Algérie

Lu, vu et vécu



Quand le chroniqueur maison du journal Le Monde, Laurent Greilsamer, se fend d?un texte intitulé « Supplique pour la sauvegarde des petits Lu » (9 juillet), la chose peut paraître dérisoire, sinon risible. L?actualité française serait-elle si pauvre pour qu?il n?ait plus à tremper sa plume que dans une histoire de biscuits ? Pourtant, à le lire, on comprend le sérieux du sujet. La marque, issue d?une tradition nantaise de plus d?un siècle, initiée par les initiales d?un certain Lefèvre-Utile, vient d?être rachetée par la multinationale Kraft-Foods. L?éditorialiste signale les inquiétudes de milliers de salariés et s?interroge sur le sort du Petit Beurre qui appartient au « patrimoine national à la manière d?un monument » et, ajoute-t-il « à notre mythologie (?) et notre histoire ». Libre à vous de prendre cela pour des jérémiades de bien nourris. Ce serait négliger une part immense de l?identité culturelle qui ne se limite pas à la littérature et aux arts, mais s?appuie aussi sur les modes de pensée et les comportements quotidiens. La culture est avant tout du vécu, un vécu balisé par des objets qui peuplent notre environnement et le personnalisent. Il y a quelques années, nous signalions dans ces colonnes la disparition du dernier objet qui avait traversé avec les Algériens la quasi-totalité du XXe siècle : la capsule métallique dentelée des bouteilles de Hamoud Boualem. Remplacée par des bouchons en plastique, elle emportait avec elle le témoignage d?une époque traversée par plusieurs générations. Avec les modes vestimentaires, l?art culinaire est un révélateur culturel puissant. Les archéologues le savent bien, eux qui tirent des restes d?un repas sauvé du temps, parfois plus d?informations que de monuments prestigieux. Biologique, l?acte alimentaire est éminemment culturel chez l?homme. Jonction de l?économie, des techniques, des croyances et des systèmes sociaux, il justifie l?adage : « Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es. » Tandis que la vague estivale des mariages et autres fêtes remet en vogue les grandes boustifailles, combien de questions pourraient intéresser nos sociologues ! Notre furie « diabétomane » de pâtisseries ne serait-elle pas le signe de frustrations qui n?ont rien d?alimentaires ? Une boulimie existentielle inassouvie ? Et que penser de l?innovation des gâteaux traditionnels, comme dans ce café de Vieux-Kouba où l?on sert des maqroutes cylindriques ? Serait-elle due à une qualité créative, des astuces commerciales ou un manque d?ancrage dans nos repères ? Doit-on en rire ou se plaindre de la disparition éventuelle de l?ancestral losange comme du dernier carré de résistance à la mondialisation culturelle ?


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