L'incident malheureux que vient de
connaître la ville de Béchar et qui a bouleversé sa
population appelle les consciences officielles, celles encore vives au moins, ainsi
que la société civile désintéressée, à se pencher plus sérieusement sur les
préoccupations d'une frange importante de ses habitants dont sa jeunesse
désoeuvrée.
Je ne m'arrêterai pas sur le suicide par le
feu d'un citoyen et la mise en danger de la vie d'un autre, mais j'accentuerai
ma réflexion sur quelques exemples sur la responsabilité morale, parfois
involontaire parce que due à la médiocrité dans l'exercice des fonctions
publiques, particulièrement par ceux en charge du dossier du développement
global de la wilaya et de son chef-lieu.
Simple citoyen et cadre, pionnier entre
autres de l'édification de l'administration locale, il m'a été donné d'assumer
pendant quarante ans certaines responsabilités exécutives qui m'ont permis
d'assister activement aux travaux de multiples commissions communales et wilayales, notamment celle ayant eu pour mission d'élaborer
au début des années 70, le Plan d'Urbanisme de Béchar
et, bien plus tard, le Plan d'Aménagement de la Wilaya ainsi que le Plan
d'Aménagement Intercommunal des daïrate de Béchar, Kénadsa et Lahmar non encore mis en exécution. Mon expérience au sein
de l'administration et du parti unique (responsabilité oblige) aidant, ainsi
que mon amour sans faille pour Béchar, j'avais milité
avec d'autres collègues dont la plupart sont encore en vie, afin de préserver
l'authenticité du centre-ville avec comme seules opérations l'aménagement du
bâti existant sans ajout de constructions nouvelles si ce n'est par nécessité
absolue. La perspective de développement que nous avons défendue a voulu que la
croissance du tissu urbain se fasse ailleurs avec en parallèle comme impératif
la création d'équipements collectifs répondant aux besoins réels de la
population de la ville en tant qu'agglomération stratégique et de ville
garnison.
Malheureusement, les instruments
d'urbanisme successifs, en dépit de leurs insuffisances, n'ont connu ni le
respect ni l'exécution souhaités, les préoccupations
des uns et des autres se trouvant souvent ailleurs. Pour preuve, les abords des
rues étroites du centre-ville ont accueilli des constructions en hauteur, froides,
inaccueillantes, sans esthétique notable et qui
l'étouffent complètement. Le plan de circulation, plusieurs fois revu depuis la
fameuse étude du belge Chevillot, objet de nombreuses
critiques au début des années 80, n'est pas fait pour servir ni l'environnement,
ni les nerfs des conducteurs et des piétons, et encore moins l'air qui y
devient de plus en plus malsain. Les quartiers créés depuis quatre décennies
sont loin de répondre à ce souci de garantir un cadre de vie agréable aux
citoyens dont se sont targuées et se targuent sans fin nos autorités.
Béchar fut durant cette période un vaste champ
d'expérimentation de tous types d'architecture; nous y avons même eu droit à
notre part du type H.L.M. ouvrier tchèque et yougoslave conçus pour des régions
froides et ne répondant nullement aux besoins de la famille algérienne en
général de taille souvent importante, et encore moins à ses traditions
ancestrales et surtout aux conditions climatiques du Sud. Pis encore, à un
moment donné, le bureau d'études étranger SODETEG a fait admettre le type de
construction d'aspect chinois pour le défunt projet de cité administrative, si
cher à nos autorités au cours de la décennie 70 du siècle passé. Il paraît
aussi que certains architectes étrangers ayant opéré dans le domaine de la
construction durant cette période, ont laissé des traces peu morales sur les
ouvrages réalisés soit sous forme d'initiales ou parfois de croix à la
chrétienne. Enfin, la mentalité du F1 et du F2 tient d'ailleurs bon en dépit
des directives fermes de l'actuel président de la République vieilles d'au
moins dix ans.
Par ailleurs, les malfaçons (ah! les
malfaçons!) sont si coutumières et souvent masquées, que le contraire
étonnerait les têtes bien faites dans cette malheureuse contrée. Le phénomène
est si significatif et étendu pour que ces pages puissent le détailler. Qui en
est responsable alors ? Tous les intervenants sans doute allant de la
commission d'octroi des certificats d'aptitude qui agit bureaucratiquement et, çà
et là par connivence, aux agents chargés des suivis en passant par les
commissions des marchés publics.
Sur un plan purement réglementaire, certains
instruments d'urbanisme limités dans le temps comme le PDAU sont souvent
dépassés dans certains de leurs volets avant même leur mise en application. L'exemple
réside dans l'élaboration tardive et conjoncturelle, en plein tissu urbain, de
certains plans d'occupation des sols (POS). Parfois, quand ce POS est établi, son
exécution se trouve envoyée aux calendes grecques comme c'est le cas pour le
désenclavement du Vieux Ksar côté « Jnanat » où deux
rues déjà prévues en 1968, tardent à voir le jour, bien que toutes les
formalités soient finalisées par la précédente APC au point qu'il ne reste que
l'exécution des travaux d'ouverture. L'importance de ces deux rues est de
taille ; elles permettraient une fluidité des circulations automobile et
piétonne et désengorgeraient la rue de La Mosquée en ouvrant d'autres accès vers d'autres
destinations. La situation serait encore plus bénéfique si le projet de percée
de la place Nouader vers le souk « Brarique » est réalisé. Cette percée ferait de Nouader une place marchande et permettrait son aménagement
tout en conservant la vocation qu'on lui connaît depuis toujours. Je souligne
que le principe de ce projet décidé en commun entre l'ex-APC
et le comité de quartier en 2003, semble ne plus être d'actualité. Il n'est
peut-être pas étonnant que les actuels élus communaux ignorent son existence.
