Algérie

LUMIÈRES D'ALGÉRIE



Publié le 25.07.2024 dans le Quotidien d’Oran
par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres:

Baya ou le grand vernissage. Essai de Alice Kaplan (traduit de l'américain). Editions Barzakh, Alger 2024, 234 pages, 1 400 dinars

Un portrait, un voyage outre-mer (en France) et un séjour qui commencent fort. Nous sommes en 1947..., à Paris, dans une certaine France -l'artistique et la culturelle- qui a, peut-être, sur la conscience, les massacres du 8 mai 45 subies par les populations algériennes de Guelma, Sétif et Kherrata. On a, comme invitée, une jeune fille algérienne (une «Arabe» !) qui n'a pas encore 16 ans. Grâce à une femme d'origine européenne d'Algérie, «complexe et attachante», Marguerite Caminat, l'adolescente, alors vouée au «rôle de bonne à tout faire», va se retrouver propulsée au rang de célébrité parisienne... grâce à ses peintures qui vont étonner les plus grands artistes de l'époque (dont Picasso qui la recevra en ses ateliers de céramique, à Vallauris, durant l'été 1948) en bouleversant les canons traditionnels de l'art pictural. Un grand vernissage est organisé à Paris. Elle devient ainsi, rapidement, une gloire du monde artistique parisien de l'après-guerre, inspirant, à travers ses œuvres qui «inventent» les rapports de couleurs, aussi bien les approches artistiques que la mode de l'époque. On aura même un tissu «Baya». «Dans les dernières secondes, alors que la caméra zoome sur son visage, elle affiche un sourire électrique. Son regard est provocant, sarcastique, amusé, agacé». Elle sait déjà qu'en pénétrant dans le monde des galeries parisiennes, elle se retrouvera certes sur un marché de l'art international... mais elle restera toujours la petite musulmane à la peinture aux formes audacieuses et au bestiaire fantastique. Elle sait aussi qu'elle sera surveillée, évaluée à chaque pas, tenue de représenter son peuple par sa posture, ses ongles, ses manières de table. Un symbole, chargé de promouvoir l'image de toutes les jeunes musulmanes d'Alger. Voilà qui ne manque pas, bien sûr, de déranger certains milieux de la presse qui empruntèrent les chemins de l'info' sensationnelle déformée. Bien des fantasmes sont alors au rendez-vous.

Le «grand vernissage» -et la grande aventure parisienne- est certes le point de départ de l'essai (plutôt une recherche documentaire menée avec précision... avec le grand souci du détail qui compte... à l'américaine), mais il a amené, aussi, l'auteure à reconstituer tout le décor où a grandi Baya en même temps qu'elle dépeint - avec un style élégant et la rigueur habituelle - son entourage proche.

Notes (extraites d'un article de Ameziane Ferhani, in El Watan, du 12 janvier 2013): -Dans le catalogue de l'exposition, André Breton, écrivain et fondateur du mouvement surréaliste, écrit un texte magnifique sur la peinture de «la très gracieuse Baya» Avec des teintes d'exotisme, l'écrivain n'oublie pas ses engagements. Celui qui sera l'un des premiers à signer, en 1960, le Manifeste des 121 qui affirme que «la cause du peuple algérien, qui contribue de façon décisive à ruiner le système colonial, est la cause de tous les hommes libres», lie les œuvres de Baya à «la délivrance du monde» et parle du «monde musulman, scandaleusement asservi».

-Commentant l'exposition de 1947, Kateb Yacine écrira que Baya «incarne les premiers pas d'un art algérien moderne dont les cheminements complémentaires ne se cristalliseront décisivement que durant la décennie suivante, à travers la peinture des précurseurs, tels Issiakhem et Khadda, tous nés comme elle autour de 1930». Ainsi, il donnait à Baya sa véritable place dans l'histoire de l'art moderne algérien : celui de «mère».

L'Auteure : Phd en littérature française de l'Université de Yale (Etats-Unis), enseignante, écrivaine et chercheuse. Des travaux portant sur l'autobiographie, les mémoires, la théorie de la traduction, la littérature de langue française du XXe siècle.

