Algérie

Lila Bouzidi, artiste peintre, a L’Expression «Sous le signe du Bélier…»



Publié le 06.01.2024 dans le Quotidien l’Expression

Il y a dans toute création une part de mystère. Dans quelle mesure, en effet, une oeuvre d'art, quelle qu'elle soit, peut être influencée par les astres? En d'autres termes, un poète, un romancier, un musicien, un artiste peintre, un sculpteur ont-ils besoin de naître sous une bonne étoile pour réaliser le rêve de leur vie? C'est ce dont l'artiste peintre, Lila Bouzidi a voulu nous convaincre dimanche dernier à la Maison de la presse où elle était de passage.

L'Expression: Nous savons qu'une oeuvre d'art n'est pas toujours une affaire de talent et de génie. Il y entre bien souvent presque autant de chance et de hasard que vraiment d'intuition et de ténacité au travail. Partagez-vous cette thèse selon laquelle les astres ne sont pas totalement étrangers à la naissance d'une oeuvre et de son succès?

Lila Bouzidi: (Sourire et main qui chasse une mèche retombant sur le front, geste coutumier des artistes): c'est juste. Mais vous savez comment nous sommes: un peu fétichistes, un peu mystiques, un peu bohèmes. Un peu animistes aussi. Nous croyons que les choses ont une âme et pour les faire parler dans nos oeuvres, nous les dotons de parole. Evidemment cela fait hurler. Mais, c'est comme ça. C'est ça, au fond, qui nous différencie un peu des autres, je crois, et que certains appellent notre excentricité ou notre singularité. La chance, le hasard ou l'inspiration, quelle importance? Ce qui compte, pour nous, c'est la fin, c'est-à-dire ce à quoi tendent tous nos efforts. Le reste est littérature.

Comme de croire en l'astrologie?
Et aux influences des astres. Je suis Bélier, c'est-à-dire née un 2 février. Le bélier m'a donné son caractère de fonceur et sa couleur naturelle, d'un bel ocre jaune. Vous la trouverez partout présente dans mes tableaux et toiles. La toison d'or, en somme. Et un peu comme Jason, vous partez à la conquête d'une oeuvre dont l'importance et la couleur évoquent pour vous ce métal précieux. Comme lui. Ce fut presque aussi long et aussi difficile. Je suis une autodidacte. Il y a des choses qu'il faut absolument connaitre. C'est pourquoi, la période d'apprentissage fut si longue pour moi. Mais, vous serez étonné d'apprendre par exemple, que j'ai peint 144 tableaux. C'est le temps où je faisais du figuratif.

Mais plus maintenant?
Non, le figuratif, pour moi, appartient désormais au passé. Ma technique qui, au fil des années, a beaucoup évolué ne pouvait plus se contenter de reproduire éternellement les choses que je voyais ou que l'artiste voyait. Pour moi, le semi- figuratif ou le semi- abstrait, comme on dit encore, c'est l'art suprême.

Pourtant., c'est avec cet art, ou si vous voulez, ce courant que vous vous êtes fait connaître et vous vous êtes affirmée en tant qu'artiste dans les salons et expositions d'arts plastiques.
Aussi, je n'ai garde d'en médire. Mes nombreuses participations aux salons et expositions ont considérablement enrichi et affiné ma palette. Elles m'ont même permis d'avoir en 2020 le Premier Prix au festival d'Alger auquel toutes les wilayas ont participé et, en 2021, la deuxième place au Salon international du Liban. Je n'oublie pas non plus que c'est grâce à cette oeuvre foisonnante que j'ai pu faire la connaissance d'un grand nombre de peintres comme Mohamed Racim, Bechti, Smara, Tayeb Benabès, Salim Rekeh et tant d'autres dont le contact fut si enrichissant. C'est ainsi qu'a pu s'effectuer ce passage si difficile de la phase d'apprentissage à la phase suivante qui se caractérise par plus de maitrise et de maturité.

...Que vous avez appelée dans votre évolution le semi-figuratif ou sem-i abstrait. Nous voyons un fauteuil devant nous. Si vous étiez l'artiste peintre que vous étiez encore, il y a trois ans, mais que vous n'êtes plus depuis, comment vous y prendriez-vous pour le peindre?
De telle façon qu'après quelques esquisses, vous le verriez sur mon tableau ou dans ma toile tel que vous le voyez dans la réalité. Pour le semi-figuratif, vous verriez le fauteuil, mais avec d'autres éléments étrangers.

Mais où se situerait l'émotion?
Dans le figuratif l'émotion est dans le détail. Le reste lui sert de fond. Dans le semi-abstrait elle est dans la couleur et dans la forme. Dans l'abstrait, elle éclate dans la couleur pure. C'est là ma conception des trois grands mouvements de l'art plastique. Evidemment, il y en a d'autres, comme l'impressionnisme, le fauvisme, le cubisme, le surréalisme. Mais je ne saurais m'aventurer sur ce terrain-là, mon expérience personnelle se limitant au figuratif et au semi- figuratif.

L'art est long. Le temps aussi, pour vous. Vous êtes encore jeune. Et vous dites vous-même que vous évoluez. Vous verrait-on franchir le dernier pas qui vous sépare encore de l'abstrait?
Je ne pense pas. D'abord je n'aime l'abstrait que mélangé à une forte dose de réalisme. À l'état pur, il me parait trop révulsif. C'est vrai, j'ai évolué depuis le temps où j'exposais un peu partout à travers le pays ou en dehors, mes tableaux, pour une question de moyens, voyageant sans moi, en Égypte, au Liban, en Espagne, en Italie. Mais regardez le temps que cela m'a pris: des années. Cela pourrait m'en prendre autant, vu la vitesse à laquelle je progresse. En trois ans, j'ai peint six tableaux semi-figuratifs. C'est énorme comme temps, quand vous n'avez que cela à faire. Et puis, pour tout dire, l'abstrait me fait peur. J'aurais l'air de m'avancer sur une terre inconnue.

Est-ce cette peur de l'inconnu qui vous a retenue si longtemps loin des expositions et des salons, car cela fait un bail qu'on ne vous a vue ni à la Maison de la culture, ni à la bibliothèque principale où vous aviez pourtant votre place toute désignée?
C'est le temps qu'il m'a fallu, en effet, pour amorcer ce nouveau virage dans ma carrière artistique. J'étais en train de me poser beaucoup de questions. Je découvrais soudain que le figuratif, c'était un simple jalon sur ma route. Il fallait pousser plus loin. Or je me trouvais à la croisée des chemins. Et si je crois au hasard, je me méfie aussi des surprises qu'il peut quelquefois réserver. Voilà comment je m'explique tout ce temps perdu- utilement, je dois en convenir.

Voilà l'affaire concernant votre retraite élucidée. Mais le mystère concernant votre oeuvre reste intact. Où sont vos tableaux, puisque on ne les voit nulle part?
Ils sont à l'école régionale des beaux-arts qui vient de s'ouvrir au chef-lieu de wilaya. Je compte, d'ailleurs, organiser une exposition purement semi-figurative. Ainsi le public pourra juger du chemin parcouru dans ce sens.

Une exposition avec seulement six tableaux, ce n'est pas un peu court?
J'y ai songé, figurez-vous. C'est pourquoi, je me suis accordé un délai de trois mois. Dans trois mois j'aurais peint au moins trois autres tableaux. Avec une pareille collection, la galerie ne paraîtrait pas aussi vide, je pense.

Vous parlez de votre oeuvre future avec une telle force de conviction qu'on croit la voir effectivement, là, devant nous. D'où vient une telle assurance?
De ce que je lis dans le zodiaque, je suis Bélier. Je le répète encore ici: j'ai hérité de ce signe un caractère et une couleur superbes. Je disais plus haut qu'au moment où je sentais que je n'avais plus rien à faire dans l'art figuratif, j'avais, en même temps, pris conscience de la nécessité de le quitter. Cela aussi est dans le signe astral. Quand vous n'êtes pas bien dans un endroit, vous partez. Quand vous n'êtes pas bien avec une personne. Vous la quittez. C'est aussi simple. Et c'est tant mieux.

Et quand vous êtes à la croisée des chemins, vous foncez...
Non, vous faites erreur. Le bélier n'est pas un taureau. Il ne fonce pas tête baissée. Il recule pour mieux prendre son élan, et pendant toute cette distance, il calcule, il vise. Ce qui fait qu'il ne se trompe jamais de cible.

Le mot de la fin: à quoi aspirez-vous encore après une telle évolution?
À me surpasser, bien sûr, ce qui est parfaitement légitime pour un artiste. Mais surtout à approfondir mon art, à le révolutionner. Il y a tant de choses à faire dans un domaine où tout semble encore neuf, où tout semble encore en friche... Fonder une école, peut-être, qui sait?
Le rêve est permis. Si je suis une fonceuse, je suis aussi une grande rêveuse. Sans rêve, rien ne se crée, rien de bon ne se fait.

Ali DOUIDI



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