Tout donne à
croire que le pays entier fait son ordre du jour dans l'exposition que nous
offrent chaque jour les buralistes. La presse fait des vagues. La politique
complique davantage l'imbroglio de sa gestion. Le terme « presse » n'existait
pas au moment où naissait le code de l'information (loi n 82-01 du 06 février
1982). Il ne s'agissait en fait que d'une « activité de distribution des
informations écrites et photographiques » et dont le monopole est détenu
exclusivement par l'Etat (cf. art 24 de la loi précitée).
Les retombées d'octobre
n'ont eu de cure, dans un saut de démocratisation des moeurs politiques du
pays, Constitution aidant, qu'à faire accompagner cet élan par un train de
mesures naturelles forcément recommandées par l'option de la libéralisation des
activités connexes à l'exercice de l'acte démocratique. La presse faisait son
éclosion. Une notion demeurée longtemps enfouie dans les interstices de
l'obédience socialiste quant à la gestion de l'information. Outil dangereux, le
traitement de «l'information» nécessitait un comportement managérial très
particulier, à la limite de la propagande, et n'était perçu qu'au travers un
schéma de diffusion de l'information «utile». Au pouvoir en place bien entendu.
Le sensationnel, à lire dans la presse d'outre mer, était chez nous un fait
divers ou un produit inédit de la «force révolutionnaire» qu'entretenaient tous
les programmes sectoriels ou les visites impromptues du chef de l'Etat ou de
ses ministres. Les seuls quotidiens étaient ceux qui faisaient les longs
reportages sur les bienfaits de telle révolution ou de telle autre. Vitrine sur
un passage obligé, le journal se consommait au même titre que s'use le journal
télévisé. Tous tenaient à porter à notre connaissance ce que le pouvoir voulait
qu'on sache.
A faire une brève
comparaison de ce qui se pratique, de ce que nous lisons, de ce « qu'ils »
veulent nous faire lire, n'y a-t-il pas lieu de lâcher un grand soupir de
regrets et d'avoir, nonobstant le souci de la démocratie, une certaine
nostalgie et d'affirmer qu'en finalité «tout allait bien» ? Bref...
Pris dans les
mailles du choix imposé d'une vie de démocratie, le pouvoir devait lâcher du
lest en faveur des libertés publiques. L'essentiel de ces libertés, en dehors
de celles relatives à la circulation des biens et des personnes, des
associations, des réunions de personnes , s'érigeait telle une exigence à
satisfaire en termes immédiats ; la liberté de dire, de parler, d'écrire, de
penser, de réfléchir, enfin tout ce qui se rattache aux droits subjectifs de la
personne et de l'individu. Mais, dans ce grand cahier de besoins exprimés par
la communauté nationale, l'on oubliait de rendre facile les grilles de lectures
de toutes ces libertés. Flottant d'une définition à une autre, d'une
terminologie à une idéologie, «l'activité de distribuer des informations»
pataugeait sciemment dans les débats stériles du choix des mots. Liberté de
presse ? Liberté d'expression ? Presse privée ? Presse indépendante ? En fait,
le législateur aurait carrément évité le style juridique adéquat au profit des
notions flexibles de toute conjoncture politique. Cela serait à justifier par
la démarche visant à atteindre au pas à pas le zénith de l'entièreté
libertaire. Soit, allons cahin-caha vers les monts de la haute démocratie. On
voulait construire d'abord le réceptacle destiné à recevoir toute sorte
d'information avant de se lancer tout azimut vers la production de cette «
information. Le défi a échoué. L'audience nationale n'était prête que pour le
scandale et les faits fortement sensationnels. La commercialité commençait à
puiser ses intérêts justement dans le plateau médiatique à offrir journellement
aux lecteurs. Sans aucune étude de lectorat, seule la statistique des vendus
renseignait utilement les producteurs sur l'importance de leur audimat graphique.
L'éthique n'était et n'est pas, du moins pour certains titres, une limite
déontologique à respecter scrupuleusement. Le gain, la rapine et la combine
demeuraient les principaux critères de régulation du nombre de tirage. L'on se
tairait sur les conditions tantôt complices, tantôt de liaison fatale, qui
organiseraient la construction d'un journal. Sa vitalité ne dépend pas toujours
de l'excellence des plumes qui y sévissent, plus qu'elle ne s'accroche à des
pages où le spot, le slogan et la source commerciale sont le souffle et l'âme
de l'édition. Mais ce sera aussi de la sorte que se font les grands titres. La
liberté d'expression se découvrant moulée dans celle de la presse, il n'y
aurait nulle échappatoire à cela.
Ainsi, le code de
l'information se trouvait à son tour dans une obligation politique de refaire
un toilettage. La loi n° 90-07 du 03 avril 1990 fut consacrée avec son intitulé
générique de loi «relative à l'information» de là, les déboires des titres, des
propriétaires des clans, et aussi les affres du pouvoir, de simples personnes,
d'institutions honorables, débutaient à voir leurs noms, leurs sigles, leurs
professions de foi déballés au grand jour. Cette approximative « liberté » se
faisait aux dépens de toute règle de présomption d'innocence, de préservation
de secret professionnel, ou du respect de la vie privée des personnes.
Ordinaires
individus ou hauts responsables, actuels ou anciens, subalternes ou supérieurs,
morts ou vivants, tous ont eu à connaître dans leur chair, les douleurs
affreuses d'une suspicion, d'un colportage, d'une diffamation ou d'une
énonciation dévoilant une intimité. La presse se confirmait en pouvoir
authentique. Le tapage sur une personnalité ou sur une institution semblait se
ranger loin d'un rapport de fait ou d'événement plus qu'un rapport de force.
Des feuilletons interminables viennent entretenir chez le lecteur le goût
inachevé d'un épisode se terminant inlassablement par la mention « à suivre ».
Les frais étaient immenses en termes de moralité. Mais en termes de traitement
politicard, cette tendance d'une certaine presse confortait son rôle dans la
décision de vouloir changer les choses. Un simple article sur une
responsabilité donnée donnait lieu à un contrôle commandé ou un limogeage.
Comme l'inverse est
aussi vrai. Des personnes liées à la gestion d'institutions faisaient paraître
leur profil fort, afin d'amadouer ou de faire déviation sur la déroute qui
greffe leurs attributions sectorielles. L'on se tait sur les frasques. L'on se
mue dans une totale méconnaissance de ce qui moisit, comme pourriture
gestionelle, dans les intestins de telle ou telle institution et ce, eu égard
aux liens entretenus et bien nourris avec certains organes.
Le pays gérait
ainsi ses institutions et ses cadres à travers le «rapport» de presse. Cette
situation s'assimilait de toute manière à des lettres anonymes rendues un peu
publiques. L'Etat suivait, pourtant, sans se soucier de sa crédibilité, la voie
toute indiquée par la suggestion du papier. Combien de décisions positives ou
négatives ne furent-elles pas prises en faveur ou à l'encontre d'hommes et
d'institutions suite à des «nformations» parues dans la presse» ? Si informer
est une noblesse dans la transmission du fait qui devait se faire avec toute
une habilité, la fidélité de la transmission du fait tel qu'il se présente
restera une autre noblesse à acquérir avant d'égratigner par la plume la
dignité ou l'intégrité morale des uns ou les autres. Rapporter une information»
n'est pas la commenter, ni une vérité absolue encore moins contraindre autrui à
y croire avec acharnement. Les professionnels du journalisme en tant que
discipline de la science de la communication affirment à ce sujet que
«l'information est objective, le commentaire libre».
Sur un autre
registre, l'on s'accorde à redire que quelles que soient les tendances
idéologiques ou politiques des titres, il restera néanmoins des ligne-phares à
révérer. Tendre vers l'apologie du crime est un crime en soi. Susciter la
rébellion est plus qu'une trahison. Ameuter les gens autour d'un autel dressé à
l'avance pour le sacrifice de quelqu'un n'est pas digne d'une société qui se
veut à l'écart de l'obscurantisme et des pratiques révolues de l'inquisition.
Ainsi, malgré des réticences inouïes, il subsistera dans toutes les
civilisations des constantes que, n'ayons pas peur d'appeler les constantes
nationales. Insulter sans égard la personne du chef d'Etat en ne faisant point
de différence entre ce qu'il représente et ce qu'il est, est loin de constituer
logiquement ou apolitiquement une forme en soi d'une quelconque liberté. La
protection des personnes étant constitutionnellement garantie. Et le code pénal
bis en est répressif. La conjoncture actuelle a l'air de donner l'impression
d'une indifférence totale vis-à-vis de ce qui s'écrit, si ce n'était la
secousse morale que peut provoquer le rappel de toute clarté consciencieuse.
Tout ce déballage qui, d'ailleurs, n'a aucune raison nationale d'avoir lieu, vu
les défis attendus, les vrais problèmes, les crises authentiques , serait le
prélude à un combat important. A-t-on besoin à chaque élection de briser nos
forces et jeter l'opprobre sur nous-même ? De casser, d'emprisonner, de faire
peur, d'intimider, d'être injurié et diffamé avec ses frères et sÅ“urs ?
Faudrait-il un
jour croire en l'avènement d'une véritable presse impartiale dans le traitement
quoique partisane dans le principe ? Une presse libre et indépendante de tout
lien, sauf de servir le pays et savoir se taire au moment décisif. Encore que
se taire ne peut être une réfutation de la liberté d'expression. C'est un acte
actif lorsqu'il est pratiqué opportunément et à bon endroit rendra
d'innombrables services.
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Posté Le : 03/05/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : El Yazid Dib
Source : www.lequotidien-oran.com