Plusieurs publications dont «Trois Américaines à Paris : Jacqueline Bouvier Kennedy, Susan Sontag, Angela Davis», en 2012 (Gallimard), «Maison Atlas» et «En quête de l'Etranger» aux Editions Barzakh. Elle a séjourné plusieurs fois en Algérie (Alger, Oran...), pour se documenter et pour présenter ses ouvrages et en débattre avec le public.

Table des matières: 21 chapitres/20 pages de reproductions d'œuvres de Baya et de photographies/ Remerciements/ Notes

Extraits : Tous les propriétaires de galerie (sans compter tous les éditeurs) (parisiens !) sont de cette force. Le meilleur d'entre eux, vraiment le meilleur, raconterait la pire horreur sur sa propre mère, si cela pouvait servir sa publicité. Inconscients» (p 113), «Quand Picasso rencontre enfin Baya dans les ateliers de céramique de Vallauris, à l'été 1948, il constate une créativité juvénile qui n'a plus rien de générique. Elle procède cette fois d'une artiste puissante et originale» (p147).

Avis: Une histoire trop longtemps restée incomplète -même chez nous- ... «telle une traînée de couleurs sur une toile inachevée». Un livre qui donne corps et épaisseur à une icône du patrimoine algérien.

Citations : «Selon un proverbe arabe, «dire «Je ne sais pas» est déjà la moitié du savoir» (p 23), «Nous recevons avec amour les dessins de nos enfants, nous ne les évaluons pas, nous ne les jugeons pas : ils sont tous merveilleux -à moins qu'ils contiennent quelque chose de vraiment remarquable qui nous ouvre les yeux et nous fait voir le monde autrement» (p 47), «Son art est bien des choses, mais c'est d'abord un cénotaphe» (p 155), «La guerre, cette grande séparatrice des pays et des hommes, a permis des ruptures radicales, de nouveaux départs, des annulations du passé» (p172).


Algérie. Arts visuels. Un siècle de création et de créateurs : 1896-2014. Dictionnaire de Mansour Abrous. Editions Dalimen, Alger 2014, 1 800 dinars, 857 pages

Ce qui est très intéressant dans cet ouvrage, c'est qu'il remonte le temps bien loin, donnant ainsi aux arts visuels algériens une histoire qui date de… 1896 ; date qui avait vu la première exposition à Londres de Ben Yusuf (Benyoucef) Zaïda : Née à Londres en 1869 d'un père algérien, Mustapha Moussa Benyouseph Nathan et d'une mère allemande, elle était partie aux Etats-Unis en 1895 et avait conquis le monde de la photographie (surtout le portrait), du journalisme et de la mode. Devenue américaine, elle décède en 1933.

Ce qui est intéressant dans cet ouvrage, c'est qu'il nous présente en plus des éphémérides (en Algérie et activités algériennes à l'étranger) 4 545 biographies actualisées, vérifiées, validées. Un travail colossal que l'on sait mené avec passion et entêtement depuis déjà des années et des années. Une véritable «base de données» (...)

Selon l'auteur, 29% des biographies relèvent d'artistes femmes, le reste étant consacré aux plasticiens masculins.

Certaines femmes, en fondant un foyer, délaissent quelque peu cette activité ou bien elles y reviennent plus tard. 39% de ces artistes ont reçu une formation, notamment à l'Ecole des beaux-arts. 47% sont nés avant l'indépendance. 86% vivent en Algérie et 14% résident à l'étranger et évoluent notamment au Canada, Belgique, France, Allemagne, Londres et en Afrique (...)

L'Auteur : Né à Tizi Ouzou en 1956. Diplômé de psychologie et d'esthétique, il a enseigné à l'Ecole des beaux-arts d'Alger (...)

Avis : Outil de travail indispensable… et à la valeur indiscutable. A consommer sans modération.

Citation : « Il faut inciter les pouvoirs publics à créer les conditions d'évaluation des politiques publiques, à financer un observatoire des politiques et de l'action culturelles, à aider à la construction d'outils d'analyse pérennes et à faciliter l'émergence de recherches plus approfondies, en lien avec l'université » (p 7).




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