Publié le 19.05.2024 dans le quotidien l’Expression
Dans cet entretien, Lounès Ghezali parle du livre «54/62 - 7 ans de guerre contre 124 ans d'occupation, de souffrance et de misère», qui vient de paraître aux éditions «Talsa» d'Azazga. Le livre a été réalisé par l'association historique et culturelle «Tagrawla» de Tizi Ouzou et préfacé par le moudjahid et président de l'Organisation nationale des Moudjahidine (ONM) de la wilaya de Tizi Ouzou, Ouali Ait Ahmed.
L'Expression: Comment le romancier que vous êtes a-t-il commencé à s'intéresser à l'histoire?
Lounès Ghezali: Tout a commencé pour moi avec un article dans le journal L'Expression consacré à feu Saïd Babouche en 2021. L'un des premiers condamnés à mort, guillotiné en 1957. J'interviewais sa femme, Dahbia Naceri, aujourd'hui décédée (paix à son âme), pour tirer de plus amples informations concernant son mari. Je remarquais qu'elle était surchargée de souvenirs, de douleurs qu'elle ne voulait pas faire rejaillir. J'avais l'impression que les mots se dérobaient en elle pour échapper à une sorte de vieille censure intérieure. Je tente alors de dépoussiérer un peu sa mémoire puis les phrases commençaient à sortir doucement. Des phrases qui s'accumulaient mais sans aucune contradiction. Ce jour-là, j'ai ressenti la complexité d'aborder des souvenirs, surtout ceux de la guerre de libération. Il y avait en elle de l'innocence, de l'intensité et surtout les mêmes reflexes que ceux d'autrefois: c'est-à-dire une sorte de motivation intérieure permanente à garder le secret. Des indices peut-être de sa non-prise en charge sur le plan psychologique au lendemain de l'indépendance. Ce jour-là, j'ai ressenti aussi qu'il y a un énorme travail de mémoire à faire concernant cette période-là.
Comment l'idée d'écrire ce livre est-elle née?
Au début, ce n'étaient que de petits écrits non destinés à faire un livre. C'est l'association «Tagrawla (54- 62)», présidée par Si Ouali Ait Ahmed, qui a décidé d'imprimer cet ensemble de portraits de chahids, d'anciens maquisards et de notes diverses. Un ensemble de textes d'une centaine de pages. C'est une association qui existe depuis 1991. Mais jusque-là, elle avait plutôt coutume à ériger des stèles, des plaques commémoratives et à participer à des rencontres. Pour ma part, je n'ai pas une présence permanente au sein de cette association. Mon travail était surtout de rédiger ces textes à mes heures perdues.
Peut-on savoir de quoi il s'agit au juste dans cet ouvrage et comment a été mené le travail qui a abouti à ce livre?
C'est un modeste ouvrage qui reproduit des éléments concernant la conquête de l'Algérie par la France de 1830 à conquête du Sahara en 1903. D'autres éléments aussi sur le Mouvement nationaliste algérien depuis l'Etoile nord-africaine de 1926 à 1954. Des fragments d'événements connus déjà des citoyens avertis mais il y a tellement de miroirs qui leurrent aujourd'hui que c'est nécessaire de rappeler parfois même des évidences. A cela, il faudrait rajouter des portraits et un texte sur le 1er Novembre dans la wilaya 3 historique. Il y a lieu de noter que c'est un travail des membres de cette association. Une association, rappelons-le, qui est là pour un travail de mémoire, comme par exemple sauver le reste des chants et poèmes patriotiques, consigner des événements etc.
Quel est votre objectif en réalisant ce livre?
C'est très passionnant de fournir de la matière aux historiens de demain. Mais l'enthousiasme ou les sentiments ne suffisent pas pour relever le défi. Ma petite expérience avec cette association m'a permis surtout de constater la grande solitude aujourd'hui de ceux qui ont combattu pendant la guerre pour l'indépendance. Ils sont tous très âgés et ceux qui partent emmènent avec eux malheureusement des trésors d'informations. On dit que les jeunes d'aujourd'hui ont d'autres priorités. Ce qui est bien sûr très légitime mais normalement, cela devait se faire sans oublier le passé. N'étant ni historien ni journaliste, pour ma part, ma motivation est d'abord d'ordre humaine. C'est bien d'écrire les Mémoires des grands dirigeants mais pour faire ressurgir le meilleur de cette période-là, l'exaltation de la jeunesse de ces temps-là, les petites histoires individuelles qui suscitent de l'émotion sont nécessaires. Personne ne se souviendra, tout sera voué à dépérir dans l'oubli s'il n'y a pas de l'émotion.
Aomar MOHELLEBI
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Posté Le : 19/05/2024
Posté par : rachids