La Tunisie célèbre, aujourd’hui, le sixième anniversaire de la chute du régime de Ben Ali et l’ouverture d’une ère nouvelle de liberté. Toutefois, les profondes difficultés socio-économiques, rencontrées depuis 2011, font qu’en pareille date, le pays oscille entre fierté et désillusion.
La grève générale, observée avant-hier à Meknassy, dans le gouvernorat de Sidi Bouzid, bastion de la révolution (17 décembre 2010 - 14 janvier 2011), rappelle que la contestation en Tunisie est toujours en marche et que les revendications ne sont pas encore réalisées, du moins pour le moment.
Par ailleurs, ce ton contestataire ne se limite pas aux citoyens. Le secrétaire général de la forte centrale syndicale, l’UGTT, Hassine Abbassi, n’a pas été complaisant avec le gouvernement en place, lorsqu’il a dressé, le 17 décembre dernier, à partir de Sidi Bouzid, le bilan de six ans de la IIe République.
«Je suis étonné de constater que la région de Sidi Bouzid, qui a connu la première étincelle de la révolution, soit encore privée de développement», a dit M. Abbassi, lors d’un meeting organisé pour commémorer le déclenchement de la révolution.
Bilan mitigé
Les six années de la IIe République sont loin d’être sans reproches. Et ce ne sont pas les promesses qui ont manqué. Les six gouvernements qui se sont succédé au pouvoir ont tous promis monts et merveilles en matière de lutte contre la pauvreté, le chômage et la marginalisation, les trois principaux objectifs de cette révolution, en plus des acquis consacrés de la liberté et de la dignité. Mais, la jeunesse qui a constitué l’essence de la révolution tunisienne, n’est pas satisfaite.
«Le clientélisme politique l’a emporté sur le souci d’équité sociale, surtout après les élections. Les partis politiques se sont intéressés à satisfaire leurs bases électorales.La transparence n’est pas toujours la règle dans les recrutements et l’octroi des crédits avantageux et des aides», regrette le jeune Houssam Bouchiba, 28 ans, blogueur, collaborateur avec le magazine web Inkyfada.com, l’un des médias actifs dans le travail d’investigation sur les Panama Papers.
Houssam admet toutefois que «la liberté d’expression est un acquis indéniable. Au moins, maintenant, les Tunisiens ne se taisent plus contre les injustices». Pendant les dernières élections de l’automne 2014, le taux de participation de la tranche d’âge (18-30 ans) était aux alentours de 25%, alors que le taux national était supérieur à 50%.
L’insatisfaction ne concerne pas uniquement les jeunes. Le professeur Mohamed Haddar, président de l’Association des économistes tunisiens, exprime son inquiétude quant à l’état de l’économie. Il insiste sur le fait que «la situation économique est très difficile, avec des indicateurs très inquiétants des équilibres macroéconomiques, notamment en ce qui concerne le budget (déficit de 5,7%, en 2016), la balance commerciale (déficitaire de 12,6 milliards de dinars, soit près de 14% du PIB), l’encours de la dette publique est passé de 40,7% en 2010 à 61,8% du PIB en 2016, alors que le taux de croissance est aux alentours de 2%.»
Le Pr Haddar appelle à s’éloigner du populisme et s’armer de vigilance dans le traitement de cet épineux dossier, qui n’attend plus, selon lui. La Tunisie connaît certes des difficultés pour réussir sa transition socioéconomique, mais il est utile de faire des éclairages sur les développements ayant abouti à cette situation.
L’impact du terrorisme
Suite à l’euphorie révolutionnaire de 2011, chaque tendance politique a essayé d’impacter la société, y compris les islamistes radicaux d’Ansar charia, qui ont multiplié leurs campagnes en 2011 et 2012, avant de passer à l’action terroriste en 2013, avec les assassinats politiques (Chokri Belaïd, le 6 février, et Mohamed Brahmi, le 25 juillet), les maquis terroristes sur les monts de Kasserine et Le Kef, et les attaques terroristes de 2015 (le musée du Bardo en mars, l’hôtel de Sousse en juin, le minibus de la garde présidentielle en novembre).
Près de 3.000 Tunisiens ont également rejoint les milices terroristes de Daech pendant cette période, ce qui a placé le pays dans le carré des zones à éviter, comme destination touristique, d’où une chute terrible de cette activité qui accumulait, avec ses dérivés, près de 10% du PIB.
En plus, la tension révolutionnaire a impacté la production du phosphate, l’un des produits phares de l’exportation, réduisant de plus des deux tiers la production et pénalisant la balance des paiements d’un manque annuel de 2 milliards de dinars. Les gouvernements successifs de la IIe République tunisienne avaient donc à gérer tout ce dilemme, en plus des attentes de la population.
Et ce n’est pas facile. Comme solution, l’ex-ministre de l’Economie du gouvernement de Mehdi Jemaâ (2014), Hakim Ben Hammouda, propose: «Si l’économie tunisienne veut remonter la pente, il est inéluctable de réaliser la croissance qui augmentera l’imposition, et donc permettra à l’Etat d’avoir des recettes plus importantes et de pouvoir assurer le paiement des salaires.»
La question est de savoir si le gouvernement d’Union nationale de Youssef Chahed est sur cette voie.
Photo: La révolution du Jasmin a insufflé un vent d’espoir non seulement en Tunisie, mais dans tout le Monde arabe
Mourad Sellami
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Posté Le : 15/01/2017
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Photographié par : Photo: El Watan ; texte: Mourad Sellami
Source : elwatan.com du samedi 14 janvier 2017