Algérie

M. S. Mentouri a su assurer la transition générationnelle entre les cadres



M. S. Mentouri a su assurer la transition générationnelle entre les cadres
Publié le 30.03.2023 dans Le Soir d’Algérie

Par Belhadjoudja Djamel Eddine, haut fonctionnaire à la retraite

Évoquer la mémoire d’un homme qui a laissé une forte et indélébile empreinte dans les différents secteurs où il a exercé est un honneur, un devoir et une reconnaissance de ce qu’il a légué comme acquis pour le pays.
Sollicité par l’actuel Conseil national, économique, social et environnemental, je vais tenter d’évoquer la mémoire de mon premier et dernier responsable dans les secteurs où il a exercé de hautes fonctions, Monsieur Mohamed Salah Mentouri, dit Kamel.
J’ai accepté de me plier à cet exercice pour deux raisons :
- La première est que nous n’évoquons pas assez les femmes et les hommes qui ont, à travers leurs carrières professionnelles ou parcours individuels, contribué à l’émergence et au renforcement de forces patriotiques qui ont été à l’avant-garde des luttes quotidiennes de notre peuple dès l’indépendance et durant les différentes périodes de la reconstruction de notre pays. On a souvent entendu dire ou lu «que rien n’a été réalisé depuis l’indépendance du pays»… C’est vraiment faire fi du sacrifice de ces générations qui ont pris en charge les différents secteurs laissés en ruine par le colonisateur.
- La seconde raison est que ce témoignage se limitera à l’évocation de l’action du Cnes durant la présidence de feu Mentouri ; l’évolution actuelle de cette institution n’est pas l’objet de notre présente contribution ; c’est à la société, dans sa composante plurielle, d’y apporter son appréciation.
Feu Mohamed Salah Mentouri a occupé, au lendemain de l’indépendance, de hautes fonctions dans le secteur pétrolier, au ministère du travail comme directeur général de la sécurité sociale et comme ministre au ministère de la Formation professionnelle, comme secrétaire général, ministre délégué au sport, vice-ministre du tourisme, premier président élu du Comité olympique algérien et président du Conseil national économique et social (Cnes).
J’ai eu le privilège et l’honneur d’exercer sous son autorité à la Direction générale de la sécurité sociale, au cabinet du ministère de la culture et du tourisme et comme chef de cabinet au Cnes.
Étudiant inscrit à la Faculté des sciences économiques d’Alger, venant de l’intérieur du pays et sans ressources (père à la retraite), j’ai cherché un emploi pour pouvoir financer mes études. À cette période, début des années 70, la Sécurité sociale recrutait des étudiants vacataires. Cette initiative a été une décision forte du nouveau directeur général de la Sécurité sociale qui voulait mettre en synergie l’expérience des cadres du secteur en place avec l’énergie de la jeunesse estudiantine de l’époque pour répondre à la nécessaire refonte du système de Sécurité sociale algérien.
Cette conviction profonde de feu M.S. Mentouri de mettre en valeur et capitaliser la capacité de gestion des cadres en place qui ont su, au lendemain de l’indépendance, préserver la Sécurité sociale et, en même temps, associer des jeunes universitaires au grand chantier de la refonte, traduit sa volonté de contribuer à réaliser la transition générationnelle dans la gestion des affaires de la République.
Le projet de réforme du système de Sécurité sociale constituait, à l’époque, la préoccupation centrale du ministère du travail. Feu Mohamed Saïd Mazouzi, ministre en charge du secteur, s’y est investi totalement notamment en le défendant auprès des autres départements ministériels, les enjeux que soulevait son application étant importants.
En effet, pour l’exemple, pour le ministère des finances, les cotisations de Sécurité sociale devaient faire partie de la fiscalité générale, leur caractère et destination sociale remis en cause.
Pour le ministère de l’agriculture, son opposition au projet de refonte du système de Sécurité sociale s’est clairement manifestée alors que le système de Sécurité sociale agricole était des plus archaïques, absence d’allocations familiales et gestion unique de l’assurance économique et l’assurance sociale.
En fait, le maintien des avantages acquis, et particulièrement les régimes spéciaux, allait constituer un point de divergence au sein de la Commission nationale de refonte du système de Sécurité sociale.
La présidence de cette commission fut confiée à feu Mohamed Salah Mentouri, directeur général de la Sécurité sociale au sein du ministère du travail.
