Algérie

M. Tewfik Hasni, expert dans les énergies renouvelables, ancien PDG de Neal



Dans cet entretien, ce spécialiste des questions d'énergie aborde la stratégie de développement des énergies renouvelables dans le pays, l'intérêt pour l'Algérie de s'impliquer dans l'initiative Desertec et la place de ces ressources alternatives dans le bilan énergétique du pays à l'horizon 2030.Liberté : Comment analysez-vous la stratégie de développement des énergies renouvelables mise en ?uvre par le nouveau ministre de l'énergie, Youcef Yousfi '
M. Tewfik Hasni : La réponse à une telle question directement aurait éludé tout le contexte dans lequel évolue le ministre de l'énergie et des Mines. Il ne faut pas oublier qu'en fait, il est demandé au ministre d'assumer certes la mission de la satisfaction des besoins énergétiques du pays, mais aussi de maintenir la pression sociale en n'augmentant pas le prix de l'énergie et de continuer à pourvoir aux besoins financiers du pays. En lui demandant aussi de maintenir la croissance des réserves à un coût qui a démultiplié tout en contribuant à combler le gouffre financier du maintien des autres activités industrielles publiques obsolètes.
Il est clair que nous ne pouvons parler de stratégie dans ce cas. Le développement des énergies renouvelables devrait découler d'un modèle de consommation énergétique découlant de la stratégie de croissance à 2 chiffres. Il est important de rappeler que l'énergie est une ressource dont les besoins se définissent dans le cadre d'une stratégie globale de développement. Des modèles existent. Et nous avons fait tourner un d'entre eux à titre d'exemple. Nous avons retenu un objectif de croissance comme celui retenu par les études Ecomed et reprises par le dernier rapport Ipemed. Elles font apparaître pour un rattrapage du niveau minimum de PIB de l'Union européenne soit 12 000 dollars/hab PPA , entre 10 et 15 ans, cela nécessitera une croissance minimale de 8% par an. Sur la base de ce niveau de croissance en tenant compte de la croissance démographique, on aboutirait à un doublement de la consommation énergétique d'ici 2020. Il est intéressant que la Creg est arrivé à peu près au même résultat, mais sur la base d'un scénario laisser faire, c'est-à-dire avec une croissance de 3% maximum. Il est évident que la pression sur les hydrocarbures est insoutenable? L'autre dimension de l'énergie est qu'elle reste la seule ressource financière du pays. Partant de cela, la nécessité de sortir de cette dépendance ne devient que de plus en plus évidente. L'incapacité de trouver les voies de sortie qui devraient cibler les axes de croissance à même de porter la croissance à deux chiffres rapidement à l'instar des autres pays Mena. La stratégie à définir ne peut s'élaborer sans inclure la dimension régionale et continentale? Il ne faut pas demander au ministère d'assumer seul cela.
Le choix de Sonelgaz au lieu de Sonatrach ou d'un consortium Sonatrach-Sonelgaz comme principale entité chargée de développer les énergies renouvelables en Algérie est-il contestable '
Par cette question, vous abordez le problème des acteurs, Sonatrach et Sonelgaz n'arrivent pas à assurer leurs missions qui sont des plus importantes particulièrement face aux défis mentionnés plus haut. Les Marocains ont vite compris et l'équivalent de Sonelgaz qui était initialement chargé des énergies renouvelables a été remplacé par Masen pour le développement du solaire. Il n'y a pas d'activités pétrolières, donc pas d'équivalent de Sonatrach. En plus, lorsque Sonatrach et Sonelgaz sont chargées de tout le reste : le développement industriel, l'eau, les services aériens et d'autres, comme le rachat de Djezzy, la mine d'or.
Il ne faut pas s'étonner que le métier des deux principales entreprises se perde.
Il faut un partenariat public-privé, comme cela s'est fait pour certains autres secteurs.
Il faut ramener les deux principales entreprises à leur métier car il y a fort à faire.
