Algérie - A la une


Louisa 46eme partie
Résumé : Kamel et Louisa emménagent enfin chez eux. Bien qu'au moment de se quitter, Nna Daouia avait évoqué la possibilité d'habiter chez son fils, la jeune femme a su encore une fois remettre sa belle-mère à sa place. Elle était pressée de se sentir chez elle et de se permettre enfin tout ce dont elle avait envie.
Une semaine après notre emménagement, j'organise un dîner pour mes beaux-parents et quelques proches.
Comme je m'y attendais, quelques-uns osèrent narguer ma belle-mère en lui spécifiant que c'est son mauvais caractère qui nous avait poussés à les quitter elle et mon beau-père. Mais je m'oppose farouchement à ces remarques. Kamel parle d'éloignement par rapport à son lieu de travail, et moi je me justifie dans le fait que l'immeuble où résidaient mes beaux-parents menaçait de s'écrouler. Ce qui n'était pas totalement faux.
Nna Daouia, voulant faire contre mauvaise fortune bon c'ur, surtout devant la famille, dira tout simplement qu'elle était heureuse que son fils ait trouvé un tel appartement dans un tel endroit. Et qu'elle en était très fière.
Les jours se suivent et se ressemblent. Je m'étais liée d'amitié avec Mme Olivier, la propriétaire qui venait souvent me tenir compagnie dans l'après-midi. Cette femme, issue de l'ancienne bourgeoisie française, était une veuve de guerre. Elle était mariée à un officier et avait eu deux enfants. Une fille et un garçon qui vivaient chacun de son côté. Ayant perdu pratiquement tous ses biens et s'étant retrouvée seule, elle avait décidé de se contenter du peu qui lui restait pour survivre. L'immeuble, qu'elle avait hérité de sa famille, lui permettait de mener une vie assez calme mais trop solitaire. Elle avait loué les quatre appartements des deux paliers supérieurs, et s'était contentée de vivre au rez-de-chaussée.
Un jour, je lui dévoilais mes dons de voyance. Ayant appris maintenant à parler un français approximatif, je lui demandais de me tendre sa main, que je pris dans la mienne avant de fermer les yeux. Le passé et le présent vinrent titiller mes sens. Cette femme avait un c'ur d'or, mais son destin n'était pas des plus brillants.
Elle était âgée et risquait de mourir seule. Je voyais déjà les prémices des maladies de vieillesse dans ses yeux.
Alors que je tentais de la rassurer, elle me serre la main et me lance d'une voix douce :
- Tu es très douée Louisa... Je te remercie du fond du c'ur pour tes efforts... Je sais que tu essayes d'être agréable avec moi, mais je ne suis pas née de la dernière pluie. Ce que tu essayes de cacher avec les mots, je le vois nettement dans tes yeux. Je suis vieille et fatiguée. J'ai pu tout de même jouir d'une bonne santé toute ma vie. Hélas ! Ces dernières années, je me sens très fatiguée et bien malheureuse aussi. Je n'ai plus ni ma jeunesse ni les moyens de lutter. Alors ce que je peux faire maintenant, c'est de demander à Dieu d'alléger mes souffrances.
J'en fus émue. Je repense à mes parents et à mes beaux-parents. Eux aussi se faisaient vieux... Mais au moins, nous autres, savons respecter l'esprit familial. Je rendais souvent visite à mes beaux-parents et les invitais à venir passer les week-ends ou quelques jours avec nous. Mes parents, de leur côté, avaient toujours des nouvelles de moi et de Aïssa. Lorsque des émigrés rentraient au pays, je ne lésinais sur rien pour leur offrir ce qu'il y avait de meilleur pour eux, en attendant de les revoir un jour.
La nostalgie me reprit. J'écrase mes larmes. Mais mon c'ur refuse d'oublier. Aïssa me rendait souvent visite. Il me consolait de son mieux. Avec lui, je me sentais moins seule. Il avait réussi à trouver un autre travail plus rentable et plus libre, comme il le disait. Ayant obtenu son permis de conduire poids lourds, il était devenu le routier exemplaire que tous les transporteurs convoitaient. Aïssa avait maintenant un emploi sûr, et pouvait se permettre des excentricités dont je le croyais incapable.
Durant ses journées de repos, il jouait au poker, buvait, sortait avec des filles de la basse catégorie. Je l'avais déjà averti sur son comportement, mais il avait rigolé en me pinçant les joues :
- Occupe-toi de ta voyance petite s'ur, et ne t'inquiète pas pour moi, je suis assez grand pour me débrouiller seul.
Mais non ! Comme tous les hommes, Aïssa était inconscient devant le regard langoureux d'une femme. Il avait quitté le dortoir pour s'installer dans un deux-pièces non loin de la Bastille. Un luxe à cette époque. Mais Kamel m'avait annoncé un soir que Aïssa n'y résidait que rarement. Où vivait-il alors '
Je ne tarde pas à le savoir.
(À suivre)
Y. H.




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