Le mouvement
démocratique arabe se heurte à des obstacles sérieux en Libye et dans le Golfe.
Les grandes puissances privilégient la carte dangereuse du statu quo.
A l'heure où ces
lignes sont écrites, l'ampleur des catastrophes géologiques, climatiques et
technologiques que subit le Japon n'est pas encore cernée. Après un tremblement
de terre d'une magnitude exceptionnelle, un raz-de-marée, un « tsunami »,
expression d'origine japonaise (la vague dans le port), a entraîné un accident
nucléaire d'une très grande gravité, se situant à mi-chemin entre l'accident de
l'usine américaine de Three miles Island, en 1979 où le cÅ“ur du réacteur avait
fondu en libérant des émissions radioactives dans l'atmosphère, et le drame
ukrainien de Tchernobyl, en 1986, où le réacteur nucléaire avait explosé. La crise
nucléaire engendrée par le séisme de Sendai se poursuivait hier : pannes du
circuit de refroidissement de secours, libération de vapeurs contenant des
substances radioactives, fusion du noyau, explosion des bâtiments de la
centrale, injection d'eau de mer dans les réacteurs, dispersion des matières
radioactives sur le Japon aujourd'hui, demain ailleurs, irradiation des
habitants… Plus de 100.000 personnes sont actuellement évacuées de la zone et
le danger pousse de nombreux Japonais à fuir au sud du pays.
Cet accident
majeur frappe le seul pays qui a connu une agression nucléaire militaire. «Le
Japon vient d'être frappé par la pire catastrophe qu'il ait connue depuis 1945
», note Pascal Boniface de l'IFRI qui rend hommage au peuple japonais qui a
fait «preuve d'un sens remarquable des responsabilités, d'une solidarité
citoyenne d'une rare intensité. Pas de panique, de déchaînement de violence, de
lutte entre les individus pour avoir accès aux biens devenus rares et manquants
(…) la réaction des Japonais face à cette immense catastrophe force le respect
et l'admiration ».
Cet épisode aura
des effets sérieux sur une économie japonaise qui traverse déjà, depuis
plusieurs années, une phase longue de faible croissance. Il affectera par
rebonds une économie mondiale fragilisée par la crise financière ouverte à
l'automne 2008. Les bourses ont toutes enregistré des chutes sensibles. Ici et
là dans le monde, se ravivent des oppositions au recours à l'énergie nucléaire,
ce qui ne manquera pas d'accélérer, après une baisse temporaire du baril par
anticipation d'une demande japonaise plus faible, une hausse à terme du prix
des hydrocarbures, déjà avivé par les tensions récentes dans le monde arabe.
L'étau se
resserre sur Benghazi
L'opinion
publique mondiale a bien conscience que ce qui se passe actuellement au Japon
concerne l'avenir et la sécurité de l'humanité elle-même. Mais une émotion
chasse l'autre et la sympathie qui s'était manifestée internationalement au
mouvement démocratique qui s'empare du monde arabe, se détourne au moment même
où les évènements se précipitent, et non de façon positive. Deux zones de
tensions se cristallisent dans les jours prochains.
Dans les pays du Golfe, «en raison des
circonstances que traverse Bahreïn, le roi, Hamad Ben Issa Al-Khalifa, a
proclamé l'état d'urgence, pour une période de trois mois », indique un
communiqué officiel. Le roi a chargé le commandant des forces armées de
rétablir l'ordre en faisant appel à l'armée, aux forces de police, aux unités
de la Garde nationale et «toute autre force, si cela s'avère nécessaire». Cette
dernière mention fait évidemment référence aux unités saoudiennes et aux
policiers des Émirats arabes unis déployés en début de semaine à Bahreïn, où
une population majoritairement chiite réclame une «royauté constitutionnelle»,
à la famille régnante sunnite. La proximité de l'Iran, les enjeux pétroliers,
la présence d'importantes bases militaires américaines, le contrôle de la zone
stratégique du golfe d'Oman et la crainte, de nouveau, d'une «contamination
démocratique» expliquent l'intervention militaire d'une force commune aux pays
du Conseil de Coopération du Golfe (Arabie Saoudite, Bahreïn, Émirats arabes
unis, Oman, Qatar et Koweït).