Quelles sont les contraintes au développement des énergies renouvelables en Algérie ' Les textes fixant de manière précise la subvention à accorder aux investisseurs dans ce domaine et le prix de cession du kilowatt/heure ont-ils été promulgués '
Les contraintes au développement des énergies renouvelables ne sont pas spécifiques à l'Algérie. Il est vrai qu'elles sont aggravées par un prix trop bas de l'énergie qui repousse donc la compétitivité de certaines filières d'énergies renouvelables, les plus à même de représenter un alternative, à des horizons plus éloignés que ceux arrêtés en Europe.
Le ministère de l'énergie et des Mines a montré la volonté politique pour le développement des énergies renouvelables et en fixant un programme ambitieux, mais réaliste. La Creg travaille sur le chantier de définitions des mesures incitatives qui donneront plus de crédibilité à ce programme.
La dernière mesure du ministre, annoncée à Bruxelles ouvrant la voie au partenariat public-privé afin de permettre au partenaire étranger de détenir la gestion de l'entreprise avec 49%, pourrait lever la contrainte liée à l'investissement étranger. La nouvelle initiative des 5+5 après l'accord d'intégration des réseaux électriques des trois pays maghrébins au réseau européen devrait permettre de régler le problème de l'accès au marché. Nous savons que les tendances énergétiques vont évoluer en faveur de l'électricité avec une augmentation des besoins électriques à plus de 80% d'ici 2030, selon Exxon Mobil. Nous aurons ainsi accès au marché qui permettrait de faire un swap des exportations gaz par de l'électricité et ainsi maintenir le pays en deuxième position de fournisseur énergétique de l'Europe. La sécurisation de cette fourniture peut être sécurisée au plus haut degré, nous savons comment faire. Nous resterons le fournisseur le plus fiable.
Le choix de la filière du silicium par Sonelgaz en matière de développement de l'énergie solaire est-il pertinent ' Faut-il privilégier les centrales thermiques solaires CSP, les cheminées ou tours solaires '
Il faut préciser que le photovoltaïque reste la solution pour les utilisations hors du réseau comme d'ailleurs relevé par le PDG de Sonelgaz, qui a précisé que les CSP et tours solaires sont plus adaptées pour les grandes capacités alimentant le réseau électrique. M. Boumaour, notre éminent chercheur dans ce domaine, a aussi ajouté d'autres applications possibles comme la surveillance des frontières. Il y a lieu de retenir ce qu'a ajouté M. Boumaour, à savoir faire évoluer notre recherche pour améliorer les performances, le silicium, mais pas la forme actuelle, est à l'étude. Il faut dire que l'évolution des technologies reste étonnante par ailleurs. Les raisons des limites du photovoltaïque comme de l'éolien sont que l'intermittence, quand il n'y a pas de soleil ou de vent, pose problème. L'électricité n'est pas stockable. Ceci amène les compagnies d'électricité à prévoir des capacités de réserve pour faire face à ces cas. Les limites du photovoltaïque et de l'éolien ont été fixées à 20% de la production globale fournie au réseau électrique.
En ce qui concerne les coûts, le photovoltaïque reste le plus cher, l'éolien devrait atteindre la compétitivité pour l'éolien terrestre. Les CSP devraient atteindre la compétitivité dans les cinq prochaines années, particulièrement si le pétrole reste au-dessus des 100$/bbl. La démarche de développement par une intégration industrielle nationale forcée devrait accélérer aussi la réduction des coûts. Mais ceci par un partenariat public-privé. Nous avons perdu d'ailleurs des opportunités intéressantes. Ainsi, récemment, l'un des premiers engineerings solaires allemands était en liquidation pour presque rien. Les choix stratégiques se basent certes sur des paramètres coûts, capacités de prise de parts de marché, mais aussi sur les potentiels des ressources.
L'étude faite par la DLR (agence spatiale allemande) à laquelle j'ai participé a permis d'évaluer le potentiel des ressources énergétiques renouvelables de tous les pays du bassin méditerranéen. Ceci a été la base de tout le développement que nous connaissons dans le bassin méditerranéen et concrétisé par la création de Desertec à laquelle j'ai contribué. Il faut relever que derrière Desertec, ce sont des moyens financiers de l'ordre de 400 milliards d'euros qui ont été rendus disponibles pour le développement du solaire. C'est historiquement rare et prouve la crédibilité de cette approche. Pour l'Algérie, l'hydro représente 0,5 TWh/an, la géothermie 4,7 TWh/an, la bioénergie 12,1 TWh/an, les CSP 169 440 TWh/an, l'éolien 34 TWh/an, le photovoltaïque 13,9 TWh/an.
