Algérie

Louisa 9eme partie


Louisa 9eme partie
Résumé : Na Louisa entame un long récit. Elle remonte à son adolescence pour parler des affres de l'impact de la Seconde Guerre mondiale sur le village. Les jeunes capables de travailler la terre avaient été enrôlés dans l'armée française. Beaucoup n'étaient pas revenus. Ceux qui avaient pu revenir n'avaient plus leur santé ou leur raison. Parmi eux son frère Aïssa.
Mon frère Aïssa était parmi eux' mais, contrairement aux autres, il n'avait pas de blessures apparentes. Ses blessures à lui étaient bien plus profondes' très profondes. Il n'avait pas perdu la raison, mais il avait un air de chien malade qu'on ramenait au bercail pour l'abattre.
Il avait le regard figé et la mine défaite. Il ne se lavait plus, ne rasait plus sa barbe et gardait un regard hébété et perdu. On dirait que son âme était restée là-bas, sur le champ de bataille. On nous avait raconté plus d'une anecdote à son sujet' Les unes plus bouleversantes que les autres.
Mes parents, qui étaient déjà âgés, offrirent des waâda aux saints du village et prièrent jour et nuit pour que Aïssa reprenne ses esprits.
Le temps passait. Nous étions inconsolables' J'avais cessé de pratiquer la voyance.
Na louisa remarque mon regard étonné. Elle ébauche un sourire avant de poursuivre :
- Cela t'étonne hein ' Je te disais que j'étais déjà célèbre dans toute la contrée et même au delà' Mes dons faisaient rage' Je pouvais deviner l'avenir de tout un chacun, sauf' sauf des miens. Je ne pourrais t'expliquer ce phénomène' Des sensations étranges s'emparent de mon esprit dès que mes mains touchent une chair qui n'est pas de ma famille' Mes yeux se referment alors, et je me retrouve dans un monde où l'instinct prend le dessus. Je ressens alors des joies, des chagrins, des malheurs ou des jouissances.
Je peux prévoir à la personne qui se trouve en face de moi ce qui pourrait lui arriver dans les jours prochains. J'évite bien sûr de parler de malheur, dans le cas où cela me paraissait évident, mais je fais sentir à mon client que son avenir n'était pas aussi serein qu'il le voulait. J'expliquais en termes rassurants que seul le grand créateur pouvait nous épargner les malheurs et les chagrins de ce monde. Les gens appréciaient mes dires et mes paroles poétiques.
Ils repartaient sinon heureux, du moins prêt à affronter leur prochain.
Pour Aïssa, ce fut différent. Il était de ma chair et je ne pouvais prévoir quoi que ce soit pour lui. Je passais de longs moments à méditer en gardant les yeux fermés, afin de tenter de percer l'obscurité des jours qui suivent. Rien' il n'y avait que le lac noir et insubmersible qui me répondait.
Je m'en voulais alors de soulager les maux des autres et de ne pouvoir rien faire pour mon propre frère ni pour ma famille. Mes parents étaient inconsolables. Ma mère en particulier pleurait jour et nuit. Elle se levait aux aurores pour s'adresser à Dieu dans ses prières, et je l'entendais qui récitait le Coran, même d'une manière inaudible, alors que les premiers rayons du jour sont à peine perceptibles.
Mon père trainait ses pas jusqu'à la mosquée, ou se qui ressemblait à un tel endroit. C'était une vieille pièce délabrée que les sages du village avaient transformée en un lieu de prière et de dévotion. Quelques fidèles avaient réussi à donner un air assez religieux à ces lieux en étalant des nattes sur le sol et en disposant çà et là des brocs d'eau qu'on remplissait quotidiennement pour les ablutions.
Mon vieux père passait ses jours dans cet endroit où il s'adressait lui aussi à Dieu, et l'implorait de guérir Aïssa mon frère. Les vieux du village et tous les fidèles se joignaient souvent à sa prière. Ils levaient leurs mains au ciel et leur voix cassées, mais assez rigoureuses, emplissaient les lieux.
En somme, tout le village priait pour le salut de ceux qui sont partis et qui ne reviendront plus, ainsi que pour ces infirmes que les colons avaient ramenés au village comme un paquet de linge impropre, juste bon pour faire du rapiéçage.
Quelques 'revenants' reprenaient plus ou moins du poil de la bête. Le repos et l'air frais des montagnes leur redonnaient des forces. Quelques blessés soignaient leurs plaies purulentes et tentaient tant bien que mal de reprendre pied.
Nous étions heureux pour eux, et chaque famille réservait une part de son repas quotidien, quoique bien maigre, à ces hommes que la providence nous avait tout de même rendus.
C'était l'époque où les gens s'entraidaient sans se faire prier' C'était l'époque de chacun pour tous.
(À suivre)
Y. H.


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