Algérie

LIBRE DEBAT Les tripartites sont à côté de la plaque


La quatorzième tripartite a, comme c'est de coutume, fini par accoucher d'une souris. Si l'on considère bien entendu le bébé du 28 mai dernier comme étant mort-né. Une augmentation maigre qui sera vite rattrapée par une inflation implicite et galopante. Le citoyen a dû remarquer que la bouteille de soda est passée en l'espace d'un mois juste après le Ramadhan de 35 DA à 45 DA parce que le sucre en a fait autant et n'en parlons pas du reste des produits, entre autres la viande, dont on n'y pense même pas. Et tout cela d'une manière informelle.
En termes plus simples, le citoyen sans se rendre compte s'est vu dépouillé de près de 30% de son salaire. Il aurait attendu tout ce temps pour qu'il récupère dans les conditions les plus favorables à peine 10%. En plus les cadres qui jusqu'à présent se suffisaient de leurs salaires et qui ne seront pas touchés par ces augmentations viendront gonfler la masse revendicatrice. On aurait remarqué tout de même qu'à chaque fois qu'une frange de la société monte au créneau, la tripartite d'après tentera de la calmer. Cette fois-ci, c'est au tour des retraités. Mais c'est raté ! les retraités n'auront rien car le patronat refuse de prendre en charge une augmentation de la pension et l'Etat ne veut pas céder pour rabattre l'IRG pour l'alléger. Cet évènement fortement médiatisé n'a pas pour autant réussi à diminuer les conflits de travail, de nombreuses grèves sont programmées la première semaine d'octobre 2011 (éducation, employés municipaux, etc.). Pourquoi ' Parce que les six tripartites qui se sont déroulées depuis l'élection de Bouteflika n'ont jamais mis sur la table de réels enjeux économiques à même de régler les vrais problèmes du monde du travail. Sur le plan purement économique, on ne peut pas poser ces véritables problèmes dans un système où la croissance est étrangère à la logique économique. En effet, il existe une déconnexion entre les salaires et la productivité parce que seuls des facteurs exogènes gouvernent la croissance en Algérie. L'homme en est totalement étranger pourtant réclame à chaque fois une augmentation. Pour le cas de l'Algérie, il s'agit uniquement d'une redistribution du revenu national sans pour autant pouvoir mesurer les efforts des rétribués en contrepartie. Depuis pratiquement 1991, date de la première tripartite qui s'est déroulée dans les conditions économiques particulières où les décisions appartenaient plutôt au Fonds monétaire international, que des réunions stériles qu'on qualifie fallacieusement de marathoniennes car dépourvues de toute négociation ; les partenaires sont choisis et les décisions sont arrêtées d'avance.
Déconnexion des augmentations du SNMG avec le pouvoir d'achat
C'est uniquement un show pour un public meurtri et en quête du moindre centime. L'UGTA a reconnu à plusieurs reprises que son objectif est de tirer le maximum pour les travailleurs sans pour autant satisfaire un pouvoir d'achat incontrôlable. Quelques exemples vont certainement étayer cette fausse démarche. Le salaire national minimum garanti (SNMG) est passé en l'espace de près de 12 ans de 6 000 DA à 18 000 DA soit un coefficient multiplicateur de 3. A la même période, si on se réfère à l'indice de développement humain (IDH), le panier procurant un nombre de calories exigées a augmenté quant à lui de 6 fois en moyenne dans les pays pétroliers à économie de rente similaire à l'Algérie. Une étude faite par l'Unpef, un syndicat de l'éducation et de la formation a montré une déconnexion totale de ces augmentations avec le pouvoir d'achat. Elle a révélé qu'un professeur qui touchait en 1989 4 fois le SNMG est resté après près de 22 ans au même niveau. Les vrais problèmes comme l'injustice instaurée par l'article 87 bis du code du travail et qui prive les salariés de certaines primes, a été posée depuis la 11e tripartite. En vain. La seule fois où la tripartite a tenté de revenir sur la logique économique c'est le 28 mai dernier en consacrant une session spéciale pour rechercher les voies et moyens de soutenir le développement de l'entreprise économique en lui enlevant les contraintes qui pèsent sur elle et en améliorant le climat des affaires. Normalement, la théorie économique suggère que la production génère un revenu, lequel revenu suscite une dépense et ainsi de suite. Il ne peut pas y avoir de dépense sans revenu et un revenu sans production. Donc l'entreprise reste au centre de tout le circuit économique. Or, le système économique algérien permet des dépenses sans une contrepartie de production. A la limite, du temps du système dirigiste, on se permettait un tel luxe parce que les objectifs des instruments économiques étaient principalement politiques. Aujourd'hui, on se dit en transition vers l'économie de marché tout en appliquant les recettes de l'ancien système d'où la contradiction. Pour preuve à l'issue de cette tripartite dédiée à l'entreprise, une foudre s'est déclenchée sur le terrain : le conflit d'Air Algérie, celui des médecins, des gardes communaux... Un semblant de négociation aboutit forcément à un semblant de résultat et c'est exactement ce qui s'est passé lors de cette tripartite comme toutes les autres d'ailleurs. Le groupe «think tank» chargé du suivi de l'économie des entreprises déclare ne voir aucune mesure sur le terrain pour justement soutenir l'entreprise. Pour s'attendre à de vraies décisions économiques, il faut qu'il y ait un changement profond dans le processus des relations de travail, aussi bien dans sa forme que dans son fond. Les conflits ne doivent plus paraître à l'Etat avec un aspect fonctionnaliste, voire négatif, et contre lesquels il faut utiliser la répression par une instrumentalisation de la justice. Ils doivent servir à l'amélioration des relations humaines et l'instauration des dialogues sociaux. Quels sont justement les éléments-clés de cette approche '
Equité et justice sociale
S'agissant d'une redistribution pure et simple d'un revenu, produit de la rente pétrolière, le problème des salaires ne devra plus se poser en termes de pouvoir d'achat, mais plutôt d'équité et de justice sociale. L'augmentation des prix reste l'œuvre de l'offre et de la demande, l'Etat n'en a aucun pouvoir que de colmater les brèches en fonction de ses moyens. C'est la raison pour laquelle les 14 tripartites ne faisaient qu'allonger les salaires sans pour autant rattraper l'envolée du pouvoir d'achat. Par contre, elle est responsable d'une libéralisation anarchique des salaires qu'elle n'arrive plus à maîtriser, et maintenant elle l'imite même. L'Etat, censé être régulateur, a cautionné que le citoyen salarié supporte et partage l'endettement des entreprises, mais ne bénéficie pas du fruit de leurs performances. Entre le bas salaire moyen et le plus haut, le gap (l'écart) est flagrant en Algérie. Si l'on se réfère uniquement aux pays de l'Afrique du Nord (Maroc et Tunisie), le coefficient multiplicateur pour le Maroc est de 20, celui de la Tunisie de 17, par contre en Algérie il est de 55, soit l'injustice est presque 3 fois plus aiguë. Il est leurrant de montrer aux salariés une volonté d'un rattrapage d'une envolée des prix lorsque tout le monde sait que l'Etat n'a aucun pouvoir et encore plus les moyens. Mais ce qui est visible c'est une velléité de favoriser une dérive exponentielle des salaires dans les hautes sphères de l'Etat au détriment de la majorité. Cette manière consciente ou inconsciente de traiter la problématique du processus salarial en Algérie demeure très préjudiciable pour l'avenir de tout le système économique : 1- Aucun système mis en place depuis le début de la transition économique en Algérie pour lier les salaires au résultat n'a pu être mis en œuvre effectivement. Tous les mécanismes achetés à coups de devises ont purement et simplement échoué. Il ne pouvait pas en être autrement car personne ne produit et tout le monde consomme. 2- Une fuite, voire une saignée sérieuse de cadres de haut niveau vers d'autres entreprises étrangères qui savent elles apprécier les performances à leur juste valeur. Une conséquence immédiate de cette saignée serait la perte d'une capitalisation et d'une consolidation du savoir et du savoir-faire dans les secteurs économiques en Algérie. Comment peut-on demander à un cadre qui travaille au Sud dans des conditions climatiques et de sécurité extrêmement difficiles et bouclant le mois avec au plus 100 000 DA de capitaliser de l'expérience lorsqu'il apprend qu'un député qui passe sa matinée dans des cafés et des restaurants au compte du contribuable et lève uniquement la main pour valider des lois touche 4,5 fois plus. C'est un grand exploit que les jeunes cadres restent imprégnés d'un esprit patriotique pour ne pas donner des informations stratégiques aux étrangers pour assouvir leur peine.
Reghis Rabah, consultant-chercheur
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)