Je pense que vous comprenez l'importance de récupérer au plus tôt le potentiel des CSP, c'est l'équivalent de 10 champs comme Hassi R'mel qui sont perdus chaque année, car cela ne se stocke pas. Nous préserverons en contrepartie nos hydrocarbures pour le futur.
Comment expliquez-vous les hésitations des pouvoirs publics à intégrer et appuyer l'initiative Desertec '
En fait, vous abordez par cette question la dimension des acteurs. L'énergie de par sa dimension stratégique met en jeu d'autres acteurs que les acteurs traditionnels du marché. Les acteurs politiques restent avec un poids déterminant.
à propos de Desertec, j'écrivais il n'y a pas longtemps : ?Ce qu'il est possible de dire c'est que deux acteurs majeurs du plan solaire ont tracé une feuille de route, en attendant de tracer une route à ces exportations maghrébines. Les deux initiatives visent bien donc la sécurisation de l'approvisionnement énergétique des pays européens. La diversité des acteurs et les enjeux en question expliquent le parcours chaotique de ces initiatives chacune de son côté. Nous avons vu au départ de Desertec la prédominance des acteurs du photovoltaïque (PV) qui défendaient par la priorité du PV l'indépendance énergétique de l'Allemagne, du moins c'est ce qu'ils croyaient. Transgreen, le premier nom de Transgrid, anticipait sur la nécessité de renforcer la sécurité d'approvisionnement de l'Europe, sachant que le transport est le maillon le plus important au plan stratégique. Les deux initiatives avaient vocation à converger. La difficulté de positionnement de Desertec est que le domaine de l'énergie est hautement stratégique : alors un lobbying qui ne vise que les acteurs classiques du marché n'a aucune chance d'aboutir. Il faut se rappeler qu'initialement, le gouvernement allemand n'avait pas soutenu Desertec. Transgreen s'est inscrit dans une démarche de prolongation de l'UpM (Union pour la Méditerranée) et son plan solaire méditerranéen. L'effet Fukushima et le moratoire sur le nucléaire en Allemagne ont rendu l'alternative solaire thermique indispensable pour les besoins de l'Europe.?
Vous comprenez les difficultés à cerner le rôle de cet acteur qu'est Desertec, ce n'est qu'un lobby qui devrait aider
à lever les contraintes politiques comme l'accès au marché, le financement auprès des investisseurs traditionnels derrière Desertec.
Mais ce ne fut jamais son véritable rôle. Il ne faut pas non plus rejeter l'initiative, les membres de Desertec sont crédibles.
Comment voyez-vous l'avenir des énergies renouvelables en Algérie, leur contribution au bilan énergétique du pays en 2020-2030-2040 '
Vous ne pouvez pas imaginer les évolutions des technologies, maintenant que le nucléaire a montré ses limites, en plus des risques sécuritaires, les énergies renouvelables seront appelées à contribuer à l'horizon 2050 à satisfaire la moitié des besoins dans le monde. En Algérie, l'objectif de 40% des besoins à 2030 paraît réaliste, dans la mesure où nous améliorons l'efficacité énergétique et que nous développons un modèle de consommation énergétique adéquat.
Nous voyons que la part de l'électricité va croître, il ne faut pas aller à contre-courant et développer la part du gaz dans la consommation nationale au moment où la convergence se fait sur l'électricité et nos réserves gaz s'épuisent. Il faudrait cependant privilégier d'abord l'export à court terme afin de faire supporter à l'export le coût de développement.
Au moment où le marché européen attend des signes, il est bon de les rassurer sur la satisfaction de leurs besoins électriques par de l'électricité solaire en grande partie. Le partenariat public-privé étendu à l'export donnerait aussi plus de crédibilité et favoriserait la stratégie d'intégration industrielle nationale.
Les initiatives de développement régionales maghrébines et européennes devraient être encouragées dans une sorte de New Deal UE-Maghreb. Ceci serait peut être l'objet d'un autre débat.
K. R.


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