Rapprocher les différents points de vue et construire des consensus autour d’un projet dont l’application allait consacrer la mise en place d’un système unique et pérenne de Sécurité sociale n’était pas un exercice aisé.
La concertation de feu Mohamed Salah Mentouri avec les membres de la Commission de refonte, notamment l’organisation syndicale, a été des plus intenses. À cette époque, l’UGTA était qualitativement représentée.
Les enjeux que soulevait la mise en œuvre du projet de refonte de la Sécurité sociale, l’unification des différents régimes de Sécurité sociale, l’unité de gestion, une caisse d’assurance sociale et une autre dédiée au régime de retraite, l’abolition des régimes spéciaux ; toutes ces mesures envisagées constituaient des points de discorde au sein de la Commission de refonte.
Cette Commission au sein de laquelle siégeaient l’UGTA et les représentants des différents départements ministériels a su, sous la présidence de feu M. S. Mentouri, trouver le consensus nécessaire à l’avancement des travaux.
Ce consensus a été trouvé grâce à la proposition de M. S. Mentouri de n’envisager toute modification des niveaux des prestations que vers le haut pour ne pas remettre en question des acquis en matière de droit. Comme aussi la position de M. S. Mentouri de ne pas céder aux demandes de maintien des régimes spéciaux et garantir l’unification des régimes et de gestion du système de sécurité algérien. Cette démarche constituera la base de la refonte en matière de prestation et de gestion.
Le consensus n’a été rendu possible que par la force de conviction de M. S. Mentouri, son ouverture à toute proposition et la rigueur dans l’évaluation des potentialités du pays à garantir un système de Sécurité sociale pérenne.
L’adoption par le gouvernement du projet de refonte ayant été à chaque examen renvoyé du fait des oppositions de certains départements ministériels, M. S. Mentouri, directeur général de la Sécurité sociale, a procédé à la signature de 9 circulaires en 1976/1978 octroyant aux assurés sociaux et à leurs familles les avantages en prestation contenus dans le projet de refonte.
En matière de gestion, il entreprit la mise en place des caisses de wilaya, consacrant ainsi l’unité de gestion de la Sécurité sociale.
Pour mémoire, le projet de refonte du système de Sécurité sociale n’a été adopté qu’en 1983.
À sa nomination au ministère du tourisme, feu M. S. Mentouri me fit appel pour renforcer son cabinet.
Cette expérience professionnelle m’éclaira davantage sur les convictions profondes de ce grand commis de l’État de renforcer le secteur public national. Il s’est attelé à l’élaboration d’un plan d’investissement ambitieux pour le secteur, sans pour autant négliger la restauration des établissements existants.
Avec les cadres du secteur, il a su impulser une nouvelle dynamique et faire de l’élévation du niveau des prestations servies dans les établissements touristiques une préoccupation majeure.
Il a su et surtout empêché les prédateurs nationaux et étrangers d’accaparer certains établissements touristiques.
Sa démarche n’a pas plu, il fut déchargé de la responsabilité du secteur.
Le contexte politique de l’époque 1980-1988 était marqué par la remise en cause de la stratégie de développement au bénéfice du plus grand nombre avec un secteur public économique fort.
J’ai côtoyé en ces moments un homme tourmenté par la démarche de la nouvelle direction politique qui remettait en cause le caractère social du développement du pays affirmé par la déclaration du 1er Novembre et conforté durant les années 1960/1970 ; le secteur économique a été totalement déstructuré, des entreprises économiquement viables furent morcelées ou carrément liquidées.
Feu M. S. Mentouri, déchargé de ses hautes responsabilités gouvernementales, sollicité par le mouvement sportif national, se mit à son service. Il est le 1er président élu du Comité olympique algérien.
Sa désignation par le président de la République, M. liamine Zeroual, comme mem intuitu personæ du Cnes et élu par le bureau de cette institution comme président est le résultat de son appréciation en tant qu’homme de dialogue et de concertation dont le seul objectif a toujours été l’intérêt de la nation, de ses forces vives, de sa jeunesse et de ses travailleurs.
Le Cnes sous sa présidence a, dès sa première session en décembre 1997, marqué son autonomie d’évaluation de l’action publique qui ne devait en aucun cas se transformer en caisse de résonance des pouvoirs publics, ni en un espace d’opposition systématique.
