Une bataille
militaire politico-économique a eu pour théâtre l'aéroport de Tripoli avec des
milices comme acteurs immédiatement après le déblocage des avoirs libyens par
les pays occidentaux. Enjeu immédiat : l'arrivée de plusieurs milliards de
dinars fraîchement imprimés en Allemagne à bord de jets. Avoir le contrôle de
l'aéroport, c'est avoir l'assurance de prélever une taxe de sécurité
substantielle sur l'argent destiné à la Banque centrale. La bataille de l'aéroport est
significative des luttes entre milices et factions pour le contrôle économique
et politique de la nouvelle Libye.
Mouammar Kadhafi
était l'unificateur par défaut. Sa disparition brutale met du jour les
contradictions entre les groupes et les factions qui se sont unis pour le faire
tomber avec l'aide décisive des puissances occidentales. Elles viennent de
prendre un tour violent pour le contrôle de l'aéroport international de Tripoli.
La question des milices et de leurs poids est devenue un souci occidental. Le
Collège de défense de l'Otan a fait récemment un constat alarmiste sur le poids
des milices. Le risque d'un affaiblissement durable du pouvoir central n'est
plus considéré comme une hypothèse farfelue même chez les «experts» de l'OTAN. Une
centaine de milices armées qui estiment avoir joué un rôle essentiel dans la
destruction du régime de Kadhafi, campent sur leurs positions et cherchent à
s'imposer à la table du pouvoir. Ces milices s'organisent comme autorités de
plein exercice sur les lambeaux de territoire qu'elles prétendent avoir libérés.
Et les tensions entre milices, et entre ces milices et le Conseil National de
Transition (CNT) s'intensifient à mesure des déblocages de fonds libyens par
les Occidentaux. Les Etats-Unis et le Conseil de sécurité de l'ONU ont décidé
la levée les sanctions imposées à la
Libye en février dernier. Selon Al-Seddik
Omar al-Kabir, gouverneur de la Banque centrale libyenne (BCL),
cette levée des sanctions et la reprise plus rapide que prévue, de la
production pétrolière libyenne, devrait améliorer de manière significative les
finances du pays.
APPETITS EXACERBES
L'afflux de
capitaux, environ 150 milliards de dollars de fonds publics - les avoirs du
clan Kadhafi ne sont pas encore clairement identifiés - exacerbe les appétits
de tous les acteurs d'un conflit qui n'est pas encore achevé. Ainsi l'aéroport
de Tripoli, centre principal des échanges libyens avec le reste du monde a été
fermé en raison d'une confrontation en bonne et due forme entre la milice de Zenten, appuyée par celle de Misrata,
qui contrôle l'aéroport de la capitale et l'«Armée Nationale» du CNT. Cette
armée «nationale» embryonnaire est dirigée par le général Khalifa Hifter, un officier de l'armée de Kadhafi qui avait fait
défection aux Etats-Unis il y a une trentaine d'années lors de la guerre avec
le Tchad. L'armée du CNT est essentiellement composée d'officiers originaires
de Benghazi et reste d'une faiblesse insigne tant au niveau des effectifs que
de l'organisation. Cette armée, tout comme le CNT, éprouve les pires
difficultés à s'imposer sur un terrain où les allégeances tribales, plus que
les idéologies, sont déterminantes et où une grande partie des éléments de
l'armée kadhafiste détruite par l'OTAN reste fidèle
au défunt guide. La déstabilisation et les tentations centrifuges sont
alimentées par les quantités considérables d'armement en libre circulation dans
le pays. Des milliers de missiles notamment échappent à tout contrôle dans un
pays où le libre accès aux arsenaux est encore une réalité.
LE CNT CONTESTE
Le CNT dont la composition
et les membres restent encore inconnus est la structure décisionnaire suprême
malgré la formation d'un gouvernement. Une manifestation a été organisée le 12
décembre dernier à Benghazi pour demander son départ. L'opacité et les rumeurs
de corruption circulent avec insistance dans un contexte de mécontentement
croissant. Les conditions d'existence de la population ne sont guère améliorées
depuis le début des événements, constitue la trame sociale d'une lutte pour le
pouvoir. Le CNT dirigé par Mustapha Abdeljalil, ancien
ministre de la Justice
du régime déchu, est lourdement handicapé par les luttes de factions autour de
la rente. La production de la
Libye qui devrait atteindre 1,3 million de barils par jour
dès les premiers mois de 2012 suscite bien évidemment les convoitises de tous
ceux qui s'estiment redevables de la «libération» de la Libye. Ainsi, la
nomination à la tête du ministère du Pétrole et du Gaz de Abderrahmane
Ben Yazza, ancien représentant de la compagnie
pétrolière italienne ENI, a semé un certain trouble entretenu par les
puissances étrangères ayant participé à la chute de Mouammar El Kadhafi. La
voie vers la paix civile et la stabilité souhaitée par les soutiens occidentaux
du CNT emprunte un chemin semé d'embûches. Et la rente, plutôt que de faciliter
la transition, est le carburant d'une déstabilisation qui semble s'inscrire
dans la logique des rapports de forces actuels.
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 20/12/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Saïd Mekki
Source : www.lequotidien-oran.com