«L'obligation du paiement des importations par le seul crédit
documentaire est faite pour protéger beaucoup plus l'exportateur, parce que
l'importateur doit payer bien plus !».
Les clarifications apportées par le ministre des Finances aux dispositions
de la loi de finances complémentaire pour 2009 n'ont pas convaincu grand monde.
Les banquiers sont en tout cas les premiers à réagir à ce sujet. «Le ministre
n'a rien inventé, ça ne nous avance pas à grand-chose,» disent-ils à propos de
l'interview que Karim Djoudi a accordée mercredi dernier à l'APS.
On en vient au crédit
documentaire (CREDOC) ou, comme l'appellent les banquiers, lettre documentaire
(LC), retenu comme seul mode de paiement des opérations de commerce extérieur.
Ils ont nombreux à démentir le fait, comme souligné par le ministre des
Finances, que les transferts libres sont plus répandus. «Qu'il nous donne ses
statistiques. Il ne suffit pas de le soutenir pour le prouver. Les transferts
libres ne constituent pas le mode de paiement le plus courant chez nous parce
que, d'abord, ce sont des petits montants, ceux de gros montants sont rares».
Ils affirment qu'«en plus, la qualité du produit que le ministre pense assurer
en évitant le recours à ce mode de paiement, n'a rien à voir avec ça, ce sont
des affirmations trompeuses. Mieux, on ne voit pas le rapport avec le CREDOC et
la traçabilité, le suivi et l'évaluation de la transaction. Surtout quand on
sait que l'obligation de payer par le CREDOC ou la LC est faite pour sécuriser
l'exportateur, l'importateur lui doit payer bien plus. Par contre, la remise
documentaire qu'il a annulée est, elle, un bon mode de paiement : elle garantit
des avantages pour ce qui est de la traçabilité de la transaction et elle coûte
moins cher pour l'importateur, même s'il est vrai qu'elle sécurise bien moins
l'exportateur. A ce compte-là, il faudrait savoir ce que veut le gouvernement,
protéger l'importateur national ou l'exportateur étranger ?».
Nos interlocuteurs attestent que
«le CREDOC a permis les grandes escroqueries en matière de transactions commerciales».
Ils rappellent l'affaire de la défunte «ONACO et de l'importation de quelques
bateaux de sucre qui n'ont jamais été reçus». Quand le ministre soutient que
«ce sont des conditions conformes aux intérêts de l'économie nationale», les
opérateurs répondent que «c'est un discours démagogique qui n'explique pas ce
choix». Il lui suggère de dire «exactement ce qu'il y a derrière, on pourrait
comprendre...». Leur interrogation urgente est de savoir «si nous devons payer
par le LC les importations de services ?
Ils font remarquer que «de tout
temps et dans tous les pays du monde, l'importation des services se fait par
les transferts libres. On ne sait plus quoi faire». Les investisseurs demandent
à Djoudi par la même occasion de leur expliquer «économiquement ce que voudrait
dire dégager une balance devise excédentaire pour toute la durée de vie d'un
projet».
«Les avantages ne sont pas des incitations d'ordre fondamental»
Le ministre des Finances avait
placé dans cet entretien comme «enjeu majeur» la création de l'emploi permanent
par le privé conséquemment aux investissements qu'il entreprendrait de réaliser
localement. Les banquiers privés estiment que «l'investissement n'a jamais été
une affaire de diminution des charges patronales ou d'avantages fiscaux. Il
dépend, en premier, du marché mais aussi des procédures à suivre et des
obstacles qu'on rencontre». Les avantages ne sont pas considérés ainsi comme
des incitations à l'investissement d'ordre fondamental. L'on s'interroge
nécessairement sur «la fiabilité et la crédibilité du cadre juridique, des
procédures et de ce fameux guichet unique qui, en réalité, n'a jamais existé.
Tout le monde sait que c'est le véritable parcours du combattant. La
bureaucratie continue à faire des ravages, et ça aussi tout le monde le sait.
Ils ont le chic de rajouter une contrainte, celle de passer par le Conseil
national de l'investissement pour tout projet».
Les mêmes remarques sont faites
par les banquiers lorsque le ministre des Finances justifie les dispositions de
la LFC par le fait du souci des pouvoirs publics de diminuer les importations
et d'encourager la production. «On nous fait tellement courir qu'on abandonne»,
soutient un homme d'affaires. «Vous n'avez qu'à voir des étrangers qui vendent
en Algérie : ils s'installent ailleurs pour investir, les choses sont plus
simples et pérennes», lance un banquier.
Le ministre des Finances
reconnaît lui-même que les importations des biens d'équipement ont enregistré
une augmentation durant le premier semestre 2009, laquelle, a-t-il dit,
«traduit une demande soutenue d'équipements importés dans le cadre de
l'investissement privé et public». «Alors, s'il dit que les importations des
biens alimentaires ont diminué sur cette période, le volume global des
importations est resté le même puisque celles de l'équipement ont augmenté et
les importations des services aussi puisqu'elles doivent être proportionnelles
à ce qui a été réalisé comme projets. Trouvez-vous donc une logique à ces
dispositions et à ses réponses ?», s'interrogent nos interlocuteurs.
Djoudi a, pour rappel, assuré que
«les importations nécessitées par les actions de développement se poursuivront
dans un cadre mieux régulé». La réaction des hommes d'affaires est spontanée.
«Soit il doit, pour cela, rectifier des tracés de projets, soit alors il va en
supprimer un certain nombre», disent-ils, en ajoutant non sans rire : «en
attendant que le pays commence à produire des équipements, puisque le ministre
est persuadé qu'il va booster la production en pénalisant les consommateurs».
Ce qui amène à évoquer la
suppression du crédit à la consommation dûment décidée par la LFC. «Il faut
rappeler que la première banque qui a fait le crédit véhicule, c'est la CNEP,
qui est par essence la banque des ménages. Et à l'arrivée de BNP Paribas et de
la Société Générale, ce même gouvernement a interdit à la CNEP de faire le
crédit véhicule pour le céder en entier à ces deux banques françaises, pour
crier aujourd'hui au gain facile, à l'augmentation des importations de
véhicules et au surendettement des ménages ! Qu'on sache une fois pour toutes
ce que veut le gouvernement, avant de changer d'option à chaque fois qu'il en a
envie, sans aucune connaissance de ce qui se passe sur le terrain», s'acharnent
à dire nos interlocuteurs.
«Le ministre n'a rien inventé»
Pour ce qui est d'un éventuel
surendettement des ménages, les banquiers rétorquent sans ambages «faux ! Il y
a une disposition légale qui nous interdit de faire rembourser les ménages sur
un niveau dépassant 30% du salaire mensuel. L'Etat aurait dû peut-être diminuer
cette marge pour sécuriser davantage les ménages, ceci toujours en nous
obligeant, nous banquiers, à ne pas leur exiger des remboursements dépassant un
seuil qui mettrait en péril leur équilibre budgétaire mensuel. Là, on aurait
compris. Mais de là à le supprimer pour favoriser à terme, comme a dit le
ministre, l'installation de l'investissement en Algérie aux dépens de
l'importation, c'est de la pure démagogie parce qu'en attendant, les ménages
continueront à souffrir le calvaire des transports». Pour eux, «l'endettement
se règle d'une autre manière, pourquoi donc redescendre au niveau de la banque
?!?».
La taxe sur la téléphonie mobile
fait réagir plus d'un du secteur. «Est-ce véritablement l'imposition de 5%
supplémentaires qui permettra, comme dit le ministre, une grande traçabilité de
ces opérations ? Mais les opérateurs sont déjà taxés, pourquoi faut-il d'autres
taxes pour l'administration fiscale pour faire son travail de traçabilité ?».
Djoudi doit savoir au passage qu'un spot publicitaire sur la télévision
nationale fait savoir que c'est en réalité la clientèle qui paie une taxe
supplémentaire et pas seulement l'opérateur.
La réponse du ministre à propos
de la suppression de la procuration pour tout dédouanement de marchandises
importées et la possibilité pour les patrons des sociétés importatrices de
déléguer un de leurs employés, fait rire nos interlocuteurs. «Mais c'était
comme ça avant, le ministre n'a rien inventé ! Pourquoi donc avoir introduit
une telle disposition dans la LFC ? On voit qu'ils font n'importe quoi ! Et
quand ils se trompent, ils disent n'importe quoi !».
Les hommes d'affaires suggèrent
qu'il faudrait «songer à éviter le faux au niveau du registre du commerce. Il
doit y avoir de sacrés problèmes puisque les responsables opèrent, tous les
deux ans, un assainissement de leurs listes, mais on découvre toujours qu'il y
a du trafic. Il y a certainement des complicités quelque part qui permettent de
faire dans et avec le faux».
Lorsque Djoudi parle des banques
et qualifie le pays de «marché qui est fortement liquide», les banquiers
tiennent à corriger : «Ce sont les banques publiques qui ont des surliquidités
parce qu'elles ont un problème d'utilisation de l'argent qu'elles ont qui se
compte en milliards de dinars. Les banques privées financent l'économie, elles
ont donc bien moins de liquidités». Interrogés sur le nouveau week-end, les
banquiers affirment que «rien n'a changé pour nous, nous gardons le vendredi et
le samedi comme journées de repos. Sauf qu'on travaillait le jeudi pour
permettre aux clients de régler leurs affaires chez nous. Ils ne peuvent plus
le faire sans s'absenter de leur travail. Encore une fois, c'est le
consommateur qui paie».
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Posté Le : 16/08/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Ghania Oukazi
Source : www.lequotidien-oran.com