Algérie

LETTRE DE PROVINCE Fête nationale : une République expéditive



Par Boubakeur Hamidechi
hamidechiboubakeur@yahoo.fr
«Circulez, il n'y a rien à voir et évidemment rien à attendre du solennel 1er Novembre». Les Algériens se sont bien habitués au déclassement des rites officiels car depuis 12 années, le chef de l'Etat a choisi leur célébration à travers des protocoles «a minima». Jamais de discours à la nation et rarement des communiqués officiels indiquant, à l'occasion, le cap que son autorité compte imprimer au pays, ne sont venus déroger à son mutisme qui lui tient bien de posture monarchique.
Ne devant rendre de compte à personne, n'a-t-il pas contribué à démonétiser les repères de la nation en ne se soumettant pas au formalisme de leur sanctification ponctuelle ' Cette année encore, il s'était contenté de ne paraître qu'à travers une virée en métro et la pose de la première pierre d'un mégalomane lieu de culte. Même si, les années précédentes, il pouvait justifier (encore que…) son économie de parole officielle, en 2011 il devait en aller autrement. A l'heure des promesses de changement, n'était-il pas en devoir de préciser, à cette occasion, sa pensée 200 jours (15 avril 1er novembre) après en avoir esquissé vaguement les grands traits ' En s'en abstenant, il vient de commettre à la fois une faute politique qui écorche un peu plus son image mais ajoute également de l'exaspération à l'inquiétude dans laquelle baigne la société. Mais comment peut-on expliquer, un tant soit peu, un pareil décalage dont il veut lui-même souligner qu'il n'est pas un impair mais bel et bien la volonté du prince ' Peut-être trouvera-t-on quelques indications dans les extractions lointaines du personnel qui nous gouverne. C'est-à-dire le rapport complexe qu'il entretient individuellement avec la geste héroïque qui tisse notre histoire et à laquelle il a si peu contribué. En effet, c'est à travers les péripéties du mouvement national et les origines des pouvoirs que les héritages politiques apparaissent comme des marques de fabrique. Selon qu'ils furent des «fils de la Toussaint» ou au contraire de modestes épigones qu'un coup d'Etat propulsa vers le sommet, ils ne sont pas dépositaires de la même légitimité gravée dans les manuels. Car en dépit des manipulations du présent, destinées à amplifier abusivement le rôle du prince du moment tout en relativisant le passé, il n'en demeure pas moins que la mémoire collective est encore capable d'identifier les véritables socles de l'identité dont le 1er Novembre et le premier d'entre eux. Quoi que fussent les avatars qui accompagnèrent les luttes pour le pouvoir, les nations modernes et les Etats de droit s'étaient appliqués à faire le tri dans les apologies pour ne retenir dans la norme des célébrations que ce qui est fondateur et fédérateur. Est-on parvenu, pour notre part, à cette exigence consensuelle qui cimente le sentiment de la patrie en partage ou au contraire l'histoire nationale demeure-t-elle encore l'otage des calculs de la politique ' Il est sûr que quelques avancées existent déjà, comme l'abrogation du 19 juin de nos calendriers, mais cela demeure insuffisant tant que durent et persistent les clairons de la courtisanerie qui fabrique de fausses biographies et taillent des légendes à celui que le système adoube. Or, c'est cet inventaire qui reste à faire d'où sortira enfin l'obligation morale pour n'importe quel chef de l'Etat de donner de l'éclat à la fête nationale en l'astreignant à s'adresser au peuple, l'ayant élu et à qui il doit des explications. Le style qu'impose à son magistère Bouteflika depuis son accession porte la marque de la régression des valeurs premières de la renaissance de l'Etat. En se détournant de la solennité et l'opportunité que celle-ci lui fournit pour consolider les liens avec le peuple, il met, sans se rendre compte, en jachère le sentiment d'appartenance à qui il lui incombe, pourtant, de fortifier et de défendre par la sollicitude de sa fonction. Entendons-nous bien : sa déplorable indifférence ne remet en aucun cas son patriotisme personnel en cause mais seulement sa grande lassitude à gouverner qui l'incline à s'éloigner, de plus en plus, des contraintes du pouvoir. Nous voilà donc avec un président de la République sans ressort et sans désir de modifier l'état du pays. Au mieux, il ne tient à sa haute fonction que pour réussir le pari de mener à son terme son troisième mandat. Surpris par les bouleversements dans le monde arabe, il se donne effectivement pour unique perspective celle de quitter El Mouradia sur le tapis rouge tout en assurant une transition conforme à l'esprit du système. «Celle du changement dans la continuité», selon le sophisme venu d'ailleurs. Ainsi, tout comme les «5 Juillet» qu'il a ignorés, les «1er Novembre» ne lui inspirent guère la moindre exigence. N'ayant d'autre rendez- vous avec l'histoire que celle qui concerne sa propre trajectoire, il ne se préoccupe que de sa longévité ! Et pour cause, l'on ne doit pas perdre de vue qu'à l'horizon de 2014, le président Bouteflika aura battu tous les records à la tête de l'Etat. Une postérité jusque-là détenue par Boumediène et Chadli. Voilà un objectif qui vaut bien quelques messes… Nous voulons dire quelques «Fatiha» dans la monumentale mosquée du futur. Mais comme il ne faut jamais insulter l'avenir, peut-être fera-t-il amende honorable vis-à-vis de l'histoire nationale l'an prochain ou même le suivant ! 2012 et 2013 sont encore dans ses cordes, pour renouer avec la solennité perdue du 1er Novembre.


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