaz de schiste pour aller vers un carburant à zéro pollution. Vous, votre approche est à zéro croissance!»

Le défi est lancé. Et le débat fut extrêmement tendu, chaud comme le vent passionné d’In Salah. Incarné par Kacem, fougueux militant anti-gaz de schiste du bassin d’Ahnet, l’un des tout premiers à avoir sonné la mobilisation dans la région.

«Vous n’êtes pas à l’ENTV !»

«Nous avons commencé à nous mobiliser le 3 juin 2014», détaille-t-il. «On a dépassé le stade des discussions sur l’utilité ou non du gaz de schiste. Nous nous sommes clairement prononcés sur cette question et nous sommes prêts à rester sous les tentes jusqu’à l’été s’il le faut !» Kacem a une pensée pour les femmes de In Salah. «Je salue la résistance de nos femmes. Les femmes courageuses de In Salah. Elles ont résisté avec cœur et elles continuent. Et nous sommes prêts à affronter les compagnies internationales, quitte à camper devant les puits!»

La salle crie d’une seule voix: «Rafidhoune! Rafidhoune! El Ghaz assakhri rafidhoune!» (Nous refusons le gaz de schiste).

Entre-temps, les activistes algériens avaient sorti leurs pancartes, gravées de slogans anti-gaz de schiste. Tahar Belabès, du mouvement des chômeurs de Ouargla, a du mal à contenir sa colère.

«Non au gaz de schiste!» s’égosille-t-il, le visage cramoisi.

Kacem poursuit: «On est sortis dans la rue car le pouvoir a refusé le débat. On nous a fermé les salles.»

Puis il lâche: «El kerche chebaâna wel karama mouhana. Yenâal bou el pétrole!» (Le ventre est plein et la dignité écrasée. Maudit soit le pétrole!)

La salle s’écrie: «Nous sommes tous In Salah!»

Les contre-expertises citoyennes se succédèrent durant toute la matinée, chacun s’évertuant à apporter, avec force arguments techniques, la contradiction à l’expert «officiel». Ayad Yougourthen, farouche opposant au gaz de schiste, contre-attaque: «Apparemment, vous prenez cette assemblée pour des ignorants», lance-t-il.

«Le gaz de schiste est un désastre environnemental, sanitaire et humanitaire. Et économiquement, il est très coûteux», résume-t-il.

«Aux Etats-Unis et au Canada, il est extrait à 80, 86 dollars et n’est rentable qu’à partir de 90 dollars. Quel est le prix du pétrole aujourd’hui?»

Mohamed Benatia, du mouvement anti-gaz de schiste marocain, prend le relais: «C’est un danger pour notre santé! En Pennsylvanie, 30% des bébés présentent des malformations génétiques. On va tuer vos bébés, on va tuer votre avenir!»

Pour lui, «la fracturation hydraulique est une technologie terroriste. Il faut lui appliquer la loi antiterroriste!»

Fateh Titouche, de l’association Action Citoyenne pour l’Algérie, en remet une couche: «Le gaz de schiste a été imposé par le pouvoir algérien. Mais sachez qu’ici vous n’êtes pas à l’ENTV ! Vous êtes au Forum social mondial. Quand vous dites ‘‘Fakhamatouhou’’, vous êtes un bon expert, sinon vous êtes banni!»

Fateh pointe la gouvernance méprisante de «l’oligarchie politico-pétrolière» dans cette affaire: «Comment pouvez-vous rester sur la même position après trois mois de souffrances à In Salah? Là-bas, ils ont fait du porte-à-porte pour expliquer les dangers du gaz de schiste, tandis que vous vous n’avez fait aucun effort pour expliquer votre démarche. Vous continuez à gérer nos ressources dans l’opacité la plus totale, sauf que cette fois-ci c’est loin d’être gagné!»

* Photo: La participation algérienne au Forum social mondial 2015 à Tunis a suscité un débat houleux sur la question ô combien sensible du gaz de schiste que l’Algérie n’a pas, jusque-là, pu organiser

Mustapha Benfodil



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