Avoir le courage de persévérer, avec conviction, pour sauvegarder le métier malgré le poids de l’adversité, être resté fidèlement attaché
aux anciennes méthodes de fabrication ancestrales authentiques, cela dénote vraiment d’un amour solide pour la dinanderie
et d’un attachement viscéral à la tradition.
C’est pourtant ce qui singularise Dris
Amine Khodja, cet artisan dinandier qui
est aujourd’hui le dernier maillon d’une
longue chaîne familiale dont l’histoire se
confond avec celle de la dinanderie
constantinoise. La saga de la famille Amine
Khodja commence, en effet, avec l’arrivée des
Turcs en Algérie lorsqu’un arrière grand-père de
notre ami Dris introduit ce métier artistique à
Constantine. Durant le règne ottoman en Algérie,
les Amine Khodja étaient des notables proches du
bey car, à l’époque, le dinandier occupait un rang
de prestige et faisait partie de la nomenklatura
beylicale et, de ce fait, un Amine Khodja fût
même nommé dans l’administration beylicale, le
diwan, d’Ahmed Bey El Mamelouk qui commanda
le beylicat de Constantine pour la 2ème fois
durant le mois d’août 1820, selon des historiens,
avec rang de Khalifa. Dinandiers de père en fils,
les Amine Khodja comptaient parmi les rares
artisans à fabriquer les grosses pièces de cuivre,
telles “Tadjine laaras” (un grand plat pour les
repas des fêtes) et “Borma Keskes” de grandes
capacités usités dans les grandes cérémonies de
réjouissances. Ils étaient aussi les seuls à
confectionner le grand chaudron de bain maure
(“bormate el hammam”) fait de plusieurs plaques
de cuivre de grosses épaisseurs assemblées au
moyen de rivets en cuivre de même nature avant
d’être martelés pour la mise en forme. Ce travail
d’art nécessite une grande dextérité et exige une
habilité particulière. Cette famille est, sans
conteste, pionnière dans la dinanderie à
Constantine et elle occupe une place centrale
dans l’histoire de cette corporation en Algérie.
Installée sur le vieux rocher voilà maintenant six
générations, elle a exercé ce noble métier sans
interruption depuis pratiquement le début du
18ème siècle. Qui dit mieux ?
Amine Khodja Dris raconte : “à l’époque de
mon père, Constantine comptait plusieurs maitresdinandiers
à la réputation bien établie, au niveau
local et au niveau national, et chacun avait sa
spécialité. Notre famille se distinguait dans la
dinanderie à rétreint, technique qui consistait en
gros à faire dilater le cuivre pour lui faire prendre
la forme désirée. Mon père avait acquis une solide
formation dispensée par mon grand-père tout
d’abord, perfectionnée ensuite au contact de mes
oncles qui faisaient le même métier dans l’atelier
familial. Il devient ainsi, à son tour, un artisan
émérite et fut, peut être l’un des derniers à
fabriquer cette gamme de la dinanderie
traditionnelle constantinoise, tout aussi spécifique
qu’abondante et variée, dont les foyers de la
médina faisaient grand usage. Nous citerons, à
titre d’exemple, les ustensiles de cuisine : tadjine,
borma, keskes, makla, tandjir, m’rach… les
ustensiles de bain : mahbès, taffel, tassa,… les
ustensiles de la blanchisserie : kirouana, gasâa,
nous citerons aussi certains instruments de
musique comme la derbouka en cuivre rouge et
les “naquarettes”, sorte de tambourins servant à
battre la mesure dans les orchestres de musique
traditionnelle”. En effet, il faut préciser que Si
Mouloud, le père de Dris, comme tout bon
constantinois artisan qui se respecte, était
amateur de musique populaire et jouait de la
mandoline. Il accompagnait souvent cheikh Omar
Benfarthabia, chanteur populaire très connu à
l’époque sur la place constantinoise. Aussi,
l’arrière-boutique de Si Mouloud devenait le soir,
après les heures de travail, un lieu de rencontre
de chanteurs et musiciens de l’époque : cheikh
Benrachi, cheikh Hassouna, Cheikh Gma et
autres, se réunissaient là presque tous les jours
autour d’un plateau de sucreries et de thé pour
s’adonner aux z’djel, hawzi, mahjouz ainsi qu’au
medh. A ce titre, Si Mouloud participa à des
manifestations artistiques et à des expositions
artisanales nationales et internationales, comme à
Tunis en 1964 où il eut beaucoup de succès. Mais
revenons à la dinanderie. Dris, aujourd’hui le
digne représentant de cette grande famille de
dinandiers, conservateur d’une riche tradition qui a
fait la renommée de Constantine, après avoir
achevé ses études dans la métallurgie à l’IMA
d’El Hadjar (Annaba) et décroché brillamment un
diplôme d’électronique à Dijon (France) et des
certificats en plomberie de chauffage central, est
revenu tout naturellement à ce métier ancestral et
s’attache, avec beaucoup de conviction, à
perpétuer la tradition. Son atelier qui porte
l’enseigne, comme de juste, “Dar Nahass
Quacentina” se trouve dans le quartier populaire
de Sidi Bouanaba en haute médina (Souika). Tout
petit, ce local fait pourtant office de galerie
d’exposition-vente de toute la gamme d’objets en
cuivre qu’il façonne suivant rigoureusement les
méthodes traditionnelles. L’arrière-boutique lui
sert d’atelier qu’il a richement équipé et aménagé.