Cette démarche a entraîné dès la 3e session présidée par feu M. S. Mentouri le tarissement des saisines de la Présidence et du gouvernement. La dernière saisine relative aux relations de travail émanait de la Présidence sous l’ère du président Zeroual.
Le gouvernement et la Présidence ne sollicitant plus le Cnes pour des avis, cela ne l’a pas empêché, comme l’autorise le statut Cnes, de s’autosaisir de questions qui agitaient et agitent encore fortement la société :
- Les infrastructures
- Le système bancaire
- La steppe
- L’économie du savoir et de la connaissance
- La formation professionnelle
- Le livre scolaire…
L’élaboration par le Cnes du rapport semestriel statutaire de la conjoncture économique et sociale nationale a constitué l’élément fondateur de la capacité de l’institution sous la présidence de feu M. S. Mentouri de réaliser l’évaluation semestrielle de l’action publique après l’audition des membres du gouvernement concernés par la conjoncture et en faire un document de référence utile tant pour les pouvoirs publics que pour la société dans toute sa composante.
Après les auditions des membres du gouvernement par la commission de conjoncture du Cnes, auditions présidées par feu M. S. Mentouri, l’élaboration finale du rapport était confortée par les travaux préliminaires de l’administration du Cnes dont le président a fait un véritable soutien aux travaux des différentes commissions.
Le rapport de conjoncture semestriel s’est imposé comme document unique (à cette période) et un moment fort dans l’évaluation de l’action du gouvernement dans le pays. Sa publication donne à chaque fois lieu à des commentaires qui mettent en relief la crédibilité de son contenu et la soif de la société de connaître les grandes tendances de l’économie nationale.
En fait, l’engouement sur la production du Cnes et, particulièrement le rapport de conjoncture, démontrait la contribution du Cnes à l’émergence de la citoyenneté économique.
M. S. Mentouri a toujours œuvré, à travers le mode de fonctionnement du Cnes, à rendre cette institution utile pour le pays.
Utile dans la définition de la stratégie économique et sociale nationale ; utile dans l’instauration du dialogue et de la concertation comme démarche centrale dans toute construction des rapports État/société ; utile pour les institutions nationales de procéder régulièrement à l’évaluation de leurs actions.
Les premières auditions du Cnes étaient marquées par de la méfiance, cet exercice de voir des membres du gouvernement exposer leur bilan devant une commission composée de conseillers au fait de l’action publique est novateur, mais aussi source d’appréhension pour des hauts responsables non habitués à ce mode de fonctionnement.
Le climat de convivialité et de sérénité favorisé par feu le président M. S. Mentouri lors de ces auditions, le respect des institutions et de leurs membres, la franchise dans les échanges et le sérieux dans l’examen de toutes les données élaborées et reçues ont contribué grandement à instaurer la confiance et une collaboration franche et sincère entre les ministères et les institutions de la République et le Cnes.
Je ne peux décrire le sérieux et la qualité des travaux du Cnes sans rendre un grand hommage aux conseillers membres issus de divers horizons et qui ont permis le débat social adossé à une véritable expertise.
Le tarissement des saisines par la Présidence et le gouvernement, l’injonction de ne plus publier les travaux du Cnes et les différentes tentatives de blocage des actions statutaires n’ont pas freiné la volonté de feu M. S. Mentouri de faire du Cnes une institution utile pour le pays et une référence au plan international.
Dès la création de l’Association internationale des conseils économiques et sociaux, il est élu par ses pairs comme premier président de cette instance, et ce, au moment où le pays subissait un embargo des pays occidentaux.
En matière internationale, feu M. S. Mentouri ne cessait de nous répéter à l’occasion de travaux dans des enceintes internationales : «Autant au plan national nous apportons notre appréciation sur l’activité économique et sociale, au plan international nous épousons totalement la démarche des pouvoirs publics et de l’État.»
Pour ne pas «tirer sur les ambulances», je n’évoquerai pas ici les conditions précises qui ont amené feu M. S. Mentouri à démissionner du Cnes. Je dis simplement qu’il l’a fait parce qu’il n’était plus possible de fonctionner de façon statutaire, émancipé de toute tutelle dans l’élaboration des avis et recommandations de l’institution.
Merci pour le Cnese de m’avoir permis d’évoquer la mémoire d’un grand Homme.
B. D. E.



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