Par ailleurs, les extensions anarchiques de
terrains publics dans certains quartiers populaires au profit de privilégiés ou
par népotisme, sème le doute sur l'intégrité de certains agents publics véreux.
Le cas de celui de l'Oued à Béchar Djédid, pourtant récemment restructuré, où il m'a été donné
de constater l'existence d'une ruelle en entonnoir à cause de ce phénomène est
très éloquent. Où est passée la police de l'urbanisme dans tout cela? Comment
expliquer alors le silence des différentes tutelles? Une enquête sérieuse et
approfondie, j'en suis sûr, déterrerait plus d'un lièvre. Mais qui aurait le
courage moral de déclencher ou même de demander une telle enquête. Beaucoup de
questions demeurent en suspens devant la démission et le silence des assemblées
élues. Ainsi, j'ai toujours à l'esprit l'exemple de ce collègue exerçant au
niveau du cabinet de wilaya, moralement malmené et contraint à la retraite, après
plus de quatre décennies de loyaux services, pour avoir essayé de proférer
conseil à ce titre au wali nouvellement installé en 2004.
Si je me suis attardé sur ce sujet et si
j'ai fait référence en début de mon écrit à l'auto-immolation
par le feu sur l'autel du laisser-aller d'un citoyen au niveau du Souk Bouhlel, c'est juste pour démontrer la part de
l'improvisation dans la prise en charge des préoccupations des citoyens en
matière d'équipements publics. Mais c'est surtout pour dire qu'en matière de
politique d'urbanisation tout est lié à tout. La mort du défunt est intimement
un problème lié à cette politique car, si ces préoccupations avaient été prises
sérieusement en charge au moment de l'élaboration des instruments d'urbanisme, et
si ces derniers avaient joui du respect dans l'application, Béchar
n'aurait peut-être pas connu la fin de ce jeune à la « Bouazizi
». En effet qui des responsables locaux autochtones ignore que le colonialiste
français n'a laissé à Béchar que deux marchés de
fruits et légumes dignes de cette qualification, pour servir la population de
la commune mixte de Béchar (Debdaba
et le centre-ville) avec ses trente mille habitants? Et qui de nos chers élus, à
tous les échelons d'ailleurs, ignore ce fait ? Plus important encore, qu'ont
fait ces mêmes élus pour atténuer le souci quotidien du citoyen en quête
d'espaces commerciaux un tant soit peu cléments en matière de prix? Plus d'un
pourraient dire que d'autres structures ont été réalisées pour cette mission. Ils
oublient (ou peut-être feignent d'ignorer) que :
- Le souk Bouhlel
a vu le jour pour accueillir la foire économique annuelle de Béchar, et sa mission a été détournée par nécessité absolue
pour servir comme marché de fruits et légumes. Construit à la va-vite, étroit, mal
fini comme peut le constater tout passant de l'extérieur, tous les moyens
d'hygiène dignes de ce nom y sont absents; cette situation ajoutée au chômage a
encouragé la prolifération d'étalages anarchiques dans son environnement, à
deux pas seulement du siège de la wilaya au lieu servant actuellement de
station de transport urbain, bien avant son bitumage où il a souvent pris
l'aspect d'un bourbier en cas de pluies. Le côté nord du terrain, non encore
enduit, y sert à ce jour comme urinoir en plein air. Cette situation qui a duré
plus de trois décennies, a souvent provoqué des accrochages sporadiques entre
marchands illicites et agents de l'ordre public d'une part, et entre ces
marchands et les habitants du voisinage d'autre part pour des raisons bien
connues sur lesquelles l'administration n'a jamais daigné se pencher
sérieusement.
L'accumulation de ces contraintes
différemment ressenties par les indus occupants faisant le reste, les
conséquences sont tragiques, sans pour autant conduire à une prise en charge
digne de ce nom de ce problème épineux, du moins selon la rumeur publique et
les fuites à partir de l'administration.
- Le Souk El-Fellah
hérité de la défunte COFEL n'a pas survécu à l'étroitesse de vue de nos
autorités pour finir comme voierie communale après avoir servi à autre chose
que le commerce des légumes.
- Les deux tout petits marchés qui ont vu
le jour à Debdaba côté cimetière et à Béchar Djédid, sont loin, très
loin même de satisfaire les besoins des populations environnantes, si bien que
l'essentiel des échanges a lieu à l'extérieur, parfois le long de la rue
jouxtant la Mosquée
centrale avec tous les aléas en matière d'environnement. Ils se font dans des
conditions qui illustrent l'insuffisance de l'intérêt accordé aux facteurs
hygiène et réglementaire.
- Le souk dit « Kandahar », ainsi
ironiquement désigné par les citoyens, a vu le jour avec tous les méfaits d'un
authentique bidonville. Il porte ainsi une nuance de taille à travers cette
dénomination éloquente et pleine de sens. Ne configure-t-elle pas le dénuement,
la misère, l'abandon de ses usagers, commerçants et clients à leur sort, et
rappelle surtout la violence et le chaos ?
Il est à souligner que l'anarchie ne couvre
pas uniquement le commerce des fruits et légumes. Le commerce parallèle couvre
aussi le souk populaire des « Brarique » à travers
des étalages d'effets vestimentaires et autres, souvent exploités par des prête-noms
au profit de tiers. Limité à l'origine, il obstrue désormais de façon permanente
les deux voies de l'avenue Sidi Brahim et se prolonge de façon tentaculaire le
long des rues avoisinantes jusqu'à la Mosquée des Martyrs. Reconnaissons qu'un grand
préjudice est porté aux circulations automobile et piétonne et risque de rendre
inutiles les ouvertures projetées à partir du quartier Ksar (Jnanat). L'impact négatif sur le fisc et les budgets locaux
est aussi grand. Toutes les tentatives de mettre fin à cette situation sur une
base réglementaire n'ont pas abouti, le problème étant souvent manipulé « avec
des pincettes » pour éviter les susceptibilités des uns et des autres. Il est
même présenté comme un danger latent et un monstre qui risque de faire des
siennes un de ces jours s'il est tarabusté. L'aborder de cet oeil ne fait que
retarder une issue favorable qui risque d'être impossible d'ici quelques années,
les occupants risquant d'arguer du fait accompli ou même du droit acquis.
Que faire alors pour sortir de cette situation
aux moindres frais sur les plans moral et sécuritaire? La réponse me paraît à
la fois simple et complexe. Une course contre la montre devrait être engagée, car
il s'agit de rétablir le droit du citoyen béchari de
vivre dans un cadre à la fois agréable, bénéfique sur le plan boursier, et à la
grandeur de cette ville longtemps considérée comme la porte du Sahara et non
pas celle du désert, tous sens confondus, comme certains esprits rétrogrades le
veulent.
Le dialogue, et encore et toujours le
dialogue, loin de tout paternalisme, demeure le principal moyen. Je suis
pertinemment sûr et certain que parmi ces citoyens commerçants, les jeunes en
particulier, qui usent de ce genre de commerce par nécessité et par la force
des choses, une très grande majorité jouit d'une sagesse qu'elle n'a pas eu
l'occasion de démontrer. Qu'on les écoute et qu'on reste tout près d'eux, même
en appliquant naïvement et avec une grande modestie les instructions
présidentielles dans ce sens! Après tout ils n'échangent pas de produits
prohibés, et seuls les animent le besoin et le sentiment de vouloir gagner
honnêtement leur vie. Il faut éviter de voir en eux un vis-à-vis sourd à toute
doléance. Si l'Administration parvient à se convaincre de cette réalité, le
problème est à moitié réglé, le reste devant faire l'objet de propositions
émanant des «commerçants» eux-mêmes et des milieux de la société civile, ceux
n'ayant aucun lien ni intérêt particulier que celui de contribuer à l'amélioration
de leurs conditions.
Hormis un travail administratif
préliminaire de préparation, la solution pourrait résider dans la construction
d'un supermarché, une grande surface selon les normes mondialement connues, à
la différence qu'elle comprenne quelques centaines de locaux à usages très
divers, destinés à créer un centre d'animation commerciale variée. Les
assiettes adéquates pour ce genre de projet ne manquent pas et je citerai à
titre d'exemples:
- l'actuel station de transport urbain
expropriée depuis près de deux décennies, à condition de régler le problème de
l'indemnisation de ses propriétaires;
- le terrain vague situé entre la cité 400
logements et la cité universitaire, quitte à revoir sa réaffectation;
- le grand parc servant de marché de gros
des légumes et fruits.
Il est à noter enfin que l'Etat n'a jamais
été avare s'agissant des équipements collectifs, en particulier ceux destinés à
mettre fin à une situation inconfortable pour tous. La sérénité des citoyens et
la préservation de l'ordre public ne valent-elles pas plus que quelques
milliards de centimes ? Dans ce cas, l'essentiel pour le citoyen est de pouvoir
faire ses emplettes dans des conditions aisées, tandis que pour les futurs
bénéficiaires des locaux, la disponibilité d'une clientèle massive et fluide, et
une situation juridique claire. Ceci permettrait de créer des dizaines voire
des centaines d'emplois annexes ainsi que d'autres lignes de transport urbain. Ainsi,
l'entreprise publique de transport urbain récemment créée et qui semble être
boudée par la population à cause du tarif appliqué, pourrait connaître un
regain de dynamisme. A bon entendeur, salut !
* Intellectuel, Béchar
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Posté Le : 23/07/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Mohamed Miloud Manouni *
Source : www.lequotidien-oran.com