La transition permanente, un facteur majeur de la corruption en Algérie 2ème partie suite et fin - Ne pensez-vous pas que les situations de monopole qui, au nom de la souveraineté nationale ou autre, n’ont aucune raison d’être, contribuent à renforcer la corruption? - Absolument. Le danger est grand de voir passer le monopole d’Etat à un monopole d’individus. Comme il a été dit dans notre déclaration, lorsque vous avez des situations où des individus décident en lieu et place des institutions, on arrive à la corruption et la mauvaise gouvernance. Et donc il y a un danger justement de voir se remplacer un monopole d’Etat par un monopole d’individus. Il faut donc être très attentif et c’est pour cela, aussi, que nous allons essayer de proposer des réformes du système de régulation, du système judiciaire, du système bancaire ainsi que la réforme de l’administration et de la Fonction publique. Ces réformes ne réussiront que si elles sont entreprises toutes ensemble dans une cohérence globale et une vision unifiée, parce que si vous réformez l’un sans réformer l’autre cela n’a pas de sens. Si aujourd’hui on assiste à des procès courants liés à des scandales divers c’est parce qu’il y a des défaillances au niveau de la régulation, du système judiciaire et au niveau du système bancaire. Cette situation est induite justement par l’absence d’une vision globale et d’une idée unifiée pour voir où l’on veut aller et c’est ce qui fait que nous restions, comme je l’ai dit plus haut, dans cette trappe de transition permanente. - L’Algérie a ratifié, dans le domaine de la corruption, un nombre de conventions des Nations unies. Dans le discours officiel, tout prête pour qu’il y ait une lutte accrue contre ce phénomène, mais voilà, sur le terrain, on ne ressent pas cette volonté de lutter contre la corruption. D’après vous, est-ce dû à l’esprit des lois ou est-ce que ce sont les mécanismes qui ne sont pas adaptés? - Il y a effectivement des conventions internationales comme celles de New York ou de Maputo… qui donnent un certain nombre de dimensions. Par exemple, ce qui est intéressant dans la convention de Maputo est qu’elle donne un rôle important à la société civile et à la protection des dénonciateurs. Notre législation ne s’est pas encore adaptée pour cela. Je ne crois pas que ce soit seulement une question de mécanismes, de jugement ou de justice, c’est aussi une question de dimension politique. Il faut avoir une vision politique globale c’est-à-dire une vision de comment faire les choses. Et c’est pour cela que nous proposons une nouvelle politique de développement qui est cohérente sur l’ensemble des éléments. Comme je l’ai dit, on ne peut pas réformer une institution sans réformer l’autre. Il y a toujours une complémentarité entre les différentes réformes. Il faut avoir une feuille de route qui tienne compte d’une démarche séquentielle, c’est ce que les anglo-saxons appellent les niveaux séquentiels de réforme. Si vous n’avez pas une vision claire des niveaux de séquence, cela ne marchera pas. C’est comme l’exemple de celui qui construit une maison; s’il ne sait pas qu’il faut acheter au même moment le ciment et les briques, comment voulez-vous qu’il ne tombe pas en panne? - Donc, d’après vous, il faut une volonté politique… - Exactement. Mais attention, il faut bien s’entendre, car souvent on fausse le sens des mots. Quand je parle de volonté politique cela consiste dans le fait qu’il faut avoir une vision claire des choses et une feuille de route pour traduire dans les faits cette vision en plus d’être prêt à affronter les problèmes. Parce que s’il y a un domaine dans lequel vous avez des problèmes de mise en œuvre c’est bien celui de la lutte contre la corruption car il y a de gros intérêts en jeu. C’est pourquoi il faut être vigilant et il faut surtout un appui très fort des plus hautes autorités de l’Etat et un suivi rigoureux par celles-ci. Un suivi de tous les jours pas celui des systèmes socialistes dit de «gestion par les campagnes». - On parle de volonté politique, de mécanismes, de vision… où situez-vous la place du contrôle dans la lutte contre la corruption? - Si vous parlez de contrôle, et cela est très classique, il y a le contrôle à priori et le contrôle à posteriori. La question est souvent qu’on fait le contrôle à priori –à posteriori on ne le fait pas du tout– avec une formulation bureaucratique qui ne fait que compliquer les choses et qui, au contraire, encourage la corruption. C’est une question qui a été traitée internationalement depuis maintenant plus d’une dizaine d’années par plusieurs institutions de pays qui sont classés dans les premiers rangs de la lutte contre la corruption. Cela pour dire que nous avons aujourd’hui un patrimoine international très riche de lutte contre la corruption dans sa dimension de contrôle à priori et de contrôle à posteriori, mais il ne faudrait pas que ce soit un contrôle qui aille vers les individus, il faut que ce soit un contrôle des institutions et donc il faudrait que ce soit vraiment un système de réglementation et de procédures clairement établies qui empêchent justement la corruption et non pas un système bureaucratique qui compliquerait cette tâche et donnerait beaucoup de discrétion aux individus. Pour le contrôle à posteriori, là également, ce n’est pas uniquement sur la corruption mais aussi au niveau de toutes les réalisations. Par exemple, on lance la réalisation d’un certains nombre d’infrastructures avec des objectifs clairement établis, il faudrait qu’il y ait après la réalisation un système qui vérifie si les objectifs sont atteints. Aujourd’hui, cela n’existe pas en Algérie. On travaille seulement pour l’avis