Algérie

Macabrement vôtre



En parcourant les 43 nouvelles, très courtes, organisées en neuf chapitres dont la justification n'est pas lisible, on peut se demander ce qui a bien pu pousser une jeune écrivaine algérienne à  se vautrer dans une série d'histoires morbides où l'on voit au loin l'ombre d'Edgar Allan Poe et d'autres influences aussi inquiétantes ' Mais, après tout, c'est une frêle et charmante anglaise de dix-neuf ans, Mary Shelley, qui inventa, en 1817, le personnage de Frankesteïn !  Il y a autant de raisons personnelles que sociales qui poussent un auteur à  écrire ce qu'il écrit, les unes l'emportant sur les autres, selon les cas. On s'interdira toutefois de se demander ce qui dans le parcours personnel de Younil a pu l'inciter à  s'aventurer dans les brumes d'un univers où l'horreur et la mort suintent en abondance. Peut-être plus tard, dans une thèse sur les thématiques de la littérature algérienne d'aujourd'hui, un universitaire, l'intégrant dans son corpus, évoquera le contrecoup des années terribles et sanglantes que nous avons vécues et que chacun a digérées à  sa façon, selon l'état de ses défenses et selon les instruments de son affect et de son intellect. Il reste que la verbalisation d'un traumatisme est a priori salutaire, ou du moins apaisante. Mais comme nous ne sommes pas sur le divan d'un psychanalyste, il est certain que ce recueil peut déstabiliser bien des lecteurs. C'est ce que semble avoir voulu son auteure qui donne trop l'impression de se regarder écrire, la plume sur le nombril de son inspiration, avec un surdosage d'effets qui nuit à  l'effet. Dans ses précédents écrits, elle avait déjà signalé cette tendance ainsi qu'une propension à  la décontextualisation, pratiquant un exotisme à  l'envers, avec des lieux et des personnages puisés d'autres lieux et d'autres temps. Entre, par exemple, Le Crime de Raspoutine, La Crise du samouraï ou Dans le corbillard de Mistress Rose, on évolue dans un univers exogène. Mais il ne s'agit nullement d'un reproche. D'ailleurs, il n'est pas anodin de relever que si l'Occident s'est toujours autorisé à  peindre et écrire sur l'Orient (non pas espace géographique, mais symbolique),  le contraire n'a que rarement eu lieu. Sans militer pour un contre-exotisme, on pourrait alors considérer favorablement le recueil de Younil sous l'œil de la pique, consciente ou non, à  ceux qui nous ont toujours regardés. Mais Younil, ne poursuivant pas cette veine éventuelle, reprend tous les poncifs du genre, accumulés dans leurs strates anciennes et leurs formulations nouvelles. Son contre-exotisme est plutôt une intégration dans des catégories déjà rabâchées de l'Autre. Dans sa préface intéressante, parfaitement écrite, mais trop longue, Mohammed El Amraoui décrypte la démarche de Younil, évoque la fascination pour la mort, ses prolongements érotiques et les formes de jubilation meurtrières qui peuvent l'accompagner. Avec une écriture parfois très lyrique, qui fait à  nos yeux le seul intérêt de ce recueil, Younil nous convainc de sa délectation morbide. Si c'est ce qu'elle recherchait, c'est gagné.       


Younil, la lueur du sang, Ed. Aglaë, Alger, 2009. 288 p.
 


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