Là, en véritable artiste qui excelle dans plusieurs
corps de métiers (maçonnerie, boiserie,
électricité), il a aménagé un four automatique
“unique en son genre dans tout le pays”, assure-til.
A propos de son magasin-atelier, Dris nous
révéla : “les autorités m’ont proposé un local plus
grand et plus spacieux à la cité Boussouf, mais j’ai
refusé catégoriquement d’abandonner ce magasin
qui est là depuis 1927, car j’estime que c’est là
que sont mes racines et pour tout l’or du monde je
ne quitterais mon local !”. Voilà qui est dit. Dris
Amine Khodja demeure fidèle aux legs: Il garde
entre ses mains et dans sa tête l’intégralité de ce
savoir-faire, de cet art qui témoigne d’une culture
typiquement constantinoise. Il n’a cessé de
proclamer que “la dinanderie est une passion pour
moi, une culture à faire connaître. Vous savez que
la gamme de la dinanderie constantinoise est
composée de pas moins de 380 pièces, toutes en
cuivre rouge, façonnées uniquement à la main
selon des méthodes qui remontent à plusieurs
siècles !”. Pour appuyer ses dires, il nous montre
sa pièce favorite, un Mahbes, pièce unique en
Algérie parce que réalisé sans aucune soudure !
Avec cet ustensile, il a remporté le premier prix à
un concours national sur l’artisanat traditionnel.
C’est l’occasion pour lui de nous décrire, avec
force détails, les différentes phases du processus
de façonnages allant du maillet (gros marteau en
bois) à la cuisson dans le forage. Dris va au delà
de la technique proprement dite puisqu’il est
passé créateur, en ce sens qu’il a le mérite de
réinventer toute une panoplie de formes
traditionnelles que la technologie moderne toute
faite de platitude et d’uniformisme avait
progressivement rejeté vers le déclin. Son
inspiration ajoute des dimensions usuelles et
esthétiques aux objets qu’il conçoit. C’est pour
cela qu’il est le seul dinandier à maîtriser et la
tradition et l’ art. Toutefois, il regrette amèrement
que de nos jours, le tout commercial, constitué de
produits “Taiwan” qui submergent le marché et
encourage le gain facile, porte un préjudice
certain aux nobles métierstraditionnels. Résultat :
les véritables valeurs basées sur l’esthétique et
l’authenticité disparaissent peu à peu et emportent
dans leur sillage nos coutumes et une partie de
notre patrimoine local. L’amertume qui se dégage
des propos de cet artisan ne peut, cependant,
altérer sa volonté de continuer sur la voie tracée
par ses devanciers pour faire perdurer ce métier
en cherchant à le transmettre aux jeunes
générations. “Quitte à être le dernier des
Mohicans, je ne lâcherai pas le métier”, dit-il en se
forçant à rire. Puis, il fulmine contre cette culture
de l’oubli qu’on cherche à inculquer aux
générations montantes. Son courroux est dirigé, il
ne le cache pas, contre la Chambre des arts et
des métiers de Constantine “qui, dit-il, mène la vie
dure aux véritables artisans. Pourtant, j’ai été à la
base de la constitution de cette chambre qui nous
représente très mal”. Il pense que tout un pan de
l’histoire de la cité risque de disparaître si
personne ne réagit.
“L’artisanat traditionnel
est le résultat d’un univers
culturel au même titre que
les oeuvres littéraires
ou picturales”
dit-il avec emphase.
Les objets que nous fabriquons sont chargés
d’histoire. Ils racontent l’histoire de la ville. Ils
occupent une place saillante dans cette histoire.
Prenons par exemple, l’ensemble de bain de la
mariée composé de Mahbès, Teffal et Tassa, ou
encore le “kettar” très prisé . Ces objets sont
associés dans l’imaginaire constantinois à des
évènements bien précis. Ces objets contiennent
donc du temps, du rituel et des signes
d’identification sociaux et culturels. Donc, si on
vient à perdre ces repères nous perdrons un peu
notre authenticité”. Après sa démonstration
“philosophique”, Dris revient à la réalité pour dire,
qu’après tout, la dinanderie n’est pas encore finie
dans sa ville comme c’est arrivé dans d’autres
régions (Alger, Ghardaia, Tlemcen). Néanmoins, il
reconnait que le métier est menacé à cause de
l’absence de relève vu la carence des centres de
formation en arts traditionnels, aussi, il se montre
prêt à servir dans ces centres. “Moi je ne veux
pas, en mourant, emporter les secrets de mon
art”. La relance de la dinanderie ne repose pas
uniquement sur la formation de la relève selon cet
artisan, il y a aussi le problème de la matière
première importée (le cuivre) qui ne convient pas
à la dinanderie traditionnelle. La relance du
tourisme pourrait également contribuer fortement
à la renaissance des arts traditionnels.
Abdou.L R S
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Posté Le : 11/07/2013
Posté par : DINANDERIE
Ecrit par : Abdou.L M
Source : el acil