L'Iran a évidemment mal réagi. A Téhéran, le
ministère iranien des Affaires étrangères a qualifié l'intervention de forces
étrangères à Bahreïn «d'inacceptable» et estimé qu'elle «rendra la situation
plus difficile» à résoudre : «L'entrée des troupes saoudiennes à Bahreïn ne
fera que compliquer davantage la donne et transformera la crise intérieure
bahreïnie en une crise régionale», a déclaré Hossein Amir Abdolahian, directeur
du ministère iranien des Affaires étrangères, recevant l'ambassadeur saoudien.
Depuis le début de la crise à la mi-février, l'Iran a demandé au gouvernement
bahreïni de répondre favorablement aux demandes constitutionnelles des
manifestants. Une attitude qualifiée d'ingérence par le pouvoir royal. En
Libye, beaucoup d'observateurs avaient parié sur la chute rapide et inéluctable
de Mouammar Kadhafi, prédisant, comme en Tunisie et en Egypte, une fuite
honteuse du tyran sous les coups de boutoir d'un mouvement populaire massif et
pacifique. C'était aller un peu vite et oublier que l'autocrate, qui n'avait
aucune issue de secours, ne manquait pas de moyens financiers et militaires.
Dans un pays désertique qui se prête peu à une guérilla de masse, la résistance
ville par ville, d'une opposition faiblement armée s'avère impuissante contre
l'artillerie, les missiles, les avions et les chars. Inexorablement, les forces
du régime progressent vers la ville de Benghazi, siège de la rébellion dans
l'est de la Libye, après avoir reconquis de nouvelles villes à coups d'obus et
de raids aériens, au moment où la question d'une aide militaire internationale
reste au stade du débat byzantin.
Il est urgent de
ne rien faire !
Mardi à Paris,
les huit puissances les plus industrialisées (G8), faute de consensus, ont
écarté l'option militaire pour ralentir en Libye les forces de Mouammar
Kadhafi, se bornant à promettre, pour cette semaine une nouvelle résolution à
l'ONU sur des sanctions renforcées.
Hillary Clinton présente, après avoir été la
première à soulever l'hypothèse d'une intervention militaire, a clairement
signifié que les États-Unis ne s'associeraient à aucune initiative de ce type,
refusant même de s'engager sur des livraisons d'armes. Le G8, déjà bien peu
efficace en matière de «gouvernance économique mondiale», regroupe, à
l'exception de la Chine, les pays les plus riches : les États-Unis, la Russie,
le Japon, le Canada, la France, la Grande-Bretagne, l'Italie et l'Allemagne. A
part la France et l'Angleterre qui militaient pour l'organisation problématique
d'une zone d'exclusion aérienne visant à clouer au sol l'aviation libyenne, les
autres pays ont conclu, après de longs débats, qu'il était «urgent de ne rien
faire ».
Certes, l'intervention militaire sous une
quelconque forme comportait des risques sérieux d'escalades non contrôlées.
Certes, les conditions requises à une possible intervention étaient nombreuses
: «Si le besoin en est démontré, si le mandat juridique est clair et le soutien
régional ferme, nous nous tenons prêts à apporter notre aide ». Le jeudi 10
mars dernier, le secrétaire général de l'Otan, Anders Fogh Rasmussen, avait
clairement énuméré les trois conditions posées à une intervention militaire de
l'Alliance atlantique en Libye, au terme d'une réunion des ministres de la
Défense.
L'écrasement possible et certainement
sanglant de l'opposition libyenne démontre, à l'évidence, un besoin. Le mandat
juridique clair est plus difficile à obtenir de l'ONU puisque dans le Conseil
de sécurité, la Chine et la Russie s'y opposent. Le «soutien régional ferme»
se fait attendre car si la Ligue arabe soutient les zones d'exclusion
aériennes, l'Union Africaine s'y oppose. Et les voisins immédiats, Algérie,
Tunisie, Mali, Niger, Égypte campent sur un silence prudent. L'initiative
tempétueuse prise, la semaine dernière, par Nicolas Sarkozy répondait au moins
à l'attente de l'opposition libyenne, présidée par Mustafa Abd al Jalil,
ex-ministre de la justice de Kadhafi. Quelles qu'en soient les motivations
notamment de politique intérieure française, la prise de position du président
français était courageuse. Mais «montée» de façon particulièrement maladroite !
En concertation avec Bernard-Henry Levy, éternel «nouveau philosophe» et apôtre
enragé de «l'intervention humanitaire armée» Nicolas Sarkozy n'avait prévenu de
sa volonté d'engagement militaire ni son gouvernement ni ses partenaires
européens ! La tête d'Alain Juppé filmé, découvrant la nouvelle par une dépêche
diplomatique, lors d'un sommet européen devant justement traiter de la Libye,
restera un must de l'histoire diplomatique ! Et l'Allemagne courroucée par les
foucades de «l'incorrigible Français», martelait son opposition à une
intervention militaire, par crainte officielle qu'un «tel développement ne
devienne une guerre et n'affaiblisse le mouvement de démocratisation en Afrique
du Nord».
Ankara fâchée
avec la liberté d'expression
On voit mal
comment les canonnades des chars de Kadhafi vont renforcer le mouvement
démocratique libyen ! Grandes déclarations vertueuses, vÅ“ux pieux, agitations
impuissantes : qu'il s'agisse de réformer le système économique international,
d'accompagner les mouvements démocratiques, d'apporter une aide d'urgence à un
pays qui subit une catastrophe écologique, le G8 (et autres innombrables
instances internationales) montre surtout des pays aussi vaniteux de leur
puissance qu'incapables d'agir de concert. Voilà donc le peuple abandonné, seul
et désarmé, face aux chars de Kadhafi. Mais l'Histoire n'est jamais écrite à
l'avance. Alain Juppé ouvrait l'hypothèse hier d'une intervention franco-arabe…
Il est curieux que la Turquie, puissance
montante de la grande région, soit également adepte d'un statu quo qui en
réalité, ouvre sûrement à tous les dérapages catastrophiques. Recep Tayyip
Erdogan a réaffirmé son opposition à une intervention de l'Otan en Libye,
estimant qu'une telle opération aurait des conséquences «dangereuses». «Nous
considérons qu'une intervention militaire de l'Otan contre la Libye ou un autre
pays serait totalement non profitable». Le Premier ministre turc s'est, par
ailleurs, prononcé contre des sanctions contre le régime libyen, le 23 février,
jugeant qu'elles feraient du tort à la population libyenne plus qu'à ses
dirigeants. Recep Erdogan a même, bidouille politicienne, proposé à Mouammar
Kadhafi de nommer lui-même un président jouissant d'un soutien populaire afin
de mettre fin à la crise libyenne. Dans une interview à la chaîne Al Arabia,
Erdogan ajoute s'attendre à voir le colonel libyen «prendre des mesures
positives dans ce sens». «Nous voulons un arrêt des combats de part et d'autre,
à la fois dans l'est et l'ouest de la Libye», a ajouté le Premier ministre
turc. «Guide de la révolution », Mouammar Kadhafi n'a en effet pas de poste
officiel attribué mais il ne souhaite, en aucun cas, partagé son pouvoir réel.
Il est vrai que l'AKP, le parti majoritaire
turc, n'est pas toujours très convaincu des vertus de la démocratie. Le
gouvernement multiplie, ces derniers temps, procédures et arrestations de
journalistes. Début mars, 10 rédacteurs de différentes publications ont été
arrêtés sous le prétexte fallacieux d'un «complot anti-gouvernemental».
L'association des journalistes turcs dénombre 60 de leurs confrères
actuellement emprisonnés et 2.000 qui ont fait l'objet de poursuites. Selon le
mouvement arménien, certes un peu suspect de partialité, le bilan de M. Erdogan
n'est pas dans le domaine des libertés constitutionnelles, très flatteur. Dans
ses huit années de pouvoir, 232 partis et associations ont été interdits ou ont
fait l'objet d'une procédure d'interdiction ; 627 organisations, partis
politiques, agences de presse et associations culturelles dont les sièges ont
été perquisitionnés ; 671 publications interdites ou censurées ; 2.498
personnes poursuivies en raison de leurs opinions, ont été condamnées… Encore
un effort, Recep, pour être républicain !
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Posté Le : 17/03/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Pierre Morville
Source : www.lequotidien-oran.com