Algérie

Made in CNEP



Entre les fonds souverains et la gestion type CNEP, l?Algérie semble avoir fait son choix. Surtout pas de réflexion, pas d?action, donc pas de risque. Même quand l?immobilisme devient le plus grand des risques.George Bush leur a consacré plusieurs déclarations, tout comme Nicolas Sarkozy. Le Monde Diplomatique leur a consacré sa « une » en ce mois de mai 2008, et le sénat français a organisé, à la mi-mai, un débat public qui leur était totalement dédié. Le débat a été, du reste, retransmis en direct sur une chaîne de télévision. L?Allemagne se prépare à légiférer, et tous les spécialistes les qualifient d?acteur majeur de l?économie mondiale durant la prochaine décennie. La presse spécialisée s?est d?ailleurs rendue compte du retard accumulé dans l?analyse de ce phénomène, et lui consacre désormais des rubriques entières, pendant que les banques et institutions financières leur dédient des départements complets pour suivre leur évolution, les disséquer et rechercher la meilleure attitude à adopter face à leur émergence, tant ils apparaissent redoutables en raison de leur puissance économique et, de la puissance politique qu?ils pourraient acquérir.Mais en Algérie, les fonds souverains ne trouvent pas preneur. Le débat n?a pas eu lieu, et tout indique qu?il n?aura pas lieu à brève échéance. Il a été balayé d?un revers de la main par le ministre des finances, Karim Djoudi, qui a affirmé trouver trop de risques dans les fonds souverains, ces immenses fortunes détenues pas des états ayant dégagé des surplus financiers que leurs pays ne peuvent absorber.M. Karim Djoudi a déclaré, en marge d?un forum sur la finance à Alger, à la mi-mai, que cette formule ne constitue pas en elle-même « une réponse positive » à la manière de gérer les réserves de change du pays. Les fonds souverains comportent un « élément de risque ». « C?est un élément qu?il faut apprécier. Par tradition, ce genre de fonds s?oriente vers des activités avec un niveau de risque fort. Il y a un risque potentiel de perte », a-t-il ajouté, donnant l?impression d?avoir épuisé la question.Selon le raisonnement de M. Djoudi, des pays aussi différents que la Norvège, la Chine, Abou Dhabi et Singapour se seraient trompés en créant des fonds d?investissement. Le bas de laine resterait la meilleure formule pour gérer les surplus financiers. Il n?y aurait qu?à déposer ces fonds auprès de quelques institutions financières, dont le trésor américain, et toucher les quelques points d?intérêt classiques, pour être un bon gestionnaire. La seule précaution serait d?effectuer les dépôts en différentes monnaies pour se prémunir contre des fluctuations éventuelles, comme c?est le cas actuellement pour le dollar.La position du ministre des finances est cependant plus complexe. Elle révèle une prudence, justifiée mais excessive, et, surtout, l?inertie totale du système économique algérien. Une prudence justifiée car le traumatisme Khalifa est encore présent dans les mémoires. L?argent public fait l?objet d?une telle gabegie, donnant lieu à tels scandales, que personne n?est suffisamment crédible pour oser investir une partie des réserves de change sur le marché international. De tels soupçons pèseront sur une initiative pareille qu?elle apparaît, à l?évidence, ingérable.Mais c?est une prudence excessive car elle consacre une situation elle aussi intenable. Il est en effet difficile d?imaginer que les gestionnaires des fonds publics soient motivés par le seul souci de ne pas être soupçonnés. Ils ont la responsabilité d?utiliser au mieux cet argent, de le faire fructifier, et non de s?enfermer dans un immobilisme meurtrier.Un autre non dit émerge de la déclaration du ministre des finances. C?est l?aveu que l?administration algérienne est, à l?heure actuelle, dans l?incapacité de gérer de telles initiatives. Elle n?a ni le savoir faire nécessaire, ni les entrées requises dans la finance internationale, ni les mécanismes de contrôle pour prendre de telles initiatives. Une situation qui, à l?évidence, constitue un énorme facteur de blocage pour le pays, et lui ferme un des débouchés possibles pour l?avenir. Des pays comme Abou Dhabi réalisent déjà plus de la moitié de leur PIB de leurs investissements à l?étranger, qui leur rapportent plus que les hydrocarbures. D?ores et déjà, les fonds souverains représentent une force de frappe de 3.000 milliards de dollars, soit trente fois le PIB de l?Algérie, et pourraient atteindre 15.000 milliards à l?horizon 2015. C?est dire l?ampleur qu?ils prennent sur le marché financier international.S?aventurer dans le monde des fonds souverains, en l?état actuel des institutions du pays, constituerait à l?évidence, une erreur. Mais se mettre délibérément en marge d?un phénomène d?une telle ampleur constitue une erreur encore plus grave. Cela signifierait que le pays se prive d?un moyen d?exister dans le monde de la globalisation, comme il se prive d?un moyen d?apprendre. Certains fonds souverains ont d?ailleurs investi, à perte, dans des banques en difficulté. En contrepartie, ils ont obtenu le droit d?accéder à l?information dans un système verrouillé. Ils en tirent un avantage certain, ce qui détruit les arguments de M. Djoudi sur les risques que représentent ces fonds.La faute n?en incombe cependant pas au seul ministre des finances. Un pays incapable d?investir chez lui ne peut, à l?évidence, investir chez les autres. Particulièrement quand il ne dispose d?aucun instrument pour le faire. D?où la nécessité, pour l?Algérie, de débattre de la question, de s?y préparer, et d?y entrer à terme, y compris en prenant le risque de perdre de l?argent. C?est l?un des moyens qui permettraient à l?Algérie de contrôler et de faire fructifier ses revenus. Autrement, ce seront d?autres partenaires qui gèreront ces fonds et en tireront profit.En fin de compte, on se retrouve dans un schéma connu, celui d?un père de famille qui dégage un surplus. Soit il le met dans un bas de laine, ce qui est prudent mais inefficace, soit il le place à la CNEP, pour le préserver de l?inflation, soit il l?investit, pour le faire fructifier. M. Karim Djoudi ne peut se contenter d?être le ministre du bas de laine ou de la CNEP.


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