d’appel d’offres, après c’est le néant. Donc il faut éviter de tomber dans la situation où l’on va contrôler des individus et où l’on perd beaucoup d’énergie. Il faut aller vers un système qui amènerait les individus à bien fonctionner dans les institutions et par conséquent on se retrouve dans le schéma où la légitimité est chez l’institution et non chez l’individu. - Comment voyez-vous le rôle du fisc dans la lutte contre la corruption - L’intérêt est de mettre en place des systèmes de fonctionnement qui empêchent la fraude. Lorsqu’il y a le système déclaratif de revenu, cela empêche les gens de jouer avec le fisc. En Algérie, et pour des raisons de facilité et puis ça aide tout le monde, l’administration fiscale prend les impôts à la source. L’individu n’est pas tenu de déclarer ses autres revenus. Dans d’autres pays, on ne prend pas les impôts à la source. On vous donne tout votre revenu et à la fin de l’année vous faites les déclarations. Il y a, bien sûr, des systèmes d’avance, mais à la fin de l’année il faut régulariser la situation. Mais ce schéma personne n’en veut chez nous, d’abord parce que ça demande beaucoup de travail et ensuite les gens sont tous contents de n’avoir rien à déclarer. Et c’est un peu cela la volonté qui manque pour adapter ces systèmes de contrôle en Algérie. Voyez, nous avons commencé avec la réforme fiscale (identification fiscale, informatisation…), mais cela grince car cette situation n’arrange personne. C’est pour cela qu’il faut une volonté d’aller à ce type de contrôle. Pour l’histoire, lorsque j’étais ministre des Finances, j’avais voulu mettre en place le système de vérification de la valeur par des bureaux étrangers. Dès lors, c’était la levée des boucliers pour me présenter la chose comme étant une cessation de la souveraineté nationale. Ces sociétés devaient d’abord répondre à un cahier des charges et, partant, je ne vois pas où se trouvait l’atteinte à la souveraineté. Ensuite cela nous aurait permis de mettre en place une véritable mécanique de contrôle. Car ce que vous devez savoir, c’est que ces sociétés agissent dans le cadre d’une organisation mondiale. Chaque fois qu’un conteneur part d’un endroit, ils peuvent vous donner la valeur exacte des produits acheminés. Cela rend la tâche, lors du dédouanement, plus aisée car les services douaniers possèdent déjà une reconnaissance de valeur par le bureau qui aurait été agréé. A la lumière de tout cela, se pose, une fois de plus, le problème de la volonté… - …Pensez-vous qu’elle existe ? - Si elle n’existe pas, il est impératif de tout faire pour qu’elle devienne réalité. Encore une fois, il faut sortir de ce débat de la volonté des individus. Il y a un adage qui dit que «perdre la vue est moins grave que perdre la vision». Donc quand je parle de volonté, ce n’est pas la volonté de la vue mais plutôt la volonté de la vision. Il y a peut-être une volonté de la vue, mais qu’est-ce qu’elle peut bien faire? Vous ne voulez quand même pas contrôler plus de 30 millions d’habitants! - Il y a en ce moment deux procès concernant d’importants scandales banquiers (Khalifa et la BCIA) qui se tiennent. L’impression qui se dégage est que l’on est en train de juger des acteurs de second rôle. Quelle est votre appréciation? - En ce qui me concerne, je ne veux même pas entrer dans ce débat de premier ou second rôle. Le problème est qu’il faille prendre conscience qu’il y a une défaillance du système de régulation, du système de gestion bancaire et du système de gestion judiciaire. C’est cela qui est très important. Il s’agit de tirer les leçons de cette expérience pour justement concevoir des réformes complémentaires entre ces systèmes, et c’est ce que nous proposons. Je reviens, une fois de plus, à la vision, soit on met en place un système qui sanctionne les institutions soit on met en place un système qui sanctionne les erreurs. Bien sûr, il faut sanctionner les erreurs, il n’y a aucun problème là-dessus. Mais s’arrêter à ce niveau, cela ne règle aucun problème car on sanctionne l’individu qui a fait l’erreur. Au contraire il faut mettre en place les systèmes qui permettent d’éviter ces situations. Donc il faut réformer le système de régulation pour savoir qui fait quoi et comment. Il faut réformer le système bancaire pour nous permettre de réagir dès la première anomalie et qui nous éviterait ce type d’affaires et d’autres à venir. - M. Benbitour, depuis que vous avez démissionné de la chefferie du gouvernement, on a l’impression de vous avoir un peu perdu de vue… - En réalité, je ne me suis pas éclipsé. J’ai quitté le gouvernement en 2000 et dès 2001 j’ai commencé à attirer l’attention sur un certain nombre de défaillances par l’écriture et des contributions dans la presse… La radio et la télévision étant fermées aux voix non complaisantes. Ensuite, j’ai essayé de me présenter comme candidat à la présidentielle en 2004, mais les conditions de l’alternance n’étaient pas réunies. J’ai continué mes activités, mais pas pour faire de la politique politicienne. Je me présente comme une force de propositions et d’éveil, c’est cela qui est important. Faire de la politique aujourd’hui n’est pas adéquat, car les partis politiques sont quasiment installés dans l’activisme politique contrôlé. Si on veut faire de la politique, il faut la faire sérieusement, malheureusement nous ne sommes pas dans cette situation. L’espace étant fermé, il faut aller vers la société civile pour devenir une force de propositions et une force d’éveil. Et ce n’est pas au moment où le pays a le plus besoin de compétence et d’intégrité que je vais m’arrêter.
Posté Le : 11/02/2007
Posté par : sofiane
Source : www.voix-oranie.com