Algérie - M'cisna

M’cisna (Béjaïa) - Virées aux salines d’Ighil Ouantar



M’cisna (Béjaïa) - Virées aux salines d’Ighil Ouantar




Le sel d’Ath Aloune, qui était commercialisé dans toute la vallée de la Soummam, n’est plus le produit d’antan. Avec les conditions très rudes de son extraction, les exploitants abandonnent de plus en plus cette activité.

Un samedi très chaud du mois d’août dernier, à Ath Aloune, à la rencontre des derniers sauniers encore en activité. 10 heures, nous sommes à Seddouk. En empruntant un raccourci de chemin, nous arrivons, au bout d’une vingtaine de minutes de trajet, au centre du village d’Ighil Ouantar, situé à une douzaine de kilomètres du chef lieu de la commune de M’cisna. Le hasard a voulu que Chikhoune Abdenour soit la première personne rencontrée, avec des sacs de sel à dos d’âne qu’il guidait le long du chemin qui monte au village. L’homme, très accueillant, n’hésite pas un instant à rebrousser chemin pour nous accompagner et nous faire découvrir le site de Tamelaht et le métier du saunier qu’il exerce avec amour et fierté.

Depuis plus d’un siècle, l’extraction du sel de Tamelaht, dans la commune de Mcisna, se fait d’une manière artisanale. Les salines d’Ighil Ouantar, qui constituaient dans un passé récent une source substantielle pour la population locale, sont livrées à elles mêmes. Un triste sort est réservé à ces lieux qui étaient tant fréquentés notamment en période estivale, saison des récoltes. Même le sentier qui y mène est envahi par les herbes folles.

«Des familles vivaient, jadis, uniquement des revenus du sel, produit qu’elles vendaient ou échangeaient contre d’autres denrées alimentaires», disent des villageois en soutenant que le rude métier de saunier n’est plus en mesure de leur assurer seul une vie décente.

«Le sel n’est plus rentable et convoité comme il l’était à l’époque», enchaîna Ait Ouakli Youcef, vieux saunier de 78 ans.

«C’était à dos d’âne qu’on le transportait et sillonnait les ruelles des villages pour vendre et promouvoir le produit», témoignent Abdenour et Youcef, les deux sauniers qui demeurent encore en activité.

La production du sel est ancrée dans la mémoire et les traditions de la population locale, transmises d’une génération à une autre chez les Ath Aloune, les habitants d’Ighil Ouantar.

Le sel local était utilisé aussi pour la conservation des aliments, en l’absence de réfrigérateur.

«Pour conserver nos viandes, la tomate et toute récolte de nos cultures maraîchères nous n’avions que le sel», dira un vieux.

Le sel d’Ath Aloune, qui était commercialisé dans toute la vallée de la Soummam, n’est plus le produit d’antan. Concurrencé par le sel iodé industriel, le sel des salines a perdu, avec le temps, de sa valeur marchande. Avec les conditions très rudes de son extraction, les exploitants abandonnent de plus en plus cette activité. Les crues et les glissements de terrain ont endommagé les étangs qui résistent encore aux aléas de la nature, comme pour témoigner d’une époque ancienne.

Saunier était le métier saisonnier de tous les habitants d’Ighil Ouantar, quelque soit leurs âge et sexe. On se mobilisait pour nettoyer les étangs et les bassins de séchage. Dès le mois de mai, on s’affaire aux préparatifs de la campagne de production qui s’étend jusqu’à octobre-novembre. Pour la remise en état des bassins et du sentier qui y mène, on organisait des volontariats. Les hommes, les femmes et même les enfants se font un devoir d’y participer.

La saline située au contrebas du village au relief accidenté complique les conditions d’exploitation du site. Un sentier serpente la colline formant une spirale autour d’une montagne rocheuse.

«L’aménagement d’une route carrossable aurait relancé l’activité», estime Aguemmoune Abdelkader, membre de l’association Tamelaht, en affirmant que seuls les plus démunis exploitent encore le gisement pour subvenir aux besoins de leurs familles.

Ces marais salants scintillants commencent à être délaissés.

«Nos aïeux ont gardé jalousement les traditions inhérentes aux salines, ces lieux bénis», se souvient-il.

La tradition veut qu’à chaque occasion de l’aïd et autres fêtes religieuses, des processions de villageois se rendent sur le site pour y immoler un bœuf. La viande sera partagée équitablement entre les familles dans une atmosphère de communion. L’eau saumâtre est drainée vers des marais (Igoulmimen). Après son évaporation, le sel est ramassé puis transporté dans des sacs sur dos de mulets.

Non loin du site, une maisonnette en ruines témoigne de ce passé.

«Au milieu de la journée, nous nous mettions ici, à l’abri de la chaleur torride de l’été», se souvient encore un exploitant, d’un âge avancé.

À l’époque, le site de Tamelaht fourmillait de monde.

«L’ambiance de fête faisait oublier la fatigue en revigorant les gens mobilisés en famille pour faire face au rude travail», se souvient Zoubir.

«Dès l’aube, les femmes remplissent les bassins d’eau et les sacs de sel», raconte M. Chikhoune en précisant que c’est à partir de 11h que les hommes prennent le relais en transportant le sel récolté pour l’emmagasiner avant d’être commercialisé.

Ainsi, les femmes et les hommes se relayaient pour partager le rude travail. Ces marais salants ont été à l’origine d’affrontements meurtriers entre les habitants d’Ighil Ouantar et ceux des villages voisins. Le site qui renfermait aussi d’autres potentialités agricoles était convoité par des tribus rivales.

Paroles de sauniers

«Des jeunes me demandent de leur apprendre le métier, une fois qu’ils découvrent le rude métier du saunier ils abandonnent, préférant la vie facile», dira avec ironie Chikhoune Abdenour, en nous montrant ses mains coriaces de vieux saunier.

«Ce métier je l’ai appris de mes parents depuis mon très jeune âge, à six ans déjà je leur prêtait la main», a-t-il ajouté en affirmant qu’il ne compte jamais abandonner ce métier qui devient plus qu’une passion pour lui malgré son âge (61 ans).

Comme lui, âami Youcef Ait Ouakli, un vieux de 78 ans, rencontré sur les lieux, glisse ses doigts dans les marais salants sous le soleil de plomb tentant de remplir ses sacs de sel.

«Il y avait plus de 1.500 étangs à Agulmime, maintenant il n’en reste qu’une dizaine. Les gens ont fui les rudes métiers pour vivre des pensions de retraites françaises de leurs parents», a-t-il regretté.I. R.

* Photo: Les marais salants scintillants d’Ath Aloune commencent à être délaissés.

Irbah Rabah



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