Loisirs

«Economie dirigée: le gouvernement vous prend vos vaches, en abat une, fait traire l'autre... et jette le lait.» Anonyme
Cela faisait longtemps que Mouh avait décidé de changer ses habitudes mais il n'avait plus la volonté nécessaire de se donner un nouveau rythme de vie: quinze années de retraite oisive asservissent le corps et l'esprit. Au début, il avait trouvé passionnant de se lever tôt le matin, juste pour regarder les gens aller au travail, avec leur mine pâle et renfrognée. Cela lui faisait plaisir de ne plus aller pointer au bureau, d'avoir des comptes à rendre à un chef qu'il méprise pour la bonne raison qu'il a été parachuté à ce poste juste pour avoir un salaire gratifiant et qu'il ne possédait ni l'expérience, ni la culture, ni la compétence de Mouh dont la carrière a stagné pour des raisons évidentes: népotisme, régionalisme sont les deux mamelles d'un système où la corruption a le rôle déterminant. Mais Mouh était content de sortir en retraite sain et sauf et de ne plus avoir à attendre une hypothétique promotion... Il prenait un plaisir sadique à rendre visite à ses anciens collègues uniquement pour leur montrer que finalement, après plus de trois décennies de travail, on n'emmenait avec soi qu'une expérience humaine consistante et l'estime des collègues: rien dans les mains, rien dans les poches, tout dans le coeur et la caboche!
Le soir après avoir promené son ennui autour des joueurs de dominos, il se mettait en face de la télévision, un rituel qu'il ne manquait jamais parce que cela l'aidait à trouver le sommeil. Il aimait bien zapper pour trouver un programme qui le ferait rêver pendant la longue nuit qui l'attendait, car à son âge, le sommeil était devenu bref et tourmenté. Il y a bien longtemps qu'il avait cessé de trouver du plaisir à regarder un film de fiction: un environnement bruyant et surtout l'impression de déjà vu qui le saisissait à chaque visionnage et l'empêchait de goûter à un plaisir qui était devenu à une certaine époque une sorte de drogue. Il préférait de loin les documentaires scientifiques sur la conquête de l'espace ou sur les origines de l'Homme qui le tenaient toujours en haleine. Il se faisait un devoir quotidien de regarder les journaux télévisés européens, de chercher les informations ou de suivre un débat dont le sujet pouvait l'intéresser: c'était sa manière à lui de prendre le pouls de la planète qui ne semble pas en bon état actuellement. Les continuelles grèves et manifestations en Grèce, en Italie, en Espagne et au Portugal lui ont donné l'espoir que tout était possible dans cette Europe qui avait été mise à mal par des gouvernements qui travaillent pour les groupes financiers internationaux. Il avait une pensée pour tous les harraga qui étaient allés chercher refuge dans ce qui était présenté comme un Eldorado. L'économie était son sujet préféré à cause de sa formation et de son inclination pour le syndicalisme. Les campagnes électorales tant européennes que nationales étaient devenues fastidieuses depuis que les partis qui prenaient la défense des damnés de la terre ont vu leur audience s'amenuiser au fur et à mesure que l'agressivité de l'Otan augmentait. Il s'était vite lassé d'entendre les mêmes candidats faire les mêmes promesses que lors des précédentes élections. Il se demandait souvent si les électeurs avaient une mémoire ou non: il n'arrivait pas à comprendre qu'ils puissent reconduire toujours les mêmes partis qui les ont acculés à la faillite: les banques sont directement responsables de la crise et ce sont elles qui s'en tirent au mieux grâce à des gouvernements complaisants. Et puis, ces entreprises qui licencient et dont les actionnaires possèdent tous un bas de laine rempli grâce aux efforts des ouvriers qui sont jetés à la rue. Tout cela concourt à emplir Mouh d'amertume et à lui faire regretter le temps où il lui suffisait de prendre un livre....