Algérie - A la une


Madame la marquise!
«Pour les questions de style, nage avec le courant; sur les questions de principe, sois solide comme un roc.» Thomas JeffersonUn de mes vieux collègues journalistes qui avait longtemps roulé sa bosse sous les tropiques hante curieusement ma mémoire: à la moindre occasion, au détour d'une anecdote savoureuse, son visage hilare se présente à mon esprit. Ce sympathique journaliste avait mis, comme tout le monde, son talent de rédacteur au service du parti unique dominé alors par un insolent baâthisme. Ce journaliste avait plusieurs talents: raconter des blagues, imiter l'accent africain et trouver des arguments incisifs pour répondre du tac au tac aux responsables infatués. Un jour que son directeur de l'information lui confiait sur un ton d'excuses, pour justifier les insuffisances de l'administration: «Tu sais, l'Algérie est un pays en voie de développement», mon ami le coupa brutalement: «En voie de sous- développement...». Un autre jour, le même directeur lui reprocha de ne pas être arabisé, mon intrépide collègue le mit aussitôt mal à l'aise: «Moi, contrairement à vous, je suis une vraie victime du colonialisme, mes parents n'étaient pas assez riches pour m'envoyer à Tunis ou à Oujda pour étudier l'arabe pendant les années de braise...» Je suis assez solidaire de ce joyeux luron: la culture française s'est imposée à moi et je ne peux m'empêcher d'y puiser toutes mes références dans son riche patrimoine. Et la chanson est mon dada. Toutes les personnes qui ont un certain âge ou plutôt un âge certain ont dû se rappeler cette bonne vieille chanson qui a été le plus gros succès de l'orchestre de Ray Ventura et de ses collègues: «Tout va très bien, madame la marquise! Tout va très bien, tout va très bien!».Cette chanson est bâtie sur le canevas d'un grand canular: c'est une marquise en déplacement à Paris qui téléphone à son majordome pour lui demander des nouvelles de son cher château qui lui manque cruellement.Le château en question a été totalement détruit par un incendie et le majordome a peur de révéler tout de suite toute la cruelle vérité à sa patronne la marquise. Alors, il essaie de trouver des détours et d'utiliser tous les artifices de la rhétorique pour ménager la bonne vieille dame.S'il lui avait déclaré tout de go que la justice dans ce pays se fait à la tête du client, que des receleurs avérés jouissent d'une totale liberté alors que les journalistes slaloment dangereusement entre les terroristes en liberté et des juges déchaînés quand ils n'atterrissent pas tout de suite en prison pour diffamation parce que dans un lieu désigné abusivement du vocable d'hôpital, quelques bébés sont morts mystérieusement, la cause de la mort n'ayant pas été établie avec certitude par la commission désignée. A cet effet, les personnes impliquées dans ce génocide préventif sont toujours dans la nature, jouissant de tous leurs droits civiques, même de celui de se prélasser sur le sable chaud d'une plage dorée, les doigts de pied en éventail alors que le triste sire qui a osé en parler dans un triste canard pas laquais pour un sou est dans une triste cellule de deux mètres carrés, se demandant avec angoisse si le prix du pain sec à l'eau va augmenter aussi vite que certains le disent.Pas plus que le majordome n'a soufflé mot sur tous les scandales qui secouent la vieille bicoque que la vieille dame appelle encore son château. Il n'a pas parlé non plus des amours ancillaires du vieux châtelain, des marchés frauduleux du vieux régisseur qui a mis assez d'argent de côté pour se payer un château à l'étranger, là où le ciel est plus bleu, l'herbe est plus verte et les pouliches plus avenantes.S'il avait déclaré tout de suite que c'était le manque de prévoyance de la marquise qui avait négligé l'entretien des installations électriques qui était à l'origine du sinistre, le pauvre majordome aurait été licencié et contraint de travailler au noir comme 84,99% de ses concitoyens. C'est pour cette raison qu'il ne cesse de répéter: «Tout va très bien, madame la marquise!».




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