Algérie

Littérature du monde arabe: Mohamed Salmawy



Allégories et réalités égyptiennes Actuellement président de l’Union des écrivains arabes, Mohamed Salmawy est dramaturge, romancier et journaliste. Il fut longtemps très proche de Naguib Mahfouz, à qui il consacra un livre d’entretiens intitulé Mon Egypte. Sa pièce La dernière danse de Salomé fut primée au festival de Carthage, il y a quelques années.Son œuvre est axée principalement sur les problèmes politiques et sociaux de son pays. Il recourt, dans ses constructions fictionnelles, à la fois aux mythes d’Egypte et à ses réalités quotidiennes. Son style est simple, son langage, très épuré. Pour le présenter, nous avons choisi de livrer dans cette rubrique notre lecture de son recueil de nouvelles Bab at-tawfiq(La porte de la fortune). Mohamed Salmawy est manifestement, presque organiquement, porteur d’une parole double: explicite et allusive. Si, dans ses écrits dramaturgiques et journalistiques, ces deux aspects se manifestent comme des lignes croisées dans un même texte, dans ses nouvelles en revanche, ils se présenteront chacun comme un moyen de dire exclusif et autonome, c’est-à-dire que dans chaque nouvelle il n’est fait usage que d’un seul; l’auteur allant au fond de son exploration sans faire recours, à aucun moment, à l’autre. Bien sûr, nous pouvons voir en l’explicite une dimension allusive et vice versa, mais c’est là une autre question. En tout cas, usant, avec sensibilité et intelligence, tantôt de l’un tantôt de l’autre de ces modes de parole Salmawy nous renvoie, en conte et en poésie, un monde, ses conditions propres; mais aussi ce qui nous hante de plus obscur, puisque chaque nouvelle peut aussi être ressentie comme une condensation de faits incertains et de signes qui réfèrent à une réalité plus large ou secrète ou encore difficile à circonscrire autrement. Dans l’ensemble des nouvelles qu’on peut qualifier de réalistes, les personnages sont pris dans les remous d’une société en mutation: ils sont à la recherche d’un emploi, de ressources pour vivre, d’un monde conforme à leur vision, ou encore, ils sont empêtrés dans des rapports complexes, périlleux qui finissent toujours par échapper à leur contrôle. Par-delà le thème, cet ensemble de nouvelles exalte la générosité des hommes mais aussi leur amour ardent, parfois morbide, dans des conditions précaires et des situations tragiques souvent. Comme si, dans la détresse et le dénuement, l’homme est acculé à l’un ou l’autre de ses sentiments. Dans l’autre ensemble de nouvelles, que l’on pourrait dire allégoriques, le personnage central est un animal ou un objet, vivant dans le monde des humains. En incarnant, par exemple, par le cheval pie ou par le roseau des genres d’hommes, Salmawy vise à atteindre à l’essence de quelques destins. Il y a là, un voilement, un flou qui amplifie le message, un message qu’on ne s’explique pas mais qu’on ressent subtilement en soi. Ces dernières nouvelles sont traversées par une quête d’élévation, élévation pouvant se réaliser (comme celle du cheval pie qui, contre toute attente, prend des ailes pour donner espoir à tous les hommes de pouvoir s’élever à leur tour), ou avorter (comme celle à laquelle aspira le roseau dans Concerto d’un nay). Dans les nouvelles réalistes qui constituent l’essentiel de Bab at-tawfiq, une grande place est donnée aux éléments représentatifs de la personnalité de l’Egypte. Ces éléments sont au centre d’un conflit entre le présent et l’avenir; ils sont séduits par le progrès et craignent ses dérives ou les dénaturations qu’il peut engendrer, comme c’est le cas du quartier des fours de potiers où il est question d’un symbole de l’inestimable et du sacré; ou encore d’un trait identitaire tel celui de l’arabité, cette arabité qui, une fois retrouvée, rend la mémoire à un jeune ingénieur en chômage. C’est là une œuvre qui, en général, puise sa sève dans la terre d’Egypte et se nourrit des combats, des rêves et des aspirations des gens simples; elle s’organise à travers des espaces pétris de leur mémoire collective et structurant leur présent: on y trouve le potier, l’antiquaire, l’ingénieur, l’enseignant, la prostituée, dans des lieux tels les vieux quartiers d’El-Hussein ou d’El Fustat ou encore dans le Nil. Mais, quand il s’agit de plaider de manière plus touchante et plus crédible pour des causes justes arabes par exemple, personnages et espaces peuvent être d’un autre pays, comme c’est le cas dans la nouvelle intitulée Etreinte sous les décombres, où le cadre des événements est le Liban en guerre. Une œuvre donc, qui, par-delà son enracinement national, va à l’essence de l’homme et pose les grandes questions de la vie, ce qui, à bien voir, lui donne des résonances humanistes. Aussi Bab al-tawfiq (la porte de la fortune) est-elle – pourrait-on dire – une parole de notre temps et une synthèse en fragments de notre condition d’homme. Mohamed Sehaba


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