«Les lois se
maintiennent en crédit non parce qu'elles sont justes, mais parce qu'elles sont
lois».Montaigne.
Dans un pays à
forte tradition orale, l'écriture des lois noir sur blanc après des votes sans
surprise par le Parlement, au complet ou aux trois quarts déserté, n'a que peu
de pertinence et surtout aucune efficacité dans les institutions et la vie
quotidienne. La lecture tout court, la lecture des lois, des décisions et
règlements parus au J.O. ne sont pas des pratiques courantes en Algérie. Pas
connus, pas défendus, donc pas appliqués! C'est le sort de tout ce qui sort de
l'oralité. Il serait par ailleurs intéressant de faire une étude sur dix ans, à
travers ce qui paraît au J.O., autour de deux ou trois ministères qui
intéressent très peu les décideurs, les partis, la société et même les élites.
On s'apercevrait que des organigrammes, des structures «institutionnalisées»,
des lois, des missions sont publiés à l'identique tous les ans et plus sans
réaction aucune. Parce que les départements ministériels en question sont
considérés comme des «décorations» nécessaires, sans plus. Qui va compter les
personnels des affaires religieuses, s'intéresser à leurs grilles des salaires
et aux modalités d'avancement des imams? Et il faudrait être un maniaque
«accro» aux chiffres pour compter le nombre de «commissariats» qui dirigent des
dizaines et des dizaines de festivals internationaux, nationaux, régionaux et
locaux qui font croire que le pays est le plus festif, le plus ouvert du monde,
toute l'année, jour et nuit. Et pourtant tout est consigné dans la mémoire du
Journal Officiel. Ce qui n'engage à rien!
La lecture de plus en plus ancrée, largement
partagée en haut et en bas, fait que les lois et règlements n'engagent personne
sinon tout le monde à la fois. Ce qui revient strictement au même avec ou sans
publication au J.O. qui n'engage que la plus petite minorité qui le lit pour
des raisons et des considérations personnelles, pour la surveillance de ce qui
peut élargir ou rétrécir des marchés éventuels (IDE – Importations -
Exportations – Loi de finances – Salaires et retraites, etc.). C'est ainsi que
la littérature consacrée, selon le Journal Officiel, à la corruption, aux
mécanismes, offices, moyens pour l'éradiquer sinon la combattre avec des
résultats affichés régulièrement est des plus épaisses dans ce pays. Mais on y
revient régulièrement sans bilan, sans voir ce qui est appliqué ou pas. Pour
tous et par tous. Une loi publiée en 2006 fait obligation à une série de commis
de l'Etat, aux élus de faire une déclaration relative au patrimoine de ces
personnes. C'est une obligation obligatoire, comme dirait l'autre qui pointe
les climatiseurs dans un pays chaud lorsqu'il y des coupures d'électricité. Et
pourtant cette obligation est tout simplement considérée par les concernés
comme strictement facultative, car personne n'aura l'idée de leur demander
d'appliquer la loi. A part des journalistes dont on ne sait pas si ce sont des
opposants, des esprits chagrins, des individus à la solde de l'étranger, des
laïques à éradiquer… Il y a donc des lois facultatives et à garder juste pour
la frime. Comme beaucoup d'articles de la Constitution relatifs à la démocratie
et aux libertés. Ils sont écrits mais leur respect, leur application et leur
défense par toutes les institutions sont absolument facultatifs. Les chroniques
quotidiennes du fait religieux, des libertés, des médias lourds attestent
chaque jour du caractère «sélectif» et facultatif de lois.
En vérité, l'Algérie de 2010, comparée à
d'autres nations qui, elles, sont démocratiques, pratique une série
d'occultations et de dénis qui hypothèquent et obscurcissent l'avenir des générations
futures. Ces dernières ne figurent pas dans les indicateurs de bonne
gouvernance pour les décideurs qui semblent oublier totalement que pour eux,
comme pour tous les humains, la mort est au bout du chemin. Plus tôt ou plus
tard. Les partis majoritaires au Parlement qui gouvernement en composant le
deuxième ou troisième cercle du pouvoir dans son versant administratif et
d'exécution des affaires courantes, de la marche des services publics, ne sont
nullement intéressés par les remises en cause et les débats qui se déroulent
dans le monde.
Dans les grandes démocraties, les formations
politiques qui gouvernent et celles qui aspirent à le faire se différencient
par les programmes, la proximité entretenue avec les citoyens, la société
civile, les syndicats, les associations et les élites. Quelles que soient les
colorations politiques, la relation de ces formations avec les élites, les
experts et chercheurs, les artistes, urbanistes et créateurs est si forte
qu'elle marque les programmes, les quotas électoraux fixés par la loi ou
volontairement adoptés. Dans les grandes démocraties, l'offre politique n'est
pas réduite, les libertés d'expression et d'information sont extrêmement
nombreuses, respectées, y compris à l'intérieur d'un même camp. Et s'il faut
établir des comparaisons, évaluer des pays où les citoyens sont heureux et
fiers de vivre (plutôt que d'essayer la harga), autant regarder là où le niveau
de vie, la recherche scientifique, les élections sont considérés comme les
meilleurs, les plus efficaces et les plus transparents de la planète. Autant
faire des comparaisons vers le haut et essayer d'y être.
L'Algérie, nous dit une minorité minoritaire,
n'est pas mûre pour la démocratie. Il lui faut des transitions à rallonge dont
le nombre et la durée seront, dans l'avenir, décidés par la minorité minuscule,
qui a l'avantage et le mérite de tout savoir sur tout, tout le temps et
partout. Même sur la vraie nature des sous-sols et sols de Mars, «c'est une
démocratie plus permanente qu'il s'agit de faire vivre. Les rythmes de la vie
sociale se sont accélérés alors que le temps parlementaire est resté inchangé.
C'est une nouvelle culture de la responsabilité politique qu'il faut en
conséquence développer (1)». Les rythmes en Algérie ont pourtant connu des accélérations,
et la société vit des crises, des mutations, une offensive intégriste
multiforme, une démographie différente de celle d'il y a une décennie, mais
rien ne bouge. Les institutions et le Parlement fonctionnent exactement comme
sous le parti unique avec certains habillages qui ne trompent personne sur
terre. Le seul paradoxe, le seul acquis, le seul héritage plus ou moins
perverti reste l'existence de la presse privée. Cette dernière est de loin
nécessaire, mais de très loin insuffisante pour asseoir une démocratie où les
lois sont obligatoires, surtout pour les puissants. Mais à en croire un chef de
parti, qui croit gouverner, le maintien d'une mosquée salafiste en Kabylie est
une urgence stratégique, vitale, plus importante que le développement de
l'Internet, que l'absence d'Algériens à la biennale d'architecture ouverte à
Venise le 29 août dernier, que l'élection d'une constituante, que le fait que
les haut-parleurs soient interdits en Iran pour «la tranquillité des gens»,
selon le clergé du pays, etc. Ce grand leader doit penser lui aussi que
l'Algérie serait mûre pour des débats basiques, dans les grandes nations, après
la transition programmée après ses onze précédentes. A savoir vers 2028. Mais
des lucioles d'espoir s'allument partout, à l'exemple des réactions de la
population et des jeunes d'Aghribs qui ont mille années d'avance sur les
hirsutes barbus qui croient fermement que, pour eux, les lois sont
facultatives.
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Posté Le : 02/09/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Abdou B
Source : www.lequotidien-